(Agence Ecofin) - Cette semaine, le prix de l’étain s’est maintenu au-dessus de 39 000 $ la tonne. Si le métal est légèrement en baisse par rapport à son pic de 41 000 $ atteint fin novembre dernier, il réalise malgré tout une belle année 2021 avec une progression de plus de 90% en glissement annuel sur le London Metal Exchange (LME). Alors que la production mondiale est historiquement dominée par deux pays d’Asie, les performances du métal, cette année, sont un rappel aux pays qui disposent de réserves, particulièrement en Afrique, de mieux se positionner sur le marché.
Moins connu que d’autres métaux tels que l’or, le cuivre ou le fer, dont les hausses et les baisses en bourse font régulièrement la une des médias spécialisés, l’étain s’est pourtant attiré tous les regards cette année, en raison d’un déficit important sur le marché, qui a alimenté la hausse de son prix. En novembre, les stocks d’étain dans les entrepôts liés à la LME ont ainsi atteint leur plus bas niveau depuis 1989, année de la relance du négoce du métal. Comme pour plusieurs autres matières premières, il faut souligner que la situation est étroitement liée à la crise sanitaire que vit le monde depuis deux ans.
L’étain est en effet utilisé principalement pour souder les composants électroniques, mais les constructeurs automobiles l’emploient aussi dans les batteries lithium-ion des véhicules électriques.
D’une part, la demande mondiale a explosé pour les appareils électroniques et autres outils technologiques, en raison des restrictions mises en place pour freiner la propagation du virus. L’étain est en effet utilisé principalement pour souder les composants électroniques, mais les constructeurs automobiles l’emploient aussi dans les batteries lithium-ion des véhicules électriques, autre secteur qui fait face à une explosion de la demande. Selon l’Association internationale de l’étain (ITA), la consommation mondiale d’étain raffiné devrait repartir à la hausse cette année, avec une croissance de 7,2%, après un léger ralentissement de -1,6%, l’année dernière. Or, et c’est l’autre conséquence de la pandémie sur le marché de l’étain, l’offre mondiale ne suit pas toute cette effervescence, en raison des perturbations dans la chaine d’approvisionnement, aussi bien au niveau des mines et fonderies qu’au niveau des exportations. Et dans ce cocktail, le moindre choc a favorisé l’augmentation des prix de l’étain. En Indonésie et en Malaisie, par exemple, les mesures de restrictions n’ont pas manqué d’inquiéter le marché, car ces deux pays ont représenté 30% de la production mondiale d’étain raffiné, en 2020.
Namibie et RDC en chefs de file sur le continent
Selon les données de l’ITA datant de 2019, l’Afrique héberge 1,5 million de tonnes de ressources et de réserves d’étain, soit plus de 7% des ressources et réserves mondiales connues. Les pays qui disposent de ces ressources sont, entre autres, la RDC, le Nigeria, le Maroc, le Rwanda, la Namibie, l’Afrique du Sud ou encore l’Egypte. Quelques disparités sont néanmoins à signaler, comme le fait que la production africaine d’étain est essentiellement artisanale, en dehors de la RDC et de la Namibie. De plus, deux ou trois pays seulement assurent l’essentiel de la production du continent.
Les pays qui disposent de ces ressources sont, entre autres, la RDC, le Nigeria, le Maroc, le Rwanda, la Namibie, l’Afrique du Sud ou encore l’Egypte.
En mai dernier, l’éruption du volcan Nyiragongo a rappelé que le cuivre, le cobalt ou encore le coltan, ne sont pas les seuls métaux congolais que tout le monde s’arrache. Quelques jours après le début des coulées de lave, Alphamin Resources a prévenu que ses exportations d’étain pourraient être bloquées temporairement, à cause des perturbations des services gouvernementaux. Si tout est rentré dans l’ordre, la situation aurait pu aggraver le déficit sur le marché, car la compagnie représentait en 2020 environ 4% de l’approvisionnement mondial en concentré d’étain.
Alphamin Resources produit 4% du concentré d’étain dans le monde.
Portée par sa mine Bisie, entrée en production commerciale au troisième trimestre 2019 et dont le gisement Mpama North disposerait de la teneur la plus élevée au monde, avec en moyenne 4,5% d’étain, Alphamin a produit plus de 10 000 tonnes d’étain en 2020. À l’avenir, notons que la RDC peut aussi compter sur le gisement de Manono pour étendre son influence sur le marché mondial. Géré par AVZ Minerals, le projet héberge en effet plus de 264 000 tonnes d’étain et il devrait être exploité comme produit secondaire de la mine de lithium que la compagnie veut construire.
Outre la RDC, la Namibie est le second pays du continent à disposer d’une mine industrielle d’étain opérationnelle. Avant 2019 et l’entrée en production commerciale d’Uis, il faut noter que le pays a déjà joué un rôle non négligeable dans l’industrie mondiale de l’étain par le passé. Découverte en 1911 et exploitée à partir de 1950, Uis a en effet longtemps été la plus grande mine d’étain en roche dure « libre de conflits » au monde.
Uis, en Namibie, se prépare à une seconde vie.
Depuis deux ans, son propriétaire s’attèle à ressusciter ce glorieux passé avec des plans ambitieux. Le projet dispose actuellement d’une capacité de production annuelle de 720 tonnes de concentré d’étain. Mais la compagnie a déjà levé des fonds pour augmenter cette capacité de 67% afin d’atteindre 1200 tonnes de concentré d’étain par an. Alors que les travaux devraient s’achever au deuxième trimestre 2022, AfriTin avance déjà sur la phase 2 de l’exploitation d’Uis, qui devrait consacrer une production annuelle de 10 000 tonnes de concentré d’étain.
Réglementer le secteur artisanal et promouvoir la transformation locale
En 2019, la RDC a produit 13 000 tonnes d’étain d’après l’ITA, essentiellement grâce à l’exploitation artisanale et à petite échelle (ASM), puisque la mine Bisie venait à peine d’entrer en production. L’Association internationale de l’étain estime que sur le continent, la production de concentré d’étain a pratiquement doublé depuis 2015, du fait de l’installation de compagnies étrangères, qui s’accompagne du développement de mines industrielles. Malgré tout, l’ASM représente encore plus de la moitié de la production africaine d’étain. En dehors de la RDC, les pays concernés par le phénomène sont le Burundi, le Nigeria ou encore le Rwanda.
Or, peu importe le métal ou le minerai considéré, l’ASM pose plusieurs défis aux dirigeants africains, en matière de respect des droits de l’homme, de contribution aux recettes publiques ou encore de disponibilité des données sur les estimations de ressources. Si le cobalt ou l’or sont jugés plus stratégiques ou importants, en RDC et au Nigeria notamment, et font donc l’objet d’une plus grande attention, l’envolée historique du cours de l’étain cette année a rappelé aux Etats africains qu’aucune ressource naturelle n’est à négliger.
Si le cobalt ou l’or sont jugés plus stratégiques ou importants, en RDC et au Nigeria notamment, l’envolée historique du cours de l’étain cette année a rappelé aux Etats africains qu’aucune ressource naturelle n’est à négliger.
Les gouvernements concernés doivent donc consentir plus d’efforts pour formaliser aussi l’activité des mineurs artisanaux d’étain, en les enregistrant dans des bases de données et en leur fournissant des permis miniers. La collecte des recettes publiques n’en sera que facilitée, alors que cette production artisanale pourra rejoindre les circuits officiels d’exportation et améliorer la position de ces pays dans l’approvisionnement mondial.
La transformation locale du minerai, l’autre défi majeur.
L’autre défi que doivent relever les gouvernements nigérian, congolais ou rwandais concerne la transformation locale du minerai. Le Rwanda a mis sur pied une véritable politique de construction de fonderies, mais la RDC, après avoir officiellement interdit depuis 2013 les exportations de concentré, a fait marche arrière en 2020. Kinshasa a en effet accordé des dérogations d’une durée indéfinie aux compagnies minières actives dans le pays pour qu’elles exportent divers minerais, dont l’étain.
Kinshasa a en effet accordé des dérogations d’une durée indéfinie aux compagnies minières actives dans le pays pour qu’elles exportent divers minerais, dont l’étain.
Une telle démarche, justifiée par l’insuffisance des capacités nationales de traitement, ne favorise pourtant pas le développement d’une chaine de transformation locale des minerais, véritable outil d’industrialisation pour les pays miniers africains.
Emiliano Tossou
Sofitel Manhattan, NY, USA