(Agence Ecofin) - A l’instar d’autres puissances étrangères, la Turquie souhaite renforcer ses relations avec l’Afrique. Pour promouvoir sa collaboration avec les pays du continent, le gouvernement turc a mis les médias au centre de sa stratégie africaine.
Le 27 mai dernier, au terme du sommet Afrique-Turquie sur les médias, de nombreux journalistes africains se sont réjouis des opportunités disponibles. « Ce sommet en Turquie m’a permis de rentrer en contact avec des responsables d’agences de presse, de relancer et d’affiner les partenariats mis en veilleuse par la COVID 19 », s’est réjoui Barry Sana Oumou, directrice centrale de l’Agence ivoirienne de presse (AIP). Mais plus que les partenariats, selon la direction de la communication de la présidence turque, « les participants y venaient pour entendre le point de vue de la Turquie sur ses relations avec l’Afrique ».
Les médias, un outil assumé du soft power turc
L’utilisation des médias dans la promotion de l’image nationale est un procédé usuel pour la diplomatie turque. Ils sont aussi importants que les instituts Yunus Emre, équivalents turcs du centre culturel. Par exemple, dans le but de se donner une meilleure image au Moyen-Orient, le gouvernement turc a donné une place importante dans sa diplomatie au réseau public de télévision et de radio (TRT), à travers la publication d’informations, la diffusion de séries et de films, puis le développement de chaînes de télévision.
En 2010, la Radio-télévision turque (TRT) a lancé une chaîne de télévision en langue arabe connue sous le nom TRT ETTÜRKİYE au Moyen-Orient et dans la péninsule arabique. Il s’agit de la première station de télévision turque à émettre des programmes exclusivement dans une langue autre que le turc. Pour la Direction générale de la TRT, cette chaîne est « le visage de la Turquie s’ouvrant sur le Moyen-Orient ».
Dans la foulée, en 2011, plusieurs studios de production ont été ouverts en Égypte, en Arabie saoudite, en Jordanie, en Syrie et au Qatar. Malgré tout, c’est en 2014 que les médias ont pris la place centrale dans le soft power turc. En fait, dès l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan, son premier ministre Ahmet Davutoğlu fait des médias l’outil principal de promotion du pays.
Une étude de 2016 avait pour but de mesurer l'impact des feuilletons turcs sur le téléspectateur arabe, au Maroc et au Yémen. « Les résultats de l'enquête montrent que 57,1% des participants passent plus de 3 heures à regarder la télévision. Plus de 79% d'entre eux regardent les feuilletons turcs. » Accompagnée de prises de positions politiques contre Israël, le travail des médias turcs augmente considérablement la popularité de la Turquie dans le monde arabe. C’est ce travail de promotion qu’espère reproduire la diplomatie turque en Afrique grâce aux médias.
Les médias pour promouvoir un discours turc Afrique
En Afrique, la Turquie compte essentiellement sur les médias africains pour lui donner une image bienveillante et compatissante sur les problèmes du continent. En encourageant les partenariats entre médias turcs et africains, Fahrettin Altun, directeur de la communication de la présidence, souhaite avoir une caisse de résonnance africaine pour le discours adopté par son pays. « La Turquie ne reçoit d'ordre d'aucune puissance étrangère, nous tenons tête aux injustices mondiales, nous croiserons le fer avec l'industrie du mensonge et de la délation d'où qu'elle vienne. Nous nous opposerons à l'industrie de la terreur », a-t-il déclaré avec des éléments de langages rappelant ceux utilisés par la Russie pour s’attirer la sympathie de pays africains.
Pour Fahrettin Altun, qui s’exprimait durant le sommet, « la Turquie était l’un des pays qui souffrait le plus de diffamation et de campagnes mensongères ». Pour lutter contre cette désinformation en Afrique, il a rappelé la présence de « l’agence officielle » Anadolu et de TRT en Afrique. Il a également annoncé le lancement d’une plateforme numérique de diffusion en français, avec l’objectif d’atteindre l’Afrique « dans les plus brefs délais ». Sur une base régulière, Anadolu, l’agence de presse turque, publie des articles portant un message différent de celui des messages occidentaux sur l’Afrique. « Les médias turcs en Afrique doivent relever le défi de briser le stéréotype raciste selon lequel nous (les Africains; NDLR) sommes considérés comme des "sauvages noirs", une vision xénophobe du monde qui domine encore l'attitude des pays développés », a, par exemple, sous-titré Anadolu le 24 mai dans un article sur le paysage médiatique africain.
Dans un contexte marqué par un désamour croissant des médias occidentaux, notamment français et américains, la stratégie pourrait marcher. Accompagnés des feuilletons turcs, très appréciés en Afrique, les médias turcs veulent être les principaux vecteurs de la réussite de leur pays en Afrique. C’est en tout cas ce qu’espèrent les autorités turques, vu l’accent mis sur la collaboration médiatique. Raison pour laquelle le secteur a bénéficié de la première rencontre spécialisée entre la Turquie et l’Afrique.
Servan Ahougnon
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