(Agence Ecofin) - Carbon Tracker’s, est un think tank financier qui s’est donné pour but d’accélérer la mutation nécessaire au secteur financier pour une atteinte des différents objectifs climatiques. Pour y arriver, l’organisation vulgarise les arguments financiers, militant en faveur d’une mutation des mécanismes d’investissement. Sa principale mission : informer sur les risques liés aux actifs financiers fossiles. Entretien avec Luke Sussams, l’un des chercheurs principaux de l’organisation.
Quels sont les risques financiers associés aux investissements dans les actifs fossiles tels que le charbon, le pétrole et le gaz, et dans quelle mesure peut-on les réduire ?
Carbon Tracker’s : Les recherches de Carbon Tracker’s ont révélé que deux tiers des réserves mondiales de charbon, de pétrole et de gaz ne peuvent pas être exploités si nous voulons réduire le réchauffement à 2°C. Nous appelons ces réserves, les « strandedassets », en français, actifs bloqués. En dépit du fait que nous ayons déjà largement plus de réserves que nécessaire, les compagnies d’hydrocarbures continuent à investir dans des actifs qui ne sont plus compatibles avec nos ambitions énergétiques. Notre dernier rapport intitulé The danger zone, a révélé que durant les dix prochaines années, environ 2200 milliards $ sont prévus pour le développement de projets de charbon, de pétrole et de gaz, ce qui n’est ni nécessaire ni compatible avec une réduction à 2°C du réchauffement. Si la transition vers une économie plus écologique se fait plus rapidement que l’ont prévu les entreprises qui effectueront ces investissements, cela conduira à une perte de capital et par conséquent à des pertes pour les actionnaires.
Ces risques peuvent être réduits. Nous recommandons aux entreprises concernées d’aligner leurs plans de développement sur la trajectoire des 2°C. Cela impliquera d’investir dans ses projets qui sont financièrement viables et durables dans un monde où la demande et le niveau des prix correspondent avec une élévation de température en dessous de 2°C. Ainsi, le capital initialement destiné à produire du pétrole et du gaz pourra être retourné aux actionnaires sous forme de dividendes.
Pensez-vous que les investisseurs sont conscients de ces risques et, le cas échéant, pourquoi continuent-ils à injecter des fonds dans ces actifs ?
CT : Les investisseurs prennent progressivement conscience des risques financiers liés à ces actifs fossiles bloqués. Par exemple, le fonds souverain norvégien, le plus grand fonds au monde avec un capital d’environ 840 milliards $, a revu les risques associés à ses entreprises pétrolières et décidé de céder certaines d’entre elles pour des motifs purement financiers. De manière plus générale, la majorité des banques d’investissement ne financeront bientôt plus de projets de charbon. Le dernier exemple est la JP Morgan qui a annoncé en mars dernier qu’elle ne financerait plus ce type de projets.
Selon les rapports, l’année 2015 a été la première au cours de laquelle les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé ceux qui sont investis dans les énergies fossiles avec 367 milliards $ contre 253 milliards $ pour les énergies fossiles.
Cependant, il existe une inertie dans le système financier qui fait croire à la majorité des investisseurs que l’industrie de l’énergie fossile demeure un placement financier sûr. Il y a de nombreux exemples à travers le monde qui prouvent que ce n’est plus le cas et, par conséquent, cette habitude doit être changée.
Comment informez-vous les investisseurs sur ces risques et comment pouvez-vous aider à une transition vers des sources d’énergie plus vertes ?
CT : Nos recherches mettent en évidence les risques associés aux investissements dans les énergies fossiles. Ainsi, nous augmentons la connaissance des risques liés au climat. Nos travaux sont également ouverts au grand public et ce, gratuitement. Ils sont en outre très fiables car notre équipe est entièrement composée de spécialistes en analyse de placement financier. Nous orientons actuellement nos recherches vers les opportunités potentielles d’une transition vers une économie basse carbone et nous espérons que les résultats pourront aider les institutions à mieux appréhender la nature du secteur énergétique global.
Quel public ciblent vos différentes recherches ?
CT : Nous avons conduit des études spécifiques pour certains des plus grandes compagnies d’énergies fossiles au monde, dont Shell, ExxonMobil et Chevron. Ces études, qui peuvent être trouvées sur notre site internet, analysent les projets des compagnies à la recherche des facteurs de risque.
En outre, il peut y avoir une contradiction entre les informations communiquées par ces compagnies à leurs investisseurs et leurs politiques d’investissement. Dans ces cas, nous sommes naturellement plus intéressés par les habitudes des plus grandes compagnies d’énergies fossiles au monde que nous expliquons au public.
Quel a été votre plus grand succès jusque-là ?
CT : Nous avons eu un certain nombre de succès notoires. Au plus haut niveau, nous sommes parvenus à établir les concepts d’actifs bloqués (Strandedassets), de ressources fossiles inexploitables (Unburnablecarbon) et de bulle carbone (Carbon Bubble) dans le milieu environnemental, ainsi qu’au sein des services environnementaux de nombreuses institutions financières. Nos recherches ont conduit la Banque d’Angleterre à lancer une enquête spéciale sur les risques financiers potentiels liés au réchauffement climatique à travers la création de la Task Force on Climate-Related Financial Disclosure.
Le marché du charbon a connu des difficultés à cause du ralentissement de la demande chinoise. Pensez-vous que cette baisse se prolongera ?
CT : Comme mentionné plus tôt, un certain nombre d’institutions financières ont cédé leurs avoirs dans le domaine du charbon parce qu’elles ont senti un déclin de cette industrie. Selon nous, l’un des éléments clés de ce retrait a été la baisse observée sur le marché chinois du charbon. La consommation de ce combustible a diminué en Chine et nous pensons que cette baisse se prolongera. Ce phénomène est le résultat d’une transition vers une économie de services et la reconnaissance du lien de causalité entre la pollution atmosphérique et l’utilisation du charbon. Nous affirmons que le développement de l’utilisation du charbon dans d’autres domaines au sein des pays en développement ne compensera pas le déclin observé en Chine. Après tout, le pays consomme la moitié de la production actuelle de charbon.
Pour un continent comme l’Afrique, qui mise encore massivement sur les énergies fossiles, quel sera l’impact de la transition que vous prônez ?
CT : L’Afrique est considérée par l’industrie des énergies fossiles comme l’un des marchés clés du futur. Cette classification a été induite par les prévisions en matière de croissance démographique et économique.
Il y a heureusement un argument financier qui milite en la faveur du passage direct vers les énergies basses carbone. Cela pourrait être plus économique que d’adopter les technologies fossiles selon les recherches, et cela permettrait aussi de se rapprocher des technologies utilisées dans les pays développés. L’Agence internationale de l’énergie a conclu que le coût combiné de construction du réseau et de connexion aux centrales électriques traditionnelles est bien plus élevé que celui de la mise en place des solutions off-grid telles que les minicentrales solaires photovoltaïques, éoliennes et hydroélectriques. Cela s’explique par le fait que la majorité des personnes qui n’ont pas accès à l’énergie en Afrique sont dans des régions rurales où le coût d’installation d’un réseau électrique pourrait être substantiel. En outre, des études menées par notre organisme ont démontré que seulement 7% des pays africains faiblement électrifiés ont accès à des sources de charbon. Tous les autres devront en importer, ce qui est très coûteux.
Quels sont les changements qui devront être faits sur les marchés financiers afin de permettre un meilleur développement des énergies renouvelables ?
CT : Il y a plusieurs manières de mieux intégrer les risques liés aux changements climatiques sur les marchés financiers. Les risques climatiques devraient être pris en compte en leur octroyant de nouveaux crédits. Il s’agit d’un processus que la Banque industrielle et commerciale de Chine, la plus importante banque du pays, a déjà entamé.
Propos recueillis par Gwladys Johnson pour le magazine Energies Africaines no7
Abidjan, Côte d'Ivoire. Une plateforme de mise en relation entre les entreprises allemandes et leurs homologues de l’Afrique francophone.