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Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le dernier greffon

  • Date de création: 29 janvier 2021 16:26

(Agence Ecofin) - Après l’évincement du général John Numbi, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba était le dernier proche de l’ancien président Joseph Kabila dans le cercle étroit du pouvoir. Alors que les relations entre le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur se brouillent, le dernier greffon de l’alliance CACH-FCC est rejeté par l’Assemblée.

En RDC, les députés ont adopté à une large majorité (367 favorables sur 377 votants) la motion de censure contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Il a été jugé incompétent et loin d’avoir tenu ses promesses, notamment dans le secteur de la sécurité. Sans oublier la persistance de la corruption et les multiples échecs dans l’exécution du programme présidentiel.

Mais, dans un contexte de rupture avec l’ex-président Joseph Kabila, l’éviction de Sylvestre Ilunga Ilunkamba semble aussi servir de message à tout le peuple congolais.

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En 2019, à 72 ans, il devient Premier ministre de Félix Tshisekedi.

Il faut savoir que le choix de ce dinosaure de la politique locale avait valu de nombreuses critiques au nouveau régime, qui a été accusé de vouloir perpétuer les pratiques reprochées à l’ancien. Avec le départ du Premier ministre, l’administration Félix Tshisekedi semble vouloir faire savoir qu’un changement est en marche.

Dommage collatéral

Il n’y avait pas une autre suite des événements envisageables. Le sort de Sylvestre Ilunga Ilunkamba était pratiquement scellé depuis le 6 décembre. Ce jour-là, le président Félix Tshisekedi dénonce dans un discours le fait que le gouvernement de coalition institué en janvier 2019 n'a pas permis de mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu et que, d'autre part, il n'a pas été capable de répondre aux attentes du peuple. Dès ce moment, les intentions sont claires pour tous : Félix Tshisekedi va se séparer de Joseph Kabila et de tout ce qui le lie à son prédécesseur. Plusieurs événements ont préparé le terrain.

Dès ce moment, les intentions sont claires pour tous : Félix Tshisekedi va se séparer de Joseph Kabila et de tout ce qui le lie à son prédécesseur. Plusieurs événements ont préparé le terrain.

Le 20 juin 2020, la condamnation à 20 ans de prison pour corruption du directeur de cabinet et principal allié du président Tshisekedi, Vital Kamerhe, libère le chef de l’Etat de son accord l’obligeant à soutenir le « Kamerhéon » en 2023.

Le 2 juillet, au moins trois personnes sont tuées lors de protestations des partisans de Félix Tshisekedi contre la nomination d'un nouveau président de la Commission électorale, soutenu par l'Assemblée nationale à majorité pro-Kabila. Les tensions entre les deux alliés sont vives.

Le 17 juillet, le président démet l'influent général John Numbi, proche de Joseph Kabila, de toute fonction au sein de l'armée. Le 21 juillet, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba critique la décision.

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Le sort de Sylvestre Ilunga Ilunkamba était pratiquement scellé depuis le 6 décembre.

Durant ce mois, le chef d'Etat nomme trois nouveaux membres à la Cour constitutionnelle. Les pro-Kabila l'accusent de faire « le choix délibéré de violer la constitution ».

C’en est trop. En novembre, le président mène des « consultations » avec les forces politiques et des représentants de la société civile. Elles sont boycottées par le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila. D’après le président Tshisekedi, les consultations ont « mis en évidence, à une écrasante majorité, le rejet de la coalition entre le FCC et Cap pour le changement [mouvement pro-Tshisekedi, Ndlr] ». Selon lui, il faut mettre fin à l'accord de coalition et obtenir une nouvelle majorité à l'Assemblée nationale actuellement dominée par les pro-Kabila.

Les députés votent en décembre pour la déchéance de Jeanine Mabunda, la présidente du Parlement, par 281 voix contre 200. Notons que le FCC, pro-Kabila, revendiquait une majorité de plus de 300 députés sur 500 depuis les élections législatives du 30 décembre 2018. Une partie a donc migré vers « l’Alliance sacrée » de Félix Tshisekedi. Le camp du président peut alors faire voter la motion de défiance contre Sylvestre Ilunga Ilunkamba et faire tomber le gouvernement. Mais quand on fait partie de l’arène politique congolaise depuis les années 70, on s’attend un peu à tout.

Un vieux briscard

Dire que Sylvestre Ilunga Ilunkamba est un vieux de la veille peut paraître un doux euphémisme. Né le 28 mars 1947 à Dino, dans la province du Katanga, ce membre de la tribu des Luba obtient un doctorat en économie de l'université de Kinshasa en 1979. Il devient enseignant. Il se lance en politique dès les années 70. Son engagement porte ses fruits lorsqu’il commence à obtenir des fonctions sous le régime de Mobutu Sese Seko.

Il se lance en politique dès les années 70. Son engagement porte ses fruits lorsqu’il commence à obtenir des fonctions sous le régime de Mobutu Sese Seko.

Sylvestre Ilunga Ilunkamba est nommé directeur de cabinet du ministre du Plan en 1979 et occupe ce poste jusqu’en 1980. Entre 1980 et 1981, il est le directeur de la coopération et des relations internationales au rectorat de l’université nationale du Zaïre (UNAZA).

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Il commence à obtenir des fonctions sous le régime de Mobutu Sese Seko.

Il enchaîne ensuite plusieurs postes de vice-ministre, notamment aux départements de l’Economie, du Plan et du portefeuille. En 1987, il devient conseiller principal à la présidence de la République en matière d’économie et de finances. Il retourne ensuite au poste de vice-ministre du Plan avant de devenir ministre des Finances entre 1990 et 1991.

Alors que le pouvoir du président Mobutu chancelle, Sylvestre Ilunga Ilunkamba s'exile en Afrique du Sud. Il participe à la fondation de Retimex – une société spécialisée dans la mobilisation de financement avec Equator Bank, et dans l’importation et l’exportation de métaux non ferreux de la RDC – qu’il dirige jusqu’en 2003.

Alors que le pouvoir du président Mobutu chancelle, Sylvestre Ilunga Ilunkamba s'exile en Afrique du Sud.

Il devient ensuite secrétaire exécutif du Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l'Etat (COPIREP), poste qu’il occupe jusqu’en 2014. En mars de cette année, il devient directeur général de la Société nationale de chemin de fer du Congo (SNCC). Il sera également, pendant plusieurs années, conseiller du président Joseph Kabila, ressortissant du Grand-Katanga comme lui.

En 2019, à 72 ans, il devient Premier ministre de Félix Tshisekedi. Sa nomination provoque de nombreux grincements de dents, d’une part parce qu’il est considéré comme un des piliers du régime précédent, mais d’autre part à cause d’un bilan mitigé lors de son passage à la SNCC. « Je considère ma nomination comme une lourde responsabilité en ce moment crucial de l’histoire de notre pays et je m’engage à mobiliser toutes mes capacités pour pouvoir faire fonctionner de façon harmonieuse la coalition au niveau du gouvernement », tente-t-il de rassurer. Seulement, 2 ans après sa nomination, Sylvestre Ilunga Ilunkamba sort par la petite porte.

Voilà la RDC à nouveau à un carrefour de son histoire. Deux camps se préparent à livrer une bataille farouche qui, beaucoup l’espèrent, demeurera dans l’arène politique. Le divorce entre le chef de l’Etat et son prédécesseur fait craindre des tensions vives dans un pays qui a déjà son lot de problèmes. Sylvestre Ilunga Ilunkamba vivra quant à lui une des nombreuses périodes d’incertitudes qu’il a observées durant ses longues années sur la scène politique congolaise. Son camp, comme souvent, est déjà choisi. Il s’agit désormais de savoir si une fois de plus le vieux briscard retombera sur ses pattes.

Servan Ahougnon

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