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Daniel Schroth (BAD) : « Le gaz naturel joue un rôle fondamental dans la transition énergétique en Afrique »

  • Date de création: 31 mai 2022 09:52

(Agence Ecofin) - Nouvellement confirmé Directeur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique de la BAD, Daniel Alexander Schroth s'est confié, à l’occasion de sa première interview, à l'agence Ecofin, en marge des Assemblées annuelles de la BAD. Réunions qui se sont tenues à Accra du 23 au 27 mai 2022, dominées notamment par les thématiques de la transition énergétique, des changements climatiques en Afrique et la réallocation des Droits de tirages spéciaux (DTS).

Agence Ecofin (AE) : En Afrique, les défis liés à la transition énergétique sont nombreux. Améliorer la qualité du réseau existant pour près de 600 millions de personnes, permettre à 600 autres millions de personnes d’accéder à l’électricité dans le cadre d'infrastructures durables et non polluantes, enfin soutenir la croissance économique, à travers l'industrialisation et la création d'emplois. Pour la BAD, quels sont les arbitrages entre ces objectifs, et quelles sont vos priorités ? 

Daniel Schroth (DS) : Il est important de savoir que l’Afrique contribue très faiblement au changement climatique. Elle représente seulement 3 à 4% des émissions globales. C’est également le continent le plus vulnérable. Selon les statistiques, 9 des 10 pays les plus affectés par le changement climatique se situent en Afrique Subsaharienne. Près de 600 millions d’Africains n’ont pas encore accès à l’électricité, ce qui représente 80 % du déficit mondial d’accès à l’électricité. Si le monde veut atteindre l’objectif du développement durable N°7 – Garantir l’accès universel à l’énergie durable d’ici 2030 - le focus doit être mis sur l’Afrique, notamment l’Afrique subsaharienne.

Le grand paradoxe c’est que le continent dispose d'importantes potentialités énergétiques, notamment en énergies renouvelables, encore faiblement exploitées. Un énorme potentiel solaire (près de 325 jours ensoleillés par an); un potentiel en hydroélectricité, notamment dans le bassin du Congo mais aussi dans d’autres régions du continent; la géothermie en Afrique de l’Est (East African Rift Valley)… 

L’engagement de la BAD consiste à rompre ce paradoxe en aidant les pays africains à saisir pleinement ce potentiel d’énergies et à soutenir le secteur privé. Parce que le coût de la transition énergétique est tellement élevé que ce n’est pas faisable sur des budgets publics. Plusieurs pays sont déjà confrontés au problème de la soutenabilité de la dette, il faut avoir le soutien du secteur privé. Cela sera plus que nécessaire.

AE: Concrètement, quand la BAD parle de transition énergétique juste. De quoi cela retourne-t-il ?

DS : C’est très important qu’il y ait un plan stratégique sur la transition énergétique. Je mets un point d’honneur sur la transition énergétique juste. Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud. L’énergie la plus utilisée étant le charbon, la majorité de la population dépend économiquement de l’industrie du charbon. La transition, dans ce cas implique aussi d’apporter des soutiens à toute cette population qui dépend pour le moment de cette énergie fossile. Il faudra des programmes sociaux (formation, emploi, reconversion, …) pour accompagner cette transition. Contrairement, au Tchad on dispose d’une faible capacité de production électrique. Ici, il ne s’agit vraiment pas d’une transition énergétique, il est plutôt question de construire des systèmes énergétiques soutenables dès le début. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le mot transition énergétique n’est pas 100% juste, parce que l’accès à l’électricité reste faible, ainsi que les capacités de production installée pour soutenir l’industrialisation. 

AE : Dans son discours, le président de la BAD, Akinwumi Adesina, a insisté, à plusieurs reprises, que “le gaz naturel doit rester une partie essentielle des systèmes énergétiques en Afrique ». Cette position de la Banque africaine de développement n’entre-t-il pas en contradiction avec ce qu’on a pu apercevoir à la COP26 ?

DS :  La transition se déroule sur une période. Il y a des défis par rapport à certaines technologies de renouvelables qui sont encore intermittentes. Pour la période de transition, nous avons besoin de réseaux stables. A la BAD, nous pensons que le gaz naturel joue un rôle fondamental dans cette transition. Il y a certes déjà des technologies de stockage - la BAD a d’ailleurs financé dans ce cadre, l’année dernière, un projet de systèmes de stockage d’énergie par batteries en Afrique du Sud. Mais cela reste encore très coûteux. 

« Si nous devons financer un nouveau projet de gaz naturel, nous veillerons à ce qu’il réponde aux engagements pris par les pays africains vis-à-vis de l’accord de Paris ».

Cependant, si nous devons financer un nouveau projet de gaz naturel, nous veillerons à ce qu’il réponde aux engagements pris par les pays africains vis-à-vis de l’accord de Paris, notamment les contributions déterminées au niveau national (CDN, Ndlr). Nous verrons aussi si ce projet fait partie d’une stratégie à long terme qui donne cette perspective de transition.

AE : Le président a également indiqué dans son discours inaugural que la Banque prévoyait de créer une facilité de transition énergétique juste. De quoi s’agit-il en réalité?

DS :  Je vais présenter deux points sur lesquels le président s’est basé pour tenir ces affirmations. Il s’agit des propositions que nous avions faites dans le contexte de transition énergétique en Afrique du Sud. A ce propos, une déclaration politique a été signée à la COP 26 entre l’Afrique du Sud et certains pays développés, portant sur un montant de plus de 8,5 milliards $. L’approche sur laquelle nous travaillons avec les autorités sud-africaines leur permettra de lever 27 milliards $, in fine, en faisant des effets de levier sur les 8,5 milliards. C’est ce mécanisme qui pourrait être répliqué à d’autres pays africains.

« L’approche sur laquelle nous travaillons avec les autorités sud-africaines leur permettra de lever 27 milliards $, in fine, en faisant des effets de levier sur les 8,5 milliards.»

Le deuxième aspect : nous avons déjà à la BAD, une facilité qui est reconnue, c’est le Fonds des énergies durables qui est d’ailleurs le plus grand fonds fiduciaire à la BAD. Nous y sommes en pleine croissance. Sur les trois dernières années, nous avons pu mobiliser 300 millions $ en dons. Nous nous apprêtons à le déployer pour soutenir les projets liés à la transition énergétique, à travers des injections de dons, des financements concessionnels, des assistances techniques aux Etats pour améliorer le cadre réglementaire et législatif.

1 ACCRA« L’élément clé est de soutenir les pays africains pour parvenir à créer des Banques vertes qui peuvent, elles, mobiliser des ressources climatiques. »

A travers notre fonds pour l'énergie durable en Afrique (SEFA), et en collaboration avec l’Alliance mondiale pour les cuissons propres, nous avons créé un fonds spécial dédié à aider les compagnies africaines qui opèrent dans les chaînes de la cuisson propre.  Avec cette entité, nous avons fourni des juniors equity (actions subordonnées, ndlr) pour permettre à d’autres investisseurs d’y participer. Le premier closing a eu lieu il y a juste deux mois avec la constitution d’une cagnotte de 41 millions $ qui seront injectés dans les compagnies africaines.

AE : Selon l’IRENA, les investissements moyens annuels dans le système énergétique africain, selon les objectifs, doivent doubler d'ici 2030, pour atteindre environ 45 à 60 milliards USD. Il est clair que le secteur privé sera fortement mis à contribution. Comment comptez-vous appuyer le secteur privé africain?

DS :  Nous disposons de plusieurs moyens pour financer le secteur privé africain. Notamment en encourageant les institutions financières locales (les banques commerciales, les banques qui sont sur place) pour qu'elles soient en mesure de prêter de l’argent aux entreprises locales opérant dans le domaine de l’accès à l’énergie à des taux abordables. 

Récemment, nous avons également approuvé un programme qui s’appelle Leveraging Energy Access Finance Framework (LEAF). Ce programme nous a permis de mobiliser des financements climatiques à travers le fonds Climat vert en Corée. Ces financements, ajoutés aux ressources de la BAD, permettront de réduire les risques pour les institutions financières locales de financer ces entreprises locales opérant dans le secteur de l’énergie.  Un autre exemple, c’est le renforcement des capacités techniques (programme du help test pour les mini réseaux verts). On avait créé, il y a quelques années déjà, un Help Desk pour soutenir les différentes compagnies qui développent des mini-réseaux verts avec de l’assistance technique très spécialisée. A travers ce Help Desk, nous avons déjà soutenu une centaine de développeurs de mini-réseaux verts. Certains d’entre eux ont réussi à mobiliser des financements plus importants après pour se développer.

AE : En plus du secteur privé, les Etats ont aussi leur rôle à jouer. Malheureusement, contrairement à 2021, les marchés financiers internationaux se sont refermés sur eux-même. Les conditions d’accès sont devenues très difficiles. Les défis climatiques, eux, n’attendent pas. En tant que la plus grande banque de développement en Afrique, quelles actions portez-vous pour faciliter l’accès au financement aux Etats, notamment pour faire face au changement climatique ? 

DS : Le monde développé avait pris l’engagement très fort de mobiliser 100 milliards $ chaque année pour soutenir les pays en développement dans le contexte du changement climatique. Malheureusement, cet engagement n’a pas été honoré, ce qui a été l’un des points de discussion à la COP26. Les pays développés assurent maintenant que ce montant sera versé sur une base annuelle à partir de 2023 - 2025. 

« L’Afrique reçoit un très faible pourcentage des financements climatiques mondiaux. La BAD travaille à l’augmentation substantielle de ce pourcentage.» 

L’Afrique reçoit un très faible pourcentage des financements climatiques mondiaux. La BAD travaille à l’augmentation substantielle de ce pourcentage. Nous le faisons de plusieurs manières :  nous essayons de mobiliser les sources de financement climatique auprès de fonds globaux tels que le Fonds du Climat, le Climate Investment Fund, le Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM), etc.  On a eu pas mal de succès, notamment l’année dernière où 173 millions $ ont été mobilisés par le programme LEAF. L’autre exemple, c’est notre programme “Desert to Power”, la facilité de financement du G5 Sahel.  On a pu lever 150 millions $ du fonds vert pour le climat. 

L’élément clé est de soutenir les pays africains pour parvenir à créer des Banques vertes qui peuvent, elles, mobiliser des ressources climatiques pour financer les projets qui ont des bénéfices pour l’adaptation climatique. Pour y arriver, l’Afrique a un instrument très important qui est le Fonds Africain de Développement (FAD) dont nous fêtons le cinquantième anniversaire. Il existe un processus pour reconstituer le FAD 16 et ce qui est innovant pour cette prochaine FAD, c’est d’avoir proposé aux donateurs de créer une composante spécifique pour soutenir tous les travaux dans le domaine du changement climatique, aussi bien la mitigation que l’adaptation. C’est un autre moyen d’augmenter le financement en soutien aux pays africains.

AE : Sachant que dans les pays africains, les flux financiers illicites représentent autant que les promesses de 100 milliards $ promis par les pays développés, comment se positionne la BAD sur le sujet ?

DS : Oui, le problème est réel. Même quand on observe les fonds institutionnels, notamment les fonds de pension africains, la plupart n’investissent pas en Afrique. Il s’agit dans ce cas, pour la BAD, de créer des opportunités pour permettre à ces fonds institutionnels d’investir sur le continent. Il faut trouver un moyen efficace de réduire les risques, déployer des instruments financiers innovants qui permettront aux investisseurs institutionnels de mettre leurs fonds au profit des Africains. Il existe des exemples de l’implication de la BAD. Dans le secteur de l’énergie, nous avons créé une Facilité pour l'inclusion énergétique (FEI, NdlR). Cet outil se focalise sur les solutions d’accès à l’énergie décentralisée, les projets qui sont d’une taille trop petite pour que la banque puisse y investir elle-même. Cette facilité a été mise en place avec des ressources concessionnelles qui permettent aux investisseurs beaucoup plus commerciaux et à certains Fonds de pension d’investir dans cette structure financière. 

Face aux flux financiers illicites, la BAD fait un travail acharné sur la gestion des finances publiques pour renforcer la capacité des pays africains à mettre une barrière à ces flux. Elle s’attèle également à améliorer la performance de leurs systèmes de collecte de recettes. C’est un travail soutenu par la Banque à travers notre équipe de gouvernance.

AE : Hier, le Royaume Uni a signé un accord avec la BAD pour garantir des projets liés au climat. Lorsqu’on est une institution panafricaine comme la BAD, comment fait-on pour mieux orienter ces ressources vers des projets au contenu local, adapté aux réalités africaines, à nos besoins ?

DS : Premièrement, il faut souligner que lorsqu’on parle du changement climatique en Afrique, c’est notamment l'aspect atténuation ou adaptation qui est le plus urgent et important pour le continent, aujourd’hui, beaucoup plus que la mitigation, puisque les émissions africaines sont très faibles par rapport au reste du monde. 

« Le Room to Run signé avec la Grande Bretagne est une garantie qui libère la capacité de la Banque à prêter aux pays africains. »

L’année dernière, au travers de nos financements, nous avions dépassé notre objectif d’avoir 40% de nos financements annuels classés comme financement climatique, soit 41%. 67% de ces financements ont été orientés vers l’adaptation. A la BAD, on répond déjà aux besoins spécifiques africains dans le domaine de l’adaptation.

De plus, le Room to Run signé avec la Grande Bretagne est une garantie qui libère la capacité de la Banque à prêter aux pays africains. La Grande Bretagne a également affirmé que cette capacité additionnelle qui découle de cette garantie sera mise au profit de l’adaptation en ce qui concerne le changement climatique en Afrique. 

Interview réalisée par Fiacre E. Kakpo