(Agence Ecofin) - Si le Ghana est traditionnellement cité parmi les pays qui gèrent le mieux leurs ressources naturelles, on ne peut en dire autant en ce qui concerne le management de son secteur énergétique. Depuis six ans, le pays paie un lourd tribut à de mauvaises politiques électriques et la situation pourrait être pire au cours des prochaines années, notamment avec le gaz naturel liquéfié.
En 2001, le barrage d’Akosombo, principal barrage hydroélectrique du Ghana fait face à un niveau d’eau bas et se retrouve incapable de produire à pleine puissance pour satisfaire la demande de la population. Le délestage électrique persistant qui s’ensuit entraîne des pertes estimées à plusieurs milliards de dollars pour l’économie, jusqu’en 2008 où le problème est partiellement résolu.
Les Ghanéens ont appelé toute cette affaire « Dumsor ».
Mais en 2012, suite à la coupure accidentelle du gazoduc ouest-africain qui achemine du gaz nigérian vers les centrales du Ghana, le pays plonge à nouveau dans le noir.
Mais en 2012, suite à la coupure accidentelle du gazoduc ouest-africain qui achemine du gaz nigérian vers le Ghana pour les centrales, le pays plonge à nouveau dans le noir.
D’après un rapport de l’Institut de recherche statistique, sociale et économique (ISSER), de nombreuses entreprises ghanéennes mettent alors la clé sous la porte en raison de l'irrégularité de l'alimentation électrique. Toujours d’après le même document, en 2014, les caisses publiques signalent plus d’un milliard de dollars de recettes perdues à cause de la situation. Le phénomène appelé au niveau local « Dumsor », contraste avec la croissance économique robuste du pays et le début de la production de pétrole et de gaz en mer. Il est devenu la hantise des populations ghanéennes.
Imagine Mahama had won the elections, then dumsor start again. Ghanaians would have lynched this man...
— C-Real (@C_RealMC) March 16, 2021
En 2015, le président John Dramani Mahama, décide, comme promis pendant sa campagne électorale, de renverser la tendance. Rapidement, plusieurs contrats de construction de centrales électriques avec des producteurs indépendants sont signés pour doper la capacité de production électrique nationale qui n’est que de 600 MW. Les usines électriques poussent comme des champignons. Une douzaine de producteurs privés doivent générer l’électricité et la revendre ensuite à l’État. Les contrats sont régis par le modèle Take-or-pay, qui contraint Accra à acheter leur production électrique ou à payer une pénalité.
Selon des analystes, dans sa précipitation et son besoin de gagner en popularité, le pouvoir ouvre la porte à des contrats dont les tarifs sont jugés trop élevés.
Dans sa précipitation et son besoin de gagner en popularité, le pouvoir ouvre la porte à des contrats dont les tarifs sont jugés trop élevés.
Aujourd’hui, le Ghana produit 2700 MW, dont la moitié est générée par les producteurs indépendants. Mais le constat est fait que les frais de cession de l’électricité par les producteurs privés sont trop élevés. Ainsi, le modèle du Take-or-pay va très vite se heurter aux difficultés financières et opérationnelles de l’État.
Akufo Addo has kept quiet about the ongoing dumsor#KumiprekoReloaded pic.twitter.com/Rr9dzOUhY9
— King Louis Ofori-Atta (@LouieXiii131) March 23, 2021
N’étant pas préparé à une embellie aussi rapide de sa capacité électrique, le pays n’a pas le temps d’investir dans les projets de raccordements. ECG, le distributeur public d’électricité, n’arrive pas à distribuer et à commercialiser toute la puisance électrique dont il dispose. Cela empêche l’État d’honorer ses engagements d’achat d’électricité, mais il doit quand même passer à la caisse conformément au Take-or-pay. Cette obligation coûte 500 millions de dollars par an au Ghana, pour de l’électricité non utilisée.
La somme est colossale et le pays qui dépend de plus en plus de ses exportations de pétrole, va connaitre des difficultés pour effacer cette ardoise, en raison de la faiblesse des cours de l’or noir. Sa dette électrique va se creuser progressivement, ce qui va contraindre les producteurs indépendants à menacer collectivement le gouvernement d’arrêter leurs centrales. Le danger plane sur toute l’économie, mais aussi sur la paix sociale.
Sa dette électrique va se creuser progressivement, ce qui va contraindre les producteurs indépendants à menacer collectivement le gouvernement d’arrêter leurs centrales. Le danger plane sur toute l’économie, mais aussi sur la paix sociale.
En 2020, l’État ghanéen doit près de 1,5 milliard de dollars aux producteurs indépendants, et entreprend de renégocier ses contrats d’achat de courant. La Task force de redressement du secteur électrique (ESRTF) engage des pourparlers avec les producteurs d’énergie indépendants opérant dans le pays. « C’est une phase importante du Programme de redressement du secteur électrique (ESRP). Le programme permettra de conduire à terme l’agenda d’industrialisation du gouvernement et de soutenir notre économie en créant un secteur électrique plus équilibré et plus efficient. Nous apprécions la coopération des producteurs indépendants et leurs efforts et désirons poursuivre cette coopération et ce partenariat sur le long terme », a affirmé l’ESRTF dans un communiqué.
Today, we are told Dumsor is back. Smh https://t.co/84CeLqZs1R
— Ayawaso Chief Whip?? (@AyeBoafo6) March 25, 2021
À ce jour, seulement trois des douze producteurs présents dans le pays ont accepté de réduire les tarifs facturés à l’Etat, mais aucun n’a accepté de cesser de facturer au gouvernement l’énergie qu’il ne consomme pas.
À ce jour, seulement trois des douze producteurs présents dans le pays ont accepté de réduire les tarifs facturés à l’Etat, mais aucun n’a accepté de cesser de facturer au gouvernement l’énergie qu’il ne consomme pas.
Pour son second mandat, le président Nana Akufo-Addo, a placé la renégociation de ces contrats au cœur de sa politique énergétique. Le ministre de l’énergie, Matthew Opoku Prempeh veut non seulement renégocier les contrats d’électricité avec les producteurs privés, mais souhaite une approche différente pour la privatisation de la compagnie publique de distribution d’électricité.
Un bis repetita dans le GNL ?
En mai 2018, Shell signe avec la société publique ghanéenne du pétrole (GNPC), un accord de vente qui va permettre une livraison d’environ 1,7 million de tonnes par an de gaz naturel liquéfié (GNL) pendant 12 ans.
Ce gaz permettra d’approvisionner le terminal de regazéification de GNL de Tema (Tema LNG), dont l’objectif est de fournir du gaz aux consommateurs industriels, puis aux centrales. Le terminal d’une valeur de 350 millions de dollars est entré en activité il y a quelques mois.
Toutefois, le directeur exécutif de l'Africa Centre for Energy Policy (ACEP), Benjamin Boakye, exprime son inquiétude quant à l'accord, citant l'incapacité du pays à consommer le GNL importé, la production nationale étant capable de satisfaire la demande.
« Il n'y a pas de consommation que l'on peut mettre en place pour absorber l'excédent de gaz que nous allons importer au Ghana. Nous ne ferons qu'imposer ce fardeau financier aux Ghanéens et nous devons prendre des mesures pour ne pas en arriver là », avertit-il.
« Il n'y a pas de consommation que l'on peut mettre en place pour absorber l'excédent de gaz que nous allons importer au Ghana. Nous ne ferons qu'imposer ce fardeau financier aux Ghanéens et nous devons prendre des mesures pour ne pas en arriver là », avertit-il.
Face au tollé soulevé dans l’opinion par cette déclaration, le PDG de la GNPC, le Dr Kofi Koduah Sarpong, cite plusieurs mesures qui ont été mises en place pour prévenir toute situation d'excès de gaz. Le Ghana aurait, d’après lui, réussi à renégocier les termes du contrat de livraison du GNL. Les nouveaux volumes de livraisons devraient progressivement monter entre la première année et la quatrième année de l’exploitation du terminal de Tema LNG.
Par ailleurs, le pays détient d’immenses réserves de gaz naturel, dont une partie est monétisée sur les champs de Jubilee, les champs de TEN et Sankofa Gye Nyame. Lorsqu'elles seront pleinement développées, les découvertes de Mahogany et Teak contribueront à gonfler la production nationale de gaz, alors même que le pays continue de faire de nouvelles découvertes. En dépit de ces arguments, Benjamin Boakye maintient que le risque de surplus du GNL dans les prochaines années est inévitable.
Say the word, Designer. It's called "Dumsor". Say it. Blame it on Nana Addo like you did under Mahama. Tell us about Gen business in Nairobi, senior. Sing carol's too ?? https://t.co/jLm4vicN5l pic.twitter.com/y6GUcFtXlW
— Receipts Guy (@receiptsguy) March 25, 2021
Il faut savoir que la dette énergétique du pays est actuellement d’environ 3,2 milliards de dollars, celle liée à l’importation de produits pétroliers comprise. Si aucune mesure concrète n’est prise, la dette pourrait atteindre 12,5 milliards de dollars, d’ici 2023. D’où la nécessité de renégocier les contrats d’achat de courant électrique et de veiller à ne pas se retrouver en situation d’excès avec le GNL. Faute de quoi, le contribuable ghanéen devra passer à la caisse encore longtemps…
Olivier de Souza