(Agence Ecofin) - Pour tirer le meilleur parti de leurs ressources minières, tout le monde s’accorde sur le fait que les pays africains doivent penser à développer une industrie de transformation locale des minerais. En effet, sur l’ensemble de la chaine de valeur du secteur, la production des opérations minières, principale source de revenus du continent, rapporte trop peu comparativement aux autres parties. Si certains pays ont décidé de se jeter à l’eau en essayant de forcer la main aux compagnies minières, le rêve de voir les matières premières transformées sur le sol africain est pour le moment trop grand, eu égard au coût énergétique des fonderies et des raffineries. Comment un continent qui n’arrive pas encore à satisfaire les besoins en électricité de ses populations peut-il se lancer sur une telle entreprise ?
Les problèmes de déficit énergétique chronique existent toujours en Afrique
Pour les pays africains, l’accès à l’électricité est un problème épineux qui ne date pas d’aujourd’hui. Entre capacité de production insuffisante, faible connectivité, manque de fiabilité et coûts élevés, nos nations doivent faire face à des problèmes chroniques. Malgré un potentiel énergétique (hydroélectricité, gaz, charbon, énergies renouvelables), près de 600 millions d’Africains sont encore privés d’électricité d’après un rapport de la BAD paru en septembre 2019.
Le secteur minier est très énergivore.
Et ni à court, ni à moyen terme, la donne ne va changer si l’on se base sur de plus anciennes prévisions de l’Agence internationale de l’énergie citées par l’ONG britannique Oxfam, dans une étude réalisée en 2017. Selon lesdites prévisions, 489 millions de personnes n’auront toujours pas accès à l’électricité en 2040.
« Il est important de se rappeler que les moyennes régionales et nationales peuvent occulter de vastes disparités dans les niveaux d’accès à l’énergie entre les pays et en leur sein », précise l'organisation qui note que dans certains pays d’Afrique subsaharienne, comme la RDC, le nombre de personnes ayant accès à l’électricité ne dépasse pas les 10% de la population.
Le secteur minier est énergivore, la transformation encore plus
Fournir ses populations et également une industrie qui contribue pour beaucoup à son économie, c’est l’équation que nos dirigeants n’arrivent pas à résoudre depuis des décennies. Si elle est aussi difficile à résoudre, c’est en grande partie à cause des gigantesques besoins du secteur minier.
Il n’est pas anodin de constater qu’en Afrique du Sud, deuxième économie du continent derrière le Nigeria, le secteur minier est l’un des secteurs les plus affectés par la crise que traverse la compagnie nationale d’électricité, l’Eskom. En effet, les mines consomment près du tiers de l’énergie distribuée dans le pays par la société nationale qui figure pourtant dans le top 7 mondial des compagnies électriques en matière de production.
En effet, les mines consomment près du tiers de l’énergie distribuée en Afrique du Sud par la société nationale qui figure pourtant dans le top 7 mondial des compagnies électriques en matière de production.
Ainsi, lorsque l’Eskom a proposé début 2019 d’augmenter les prix de l’électricité, les acteurs miniers sont montés au créneau pour montrer à quel point cela compromettrait l’avenir du secteur, déjà incertain. Baisse de production et perte de 150 000 emplois étaient les principaux arguments avancés par l’industrie minière pour justifier sa prise de position.
Avec davantage d’électricité, la Guinée pourrait tirer un bien meilleur profit de sa bauxite.
Le même cas de figure s’est produit en 2017 en Zambie lorsque l’Etat a décidé d’augmenter les prix de l’électricité. Certaines compagnies minières, y compris des géants comme Glencore ou First Quantum Minerals, ont refusé de s’y conformer. Il s’en est suivi un bras de fer entre le gouvernement et l’industrie minière qui a abouti à la suspension de plusieurs opérations. Le différend a finalement été réglé au cas par cas, au bout de plusieurs jours de négociations, mais les quelques semaines de restrictions énergétiques dont ont été victimes les compagnies minières n’ont pas manqué d’affecter le volume total de cuivre produit par le pays.
Ce qui saute aux yeux en examinant ces deux cas, c’est que la question de l’électricité est déjà très sensible pour les compagnies minières. Qu’en sera-t-il si elles doivent également compter les besoins des raffineries ? Sachant que ces dernières consomment autant d’électricité, sinon plus, que les opérations minières, on peut affirmer que le déficit va décupler.
Pas de transformation locale des minerais sans un meilleur accès à l’électricité
Les pays africains ne peuvent pas mettre en œuvre des politiques durables de transformation locale de minerai sans enlever de leurs pieds la grosse épine que constitue le déficit d’énergie. Il est clair qu’installer sur le sol africain des usines de transformation des produits extraits du sous-sol permettrait de décupler les recettes extraites des richesses minières. Mais la question de l’accès à l’électricité doit être d’abord résolue.
Il est clair qu’installer sur le sol africain des usines de transformation des produits extraits du sous-sol permettrait de décupler les recettes extraites des richesses minières. Mais la question de l’accès à l’électricité doit être d’abord résolue.
Ainsi, la stratégie qui consiste par exemple à imposer des embargos sur les exportations de minerais bruts pour forcer les compagnies minières à installer des raffineries et fonderies sur le sol africain n’est peut-être pas la bonne si les Etats n’ont pas de stratégies énergétiques sérieuses. Ainsi, avant d’impulser le boom qu’il attend du secteur minier en motivant la transformation locale, le gouvernement tanzanien doit impérativement régler les problèmes de son secteur énergétique. Un pays comme la RDC qui a fort à gagner en se lançant dans la transformation de plusieurs minéraux critiques comme le lithium, le cobalt, ne peut pas vraiment forcer la main aux compagnies de manière durable, car il doit encore faire face à un déficit énergétique de plus de 2000 MW. Le gouvernement semble l’avoir compris, en témoigne les grands espoirs qu’il fonde dans le barrage hydroélectrique de Grand Inga, dans la construction de centrales hydroélectriques de taille moyenne et de microcentrales capables de faciliter l’accès à l’eau et à l’électricité dans toutes les provinces du pays.
Or, pour tirer plein profit des potentiels qu’offre la chaine de valeur des minéraux jusqu’au produit fini, il faut d’une certaine manière sacrifier le court terme au profit du long terme.
Les Etats africains ont besoin de politiques de longue durée qui prennent en compte tous les paramètres, alors qu’ils sont la plupart du temps dans de la gestion de l’urgence. Or, pour tirer plein profit des potentiels qu’offre la chaine de valeur des minéraux jusqu’au produit fini, il faut d’une certaine manière sacrifier le court terme au profit du long terme. Faute de quoi, l’Afrique profitera peu des opportunités qu’offrent les hausses de prix de minéraux, ou encore le boom attendu du secteur des véhicules électriques.
Louis-Nino Kansoun
Sofitel Manhattan, NY, USA