(Agence Ecofin) - Les immenses ressources minérales dont regorge le sous-sol africain sont pour la grande majorité exploitées par des compagnies étrangères. Toutefois, malgré l’écrasante puissance et l’appétit de géants comme Barrick, Anglo American, Vedanta Resources, Vale ou encore Newmont, quelques sociétés du continent arrivent à se démarquer.
L’Agence Ecofin vous propose un portrait de la Compagnie des Phosphates de Gafsa, société qui opère dans le bassin minier de Gafsa, région considérée comme le précurseur de la grogne populaire qui a secoué la Tunisie en 2011. Entre baisse de la production et grèves à répétition, la puissante compagnie nationale est aujourd’hui à la recherche d’un second souffle.
Grandeurs et décadence
Les performances réalisées en 2020 par la Compagnie des Phosphates de Gafsa semblent être une énième répétition de la situation que traverse la société depuis 10 ans. Elle a raté ses objectifs en livrant 3,1 millions de tonnes de phosphate naturel, contre 3,5 millions de tonnes attendues. Cela représente en outre une baisse de plusieurs centaines de milliers de tonnes par rapport aux résultats obtenus en 2019. En cause, apprend-on, les éternelles difficultés de la compagnie qui ont pour noms grève des employés et blocages des sites de production par les chômeurs de la région.
En cause, apprend-on, les éternelles difficultés de la compagnie qui ont pour noms grève des employés et blocages des sites de production par les chômeurs de la région.
Si la récurrence du phénomène durant la dernière décennie symbolise à merveille le bourbier dans lequel est engluée la CPG et peut laisser penser qu’elle est une mal-aimée dans la région, il ne faut pas oublier d’où la société est partie.
La Tunisie s’était hissée au 5e rang mondial des producteurs de phosphates.
Tout commence par une banale prospection du Français Philippe Thomas en 1885, aux débuts de la colonisation française de la Tunisie. Le géologue amateur découvre des couches de phosphates de calcium à Jebel Thelja, près de l’actuelle ville de Metlaoui. Après diverses campagnes d’explorations, une compagnie minière voit le jour en 1897 sous le nom de Compagnie des phosphates et des chemins de fer de Gafsa. Elle entame l’exploitation des gisements avec la mise en service deux ans plus tard d’une première mine souterraine en 1899. Cette activité se poursuivra avec l’indépendance en 1956 et des fusions avec diverses sociétés actives dans la région donneront naissance à la compagnie actuelle en 1976.
Durant ces décennies, la CPG acquiert un monopole sur le phosphate tunisien et hisse le pays au 5e rang mondial des producteurs. Dominé par le phosphate, le secteur minier représente, selon l’OCDE, 4 % du PIB de la Tunisie en 2004. Avec huit mines à ciel ouvert en exploitation dans les villes de Mdhilla, Metlaoui, Moularès et Redeyef, la compagnie a produit 8 millions de tonnes en 2010, rapportant des millions de dollars de recettes d’exportation à l’État. Elle constitue le premier fournisseur du Groupe chimique tunisien (CGT), une autre compagnie publique chargée de la transformation du produit.
Avec huit mines à ciel ouvert en exploitation dans les villes de Mdhilla, Metlaoui, Moularès et Redeyef, la compagnie a produit 8 millions de tonnes en 2010, rapportant des millions de dollars de recettes d’exportation à l’État.
Par ailleurs, il faut rappeler que la CPG contribue dans la seconde moitié du 20e siècle au développement de la population locale. À son actif, elle compte ainsi l’amélioration de l’accès à l’eau potable, la construction d’écoles ou encore la fourniture de l’électricité. Elle représente durant cette période le plus important employeur de la région avec 15 000 travailleurs. Si elle conserve encore ce statut aujourd’hui, le nombre d’employés de la compagnie a bien diminué avec un chiffre de 6600 fin 2016.
Gafsa, ou la Tunisie en miniature
Les grèves et divers blocages apparaissent aujourd’hui comme l’explication la plus logique aux difficultés de la CPG. Ils ne sont en réalité que les symptômes de problèmes plus profonds. Autrefois alma mater des habitants de la région, la compagnie est désormais minée par les mêmes maux que le pays tout entier.
12 400 candidats pour 1700 postes de travail.
Les évènements de 2008, connus sous le nom de « Grèves de Gafsa » ou « révolte du bassin minier de Gafsa », en sont l’illustration parfaite. En cette année-là, un important mouvement social secoue pendant plus de six mois la région minière de Gafsa, où opère la CPG. Plus grands troubles sociaux survenus en Tunisie depuis les « émeutes du pain » en 1984, ces évènements annonceront le déclin de la société et seront considérés par de nombreux observateurs comme le prélude à la révolution de 2011.
Plus grands troubles sociaux survenus en Tunisie depuis les « émeutes du pain » en 1984, ces évènements annonceront le déclin de la société et seront considérés par de nombreux observateurs comme le prélude à la révolution de 2011.
La baisse des effectifs de la CPG a accru le taux de chômage dans la région, faisant de chaque concours de recrutement une période de vives tensions. Cela s’explique par l’écart colossal entre le nombre toujours plus important de candidats à l’emploi et la faiblesse du nombre de postes à pourvoir. En 2017, par exemple, 12 400 candidats ont composé le concours de la CPG qui recherchait alors seulement 1700 nouveaux employés. Si le problème du chômage est important dans tout le pays, il occupe une place à part à Gafsa où les jeunes considèrent un emploi à la CPG comme un droit ou un héritage de leurs parents. C’est d’ailleurs la publication des résultats d’un concours de recrutement organisé au profit de la compagnie qui a mis le feu aux poudres en 2008.
Les jeunes considèrent un emploi à la CPG comme un droit ou un héritage de leurs parents.
En plus des critiques habituelles, les dirigeants se sont retrouvés accusés de fraudes dans le choix des heureux élus. Le mécontentement des populations qui couvait depuis quelques années déjà, explose après cette énième accusation de népotisme et de corruption. Ces revendications se transforment rapidement en mouvement social contre les autorités régionales et le gouvernement central. Les critiques portent principalement sur l’augmentation du coût de la vie et le taux de chômage dans la région, bien supérieur à la moyenne nationale. Les manifestations seront cependant étouffées dans le sang par Tunis et les syndicalistes et autres leaders du mouvement feront face à la justice dans des procès qualifiés d’« inéquitables » par Amnesty International.
Statu quo, 10 ans après la révolution
Plus de 10 ans après la révolution du jasmin, rien n’a vraiment changé. Les sit-in sur les sites d’extraction et de traitement se poursuivent, bloquant à la fois la production et le transport vers les usines du Groupe chimique tunisien. Ils sont toujours organisés par ces jeunes diplômés au chômage qui paralysent pendant des jours ou des semaines toute activité.
« Dès que l’on proteste, on se retrouve avec un procès, certains en ont plus d’une vingtaine sur le dos. Mais vu que l’on se connaît tous, quand on veut bloquer, il suffit de s’appeler », confie au Monde, l’un d’eux.
« Dès que l’on proteste, on se retrouve avec un procès, certains en ont plus d’une vingtaine sur le dos. Mais vu que l’on se connaît tous, quand on veut bloquer, il suffit de s’appeler.»
En plus d’entrainer une baisse de la production minière, ces manifestations plombent les bilans financiers de la CPG avec une perte annuelle de 480 millions de dinars (176 millions $) en 2019. La contribution du phosphate au PIB a par ailleurs chuté, tombant à environ 2 % ces dernières années, d’après l’Oxford Business Group. Du 5e rang mondial, la Tunisie est aujourd’hui sortie du top 10 et pointe à la 12e place selon l’Institut géologique des États-Unis. Le pays se retrouve même obligé d’importer du phosphate pour soutenir son agriculture. Un comble.
A la recherche du souffle perdu
Les belles années de la CPG sont désormais loin. Pour ne rien arranger aux difficultés de la société, le prix du phosphate naturel suit depuis plusieurs années une tendance à la baisse, s’étant même négocié récemment à moins de 100 dollars la tonne. Ce énième problème rend encore plus difficiles les tentatives de sortie de crise de la CPG qui a perdu des parts de marché et qui doit faire face à l’influence croissante de sa florissante rivale marocaine, l’Office chérifien des phosphates (OCP).
Les belles années de la CPG sont désormais loin.
En ce qui concerne les revendications des jeunes de la région de Gafsa, leur satisfaction ne peut être obtenue sans remettre en cause la survie même de l’entreprise. Engager davantage de personnel que nécessaire serait un suicide alors que les cours sont à la baisse et que la demande mondiale ne montre aucun signe de hausse significative à court terme.
Toutefois, l’Etat tunisien pourrait envisager une véritable restructuration de la compagnie s’il trouve le financement nécessaire. Il est en effet courant dans de tels cas que l’entreprise en difficulté soit reprise par un investisseur privé qui injecte les fonds nécessaires pour étendre l’activité et céder les actifs non viables. Il faut ajouter comme autre piste l’amélioration de la gestion même de la compagnie.
Le gouvernement tunisien pourrait également initier d’autres projets de développement dans la région. Offrir d’autres possibilités d’emplois aux jeunes de la région permettrait de détourner les regards de la CPG, ce qui devrait profiter à toutes les parties. Le salut de Gafsa ne doit pas uniquement passer par le phosphate.
Emiliano Tossou
Sofitel Manhattan, NY, USA