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« Aucun scandale de piège de la dette organisé par la Chine ne s’est encore avéré dans aucun pays africain à ce jour »

  • Date de création: 17 septembre 2022 09:56

(Agence Ecofin) - Nous avons appris ces jours que la Chine avait annulé des dettes de 17 pays africains pour un total de 610 millions $. Moutiou Adjibi Nourou dirige la rubrique Gestion publique de l’Agence Ecofin. Il est l’auteur du rapport « Le financement chinois en Afrique, mythes et réalités ». Il nous situe l’enjeu. 

Agence Ecofin : Que représente cette somme de 610 millions de $ par rapport à la dette totale de l'Afrique envers Pékin ?

Moutiou Adjibi Nourou : Vu le débat houleux qui existe autour de cette question, les chiffres de la dette chinoise en Afrique font l’objet de manipulations pouvant conduire à des différences d’une source à l’autre. Mais si l’on s’en tient aux données de la Banque mondiale qui peut être considérée comme l’une des sources les plus fiables en la matière, les 610 millions $ de dettes annulées par la Chine, ne représentent que 0,7% du stock des créances de Pékin envers l’Afrique subsaharienne. En 2020, ce montant se chiffrait à plus de 77 milliards $. 

AE : Au niveau des taux d'intérêts, un pays africain doit-il plutôt emprunter à la Chine, à la Banque mondiale ou au marché financier international ?

MAN : Il est évident que seuls les gouvernants peuvent décider où ils préfèrent emprunter, en tenant compte des objectifs et intérêts nationaux. Mais ce qu’on peut dire, c’est qu’en matière de taux d’intérêt, la Chine offre aux pays africains l’une des meilleures alternatives. Selon l’ONG Debt Justice, le taux d'intérêt moyen sur les paiements de la dette due à la Chine en 2021 était de 2,7 %, contre 5 % pour la dette privée non chinoise. A noter que certaines institutions comme la Banque mondiale offrent aux pays l’option des prêts concessionnels, avec un élément « don » et des taux d’intérêts inférieurs à ceux du marché.  

AE : Quels pays africains sont les plus endettés envers la Chine ?

MAN : Les pays africains les plus endettés envers la Chine, du point de vue de la part des créances de Pékin dans leur dette extérieure, sont Djibouti (environ 54% de la dette extérieure), le Congo (48%), l’Angola (32%) et la Guinée (31,8%). Tous ces chiffres sont basées sur les données de la dette déclarées à la Banque mondiale, à fin 2020.

AE : Pourquoi la Chine prête davantage à ces pays plus qu'à d'autres ?

MAN : Comme on peut le voir, il s’agit en majorité de pays producteurs de matières premières, avec lesquels Pékin entretient d’importantes relations commerciales. A titre d’exemple, l’Angola, est également le premier exportateur de produits vers la Chine. En 2019, près de 30% du total des importations chinoises en provenance de l’Afrique étaient issues de ce pays d’Afrique australe, essentiellement producteur de pétrole, diamants et autres ressources naturelles. Dans le même temps, le pays dirigé par Joao Lourenço est également celui qui a monopolisé la plus grande part des prêts chinois en termes de volume (28%) et de nombre entre 2000 et 2019.

Dans ces pays, Pékin finance généralement des projets infrastructurels dont une grande partie est liée aux transports mais aussi et surtout aux industries extractives (mines et énergies) dont il consomme les produits en grande quantité. De plus, ces pays occupent une place importante sur le tracé de la nouvelle route de la soie.   

AE : Globalement qui est le plus gros créancier de l'Afrique ? la Chine, les Etats-Unis, la Banque mondiale, le marché financier international, autre ?

MAN : Globalement, l’Afrique doit la plus grosse partie de sa dette extérieure aux créanciers privés. Ceux-ci détenaient 135 milliards $ de créances sur les pays d’Afrique subsaharienne à la fin 2020. Ils sont suivis par la Banque mondiale avec 86 milliards $. La Chine elle, est plutôt le premier créancier bilatéral du continent, avec plus de 77 milliards $ de créances en stock en Afrique subsaharienne sur la même période.

AE : Vous-même, pensez-vous qu'il est juste d'accuser la Chine d'enfermer les pays africains dans le piège de la dette ?

MAN : D’abord, il faut comprendre l’origine de cette thèse. En 2017, l’affaire du port de Hambatota, selon laquelle le Sri Lanka aurait cédé l’infrastructure pour 99 ans à Pékin pour n’avoir pas remboursé sa dette, avait défrayé la chronique et est depuis lors utilisée comme l’une des principales illustrations du « piège de la dette » dans laquelle la Chine enferme ses partenaires plus faibles.

En Afrique, cette affaire a eu un retentissement particulier en raison du fait que les prêts chinois aux pays africains ont crû à une vitesse exponentielle à partir des années 2000 et que, dans le même temps, l’empire du milieu a évincé toutes les autres puissances étrangères pour devenir le premier partenaire commercial du continent. S’en est suivi une guerre d’influence qui a poussé les rivaux de Pékin dans la conquête des marchés africains, à brandir l’argument du piège de la dette, pour pousser les pays africains à se détourner de leur nouveau partenaire.

Dans les faits, aucun scandale de piège de la dette organisé par la Chine, ne s’est encore avéré dans aucun pays africain à ce jour. De plus, on remarque que seule une poignée de pays ont pour principal créancier bilatéral la Chine, contrairement au discours populaire qui laisse penser que ce serait le cas avec une large majorité de pays africains. De ce fait, on peut déduire que l’argument du piège de la dette chinoise en Afrique ne repose pour l’instant que sur des interprétations et est amplifié, à tort ou à raison, par la guerre d’influence qui se mène entre puissances étrangères en Afrique.

Cependant, il faut souligner que l’opacité de certains prêts accordés par Pékin aux pays africains peuvent à raison alimenter la crainte d’une dette cachée qui pourrait corroborer la thèse du piège de la dette. Il revient donc à Pékin de faire preuve de plus de transparence et aux pays africains, de toujours privilégier les intérêts nationaux à long terme de leurs pays, quel que soit le partenaire avec qui ils négocient.  

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