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OMC : les défis qui attendent Ngozi Okonjo-Iweala

  • Date de création: 19 février 2021 16:17

(Agence Ecofin) - Ce lundi 15 février, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a annoncé la nomination de Ngozi Okonjo-Iweala à sa tête. Lorsqu’elle prendra ses fonctions, la Nigériane sera la première femme, mais également la première personnalité africaine à diriger cette institution. Cependant l’euphorie de cette nomination historique passée, l’heure est maintenant aux questionnements sur les défis qui attendent l’ancienne « Madame Incorruptible » du Nigeria, à la tête d’une organisation traverse une crise de légitimité. Des défis, qui dans le contexte actuel, s’annoncent plus que difficiles.

La femme qu’il faut à la place qu’il faut 

Dans l’imaginaire de nombreux Africains et Occidentaux, Ngozi Okonjo-Iweala est considérée comme une dure à cuire, qui n’hésite pas à faire ce qu’il faut quand il le faut. Lorsqu’elle était ministre de l’Economie et des Finances au Nigeria, ses réformes concernant la lutte contre la corruption lui ont valu le surnom de Okonjo « wahala » (Okonjo « l’emmerdeuse » en Yoruba), mais ont aussi permis d’assainir les finances publiques du pays à un moment où elles étaient au plus mal.

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Plusieurs dossiers brûlants sont déjà sur la table de Ngozi Okonjo-Iweala.

Cette poigne de fer dans l’application des réformes et son parcours sont donc deux des atouts qui font d’elle la candidate idéale pour le rôle qu’elle s’apprête à remplir. Deux gouvernements différents du Nigeria lui ont déjà fait appel pour occuper le poste de ministre des Finances, une fonction qu’elle a assurée avec brio. De plus, elle connaît bien le fonctionnement des institutions internationales pour avoir exercée des hautes fonctions au sein de plusieurs d’entre elles. En 2007, fort d’un parcours élogieux, elle était devenue la première femme africaine à être nommée directrice générale de la Banque mondiale. Elle a même été un temps pressentie pour en devenir la présidente. En septembre 2015, elle est devenue la présidente de l’Alliance GAVI, une organisation internationale qui a pour but d’accélérer les progrès des pays pauvres dans les possibilités d’accès des enfants à la vaccination.

Lire aussi son portrait par Servan Ahougnon : 12/06/2020 - Ngozi Okonjo-Iweala : l’emmerdeuse

Une fois installée à son nouveau poste de directrice de l’OMC, peu de doutes subsistent quant au fait que l’expérience accumulée par cette femme de 67 ans, sera d’un grand bénéfice pour une institution en quête de changement.

Des défis institutionnels urgents

Dès sa prise de fonction le 1er mars prochain, Ngozi Okonjo-Iweala aura plusieurs dossiers brûlants sur la table. En effet, après l’élection de l’actuel ex-président des USA Donald Trump, l’OMC a dû faire face à une crise sans précédent aggravée par les différentes situations mondiales qui ont marqué l’année 2020. A cet effet, l’un dossiers les plus urgents pour la nouvelle directrice sera sans doute celui concernant l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC.

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Le multilatéralisme de Joe Biden pourrait se heurter aux intérêts primaires des USA.

Considérée comme une cour d’appel permanente, l’ORD est composée de 7 membres nommés à l’unanimité des 164 pays membres de l’OMC pour une durée de 4 ans renouvelables. L’objectif d’un tel organe est de régler les conflits commerciaux qui pourraient survenir entre certains pays membres de l’organisation. Malheureusement depuis 2019, cet appareil important pour le fonctionnement de l’institution est paralysé par le refus des USA de valider le renouvellement des juges.

Ainsi, Ngozi Okonjo-Iweala aura la lourde tâche de réussir à convaincre Washington de faciliter le processus. Si on peut penser que l’attitude promultilatéralisme de Joe Biden (qui a d’ailleurs rapidement donné son feu vert à la nomination de la Nigériane contrairement à son prédécesseur) pourrait facilement permettre de décanter la situation, il faut souligner que les griefs des USA envers l’OMC remontent à bien avant Donald Trump. En tant que puissance commerciale, les Etats-Unis utilisent souvent des moyens qui ne sont pas forcément appréciés des autres pays, dont certains n’hésitent pas à saisir l’ORD contre les agissements de l’Oncle Sam.

En tant que puissance commerciale, les Etats-Unis utilisent souvent des moyens qui ne sont pas forcément appréciés des autres pays, dont certains n’hésitent pas à saisir l’ORD contre les agissements de l’Oncle Sam.

Ainsi, s’il semble très probable que Joe Biden lèvera le véto américain concernant le renouvellement des juges de l’institution, rien n’indique que Ngozi Okonjo-Iweala réglera cette situation sans un minimum de garanties accordées à la Maison Blanche.

D’ailleurs cette question est intimement liée à un autre défi qui est celui de redorer l’image de l’OMC sur la scène internationale et de renforcer son rôle de gendarme du commerce mondial. Bien que son bilan comporte de nombreux points positifs, l’institution a été ces dernières années de plus en plus critiquée par de nombreux pays, pour son impuissance dans la résolution de certaines crises commerciales importantes.

« A la question de savoir si l’OMC est en crise actuellement, la réponse est clairement oui. L’organisation traverse une crise de légitimité depuis quelques années. Elle est critiquée assez violemment par certains de ses membres, dont les USA. Par ailleurs, les gains liés à la libéralisation ou à l’encadrement du commerce international ne sont pas toujours acquis. Certains ajustements dans ces politiques commerciales peuvent créer des pertes localisées très visibles sur le marché du travail de certains secteurs dans certains pays, ajoutant aux critiques de l’organisation », commentait pour l’Agence Ecofin, Houssein Guimbard, économiste au Centre d’Etudes prospectives et d’Informations internationales (CEPII). Une situation que devra s’atteler à résoudre la future directrice de l’OMC pendant toute la durée de son mandat.

Lire aussi : 16/06/2020 - « C’est l’ensemble de la structure de l’OMC qui est en difficulté actuellement » (Houssein Guimbard)

La question du coronavirus

Inédite dans l’histoire récente du monde, la crise engendrée par la pandémie de la Covid-19 qui touche désormais plus de 109 millions de personnes sur la planète, pose un défi sans précédent pour l’OMC. Pour freiner la propagation de la pandémie, la plupart des pays ont adopté des mesures protectionnistes allant de la fermeture des frontières, à la réduction de l’exportation de certains produits médicaux pour mieux répondre à la demande nationale.

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Elle va devoir s’attaquer à l’immense défi de la propriété intellectuelle des vaccins.

Une fois installée, Ngozi Okonjo-Iweala aura pour mission de s’assurer que le commerce mondial, qui selon la CNUCED a reculé de 15,4 % dans le secteur des services et de 5,6 % dans celui des biens, redémarrera sans accroc, en respectant les règles commerciales qui font consensus entre tous les pays.

Une fois installée, Ngozi Okonjo-Iweala aura pour mission de s’assurer que le commerce mondial, qui selon la CNUCED a reculé de 15,4 % dans le secteur des services et de 5,6 % dans celui des biens, redémarrera sans accroc, en respectant les règles commerciales qui font consensus entre tous les pays.

Mais surtout, elle devra faire face à l’immense défi de la propriété intellectuelle des vaccins, qui constitue actuellement l’une des barrières à leur distribution rapide et efficace à travers le monde.

Plus précisément, c’est surtout sur l’accord concernant les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC) de l’OMC, que la Nigériane devra se pencher. Cet accord est l’une des réglementations les plus controversées de l’OMC, car accusé de favoriser le protectionnisme des monopoles industriels sur les technologies et les médicaments, entre autres. Par exemple, l’incapacité des pays en développement, en raison de cet accord, à fabriquer des médicaments génériques contre le sida à un coût accessible à leurs populations a fortement remis en cause la légitimité de cette convention.

Par exemple, l’incapacité des pays en développement, en raison de cet accord, à fabriquer des médicaments génériques contre le sida à un coût accessible à leurs populations a fortement remis en cause la légitimité de cette convention.

Pour éviter que cette situation se répète avec les vaccins produits contre le coronavirus, l’Afrique du Sud et l’Inde avaient appelé en octobre dernier à suspendre temporairement cet accord. Dans une lettre conjointe, les deux pays ont demandé au Conseil général de l’OMC d’adopter une « dérogation à la mise en œuvre, à l’application et à l’exécution des sections 1, 4, 5 et 7 de la partie II de l’Accord sur les ADPIC en ce qui concerne la prévention, le confinement ou le traitement de la covid-19 ». Cette dérogation, ajoutent-ils, devra durer jusqu’à la mise en œuvre d’un vaccin efficace à l’échelle mondiale, et jusqu’à ce que la majorité de la population mondiale développe une immunité.

« Dans le contexte actuel d’urgence mondiale, il est important que les membres de l’OMC travaillent ensemble pour garantir que les droits de propriété intellectuelle tels que les brevets, les dessins industriels, les droits d’auteur et la protection des informations non divulguées, ne créent pas d’obstacles à la mise à disposition, en temps utile, de produits médicaux abordables, y compris les vaccins et les médicaments, ou à l’intensification de la recherche, du développement, de la fabrication et de la fourniture de produits médicaux essentiels pour lutter contre la covid-19 », concluait la déclaration commune dont les demandes seront probablement renouvelées à Ngozi Okonjo-Iweala d’ici les prochaines semaines. Cela surtout dans un contexte où l’Afrique accuse déjà un énorme retard par rapport aux autres continents dans le processus de vaccination contre la Covid-19.

Médiatrice entre les USA et la Chine

L’autre principale tâche de Ngozi Okonjo-Iweala sera de gérer la rivalité entre la Chine et les USA qui a connu un fort regain sous la présidence de Donald Trump. Si l’arrivée de Joe Biden pourrait annoncer une trêve, la fin des tensions ne semble pas pour si tôt.

La Chine ne cache pas en effet ses ambitions sur la scène internationale. Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, l’Empire du Milieu est devenu un poids lourd du commerce mondial et semble de moins en moins disposé à être « un preneur de règles » établies par les nations occidentales.

Depuis son adhésion à l’OMC en 2001, l’Empire du Milieu est devenu un poids lourd du commerce mondial et semble de moins en moins disposé à être « un preneur de règles » établies par les nations occidentales.

Pour leur part, les USA ne désarment pas face aux ambitions chinoises. Sous le mandat de Donald Trump, le pays de l’Oncle Sam avait dénoncé un abus par Pékin, du statut de pays en développement pour bénéficier des traitements commerciaux privilégiés qui y sont liés. Avec Joe Biden, la querelle pourrait demeurer dans la mesure où à l’OMC, chaque pays choisit lui-même s’il se réclame ou pas du statut de pays en développement ou développé.

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La fin des tensions commerciales entre les USA et la Chine ne semble pas pour demain.

Dans un tel contexte de confrontation, le principal défi sera sans doute celui de convaincre les deux parties de porter leurs antagonismes commerciaux devant l’Organe de règlement des différends (ORD) et ce faisant d’éviter que les relations commerciales internationales ne soient réduites à un rapport de force bilatéral entre les USA et la Chine. Cela est d’autant plus crucial que les arrangements à l’amiable entre les deux pays se traduisent souvent par des engagements d’importation d’un côté ou de l’autre de produits, et pénalisent les autres pays tiers qui doivent subir des restrictions tarifaires. Par ailleurs, les préférences commerciales que s’accordent mutuellement les USA et la Chine nuisent au principe du traitement de la nation la plus favorisée de l’OMC, qui stipule que les avantages et faveurs accordées par un pays à un autre doivent être immédiatement accordés à la totalité de ses membres.

Le chantier des réformes

S’il y a bien un terrain sur lequel, Okonjo-Iweala est attendue, c’est bien celui des réformes. Dans un contexte où les cartes du commerce international ont été rebattues depuis quelques décennies et où la mondialisation est de plus en plus contestée, une refonte de l’OMC semble inévitable.

Ainsi, certains analystes estiment que le rôle de la nouvelle dirigeante sera moins de promouvoir une libéralisation tous azimuts que d’accélérer la mue de l’organisation pour lui permettre de s’adapter aux réalités actuelles comme la lutte contre le changement climatique, la protection de l’environnement et la régulation de l’e-commerce.

Accélérer la mue de l’organisation pour lui permettre de s’adapter aux réalités actuelles comme la lutte contre le changement climatique, la protection de l’environnement et la régulation de l’e-commerce.

D’autres dossiers brûlants seront sur la table comme les subventions aux entreprises industrielles et celles liées au piratage de technologie dont les USA et l’UE accusent la Chine et qui conduisent selon eux à la déstabilisation des échanges mondiaux. A cela s’ajoute, le déblocage des négociations sur les subventions à la pêche qui n’ont pas pu aboutir en 2020 malgré des discussions entamées depuis 2001.

S’il reste improbable qu’Okonjo-Iweala parvienne à s’attaquer seule à tous ces sujets en raison de son pouvoir limité, son principal travail durant les 4 prochaines années pourrait finalement se résumer à un exercice de diplomatie. En d’autres termes, faire comprendre la nécessaire collaboration entre les 164 membres qui décident avant tout de prendre à l’unanimité les grandes décisions ou non. La nouvelle dirigeante sera particulièrement attendue sur ses actions au profit des pays en développement qui représentent désormais ¾ des membres de l’organisation et selon certains, l’avenir de l’OMC. Roberto Azevêdo, son prédécesseur avait déjà appelé à accorder une place centrale à ces pays dans les travaux de l’organisation. Mme Ngozi Okonjo-Iweala devra sans doute prendre le relais.

Moutiou Adjibi Nourou et Espoir Olodo

Moutiou Adjibi Espoir Olodo

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