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Point de vue

L’Afrique est la mémoire de l’avenir

L’Afrique est la mémoire de l’avenir
  • mercredi, 18 mai 2011 14:45

Aujourd’hui, comme depuis longtemps, on dit « qui veut la paix, prépare la guerre ». Et on est toujours en train de préparer la guerre, mais c’est pour le seul bénéfice des producteurs d’armements.

Propos recueillis par Chérif Elvalide Seye, pour le journal Les Afriques.

Aujourd’hui, la guerre coûte chaque jour 4 milliards de dollars, alors que des personnes meurent de faim, que des personnes vivent dans la pauvreté la plus absolue. C’est un problème de conscience collective. C’est une honte que nous ne pouvons plus accepter. Il y a là un génocide permanent de plus de 60 000 personnes dont 35 000 enfants, chaque jour. Qu’est-ce que cela ?
Ce qui a aussi été terrible pour nous tous, c’est en 2008, la grande crise financière américaine. Pour sauver les financiers qui étaient responsables en plus grande partie de la crise, on a trouvé 700 milliards de dollars aux Etats-Unis, et en Europe, 400 milliards ! Mais, pour le sida, pour les maladies de la femme, de l’enfant, pour la lutte contre la pauvreté, il n’y avait pas d’argent.
C’est la grande guerre dans laquelle, je suis engagé désormais. Comme professeur de biologie moléculaire, j’ai beaucoup travaillé sur le cerveau de l’enfant et fait un grand plan national pour la prévention des enfants handicapés. Mais, maintenant, je vais me consacrer à la paix. Je suis aujourd’hui dans cette mission d’essayer de convaincre tout le monde que le temps du silence est fini. Que nous ne pouvons plus être des spectateurs et laisser faire les gouvernements, les oppositions.
Nous pouvons, nous les citoyens, nous exprimer maintenant. Voyez ce qui s’est passé en Iran, en Chine, en Tunisie, en Egypte. Maintenant, les citoyens peuvent s’exprimer. Ils ne sont des spectateurs, des récepteurs de ce qu’on leur dit, de ce qu’il faut faire. Les moments que nous vivons sont fascinants. Vous vous rappelez que la charte des Nations Unies commence d’une façon très belle. C’est le groupe de Roosevelt qui avait écrit « Nous le peuple, nous avons décidé d’éviter à nos enfants l’horreur de la guerre ». Peut être à ce moment était-ce trop tôt. Maintenant, le moment est arrivé.
 
J’ai une fondation qui s’appelle « Culture de Paix » parce que je pense qu’il faut passer d’une culture de guerre à une culture de paix, tout simplement. Et c’est par l’éducation, par la démocratie, par les droits de l’homme, par l’égalité, l’équité entre hommes et femmes, par le développement soutenable. Nous consommons chaque jour plus de pétrole. Ce qui est en train de se passer est horrible parce que, nous pouvons arriver à des dommages irréversibles dans l’environnement. Comment pouvons-nous jouer avec la qualité de vie de nos descendants ? Comment ? C’est le néolibéralisme de M. Reagan et Mme Thatcher qui nous a amenés à un énorme piège. En 1981 déjà, j’avais annoncé l’effondrement de l’Union soviétique parce que ce système, basé sur l’égalité, avait oublié la liberté. Je dis maintenant que l’alternative aussi va s’effondrer parce que, basée sur la liberté, elle oublie l’égalité. C’était clair. Vous ne pouvez pas dire, « pas de justice sociale, pas de solidarité. Maintenant, le marché ! » Et que le marché va s’autoréguler, éliminer les paradis fiscaux. Ils savaient que ce n’était pas vrai du tout. C’était précisément tout le contraire. Il s’agissait au contraire de voir comment gagner davantage, d’y convertir même les pays communistes. Nous avons fait de la Chine, avec la délocalisation productive, l’envers de ce que tout le monde peut imaginer de ce qu’un grand pays communiste devrait être. Quelles sont toutes ces incohérences ? Incohérences environnementales ? Ces délocalisations productives ? Ces incohérences de régulation des finances ?
 
L’hégémonie américaine, avec le Royaume Uni, s’est substitué au système des Nations Unies qui représente toutes les nations, le G6 des 6 pays les plus riches du monde, puis des 8 en ajoutant le Canada, la Russie. Maintenant, M. Obama a trouvé le G20, mais, c’est toujours être dirigé par les riches. Tout cela va contre l’essentiel de l’être humain, l’égalité, la dignité. Nous ne pouvons pas accepter être dirigés par les riches qui nous ont mis dans une crise multiple.
 
C’est une crise systémique parce que c’est le système tout entier, dans ses dimensions éthique, démocratique, politique qui est en cause. Le marché est en train de secouer la politique. Les politiques sont comme des feuilles au vent du marché. Les agences de qualification, quelle histoire ! Ils ont décidé qu’il faut dégrader des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Irlande. Qu’est-ce que cette histoire ?
La crise n’est pas seulement financière. Elle est aussi environnementale, alimentaire. Grâce précisément en partie à l’Unesco, le taux de croissance démographique a diminué, en Inde, en Chine… Le monde est en train d’équilibrer un peu sa croissance, mais en même temps, il y a une plus grande longévité et donc, beaucoup de besoins alimentaires, pétroliers. Mais le paradoxe est que, au lieu de diminuer, le prix du pétrole augmente quand la production augmente. Et quand on fait recours au biocombustible, les prix des aliments augmentent. Maintenant, il faut un changement radical. Il faut refonder les Nations Unies. Il faut des Nations Unies qui soient unies, parce que les Nations Unies maintenant sont désunies. C’est pourquoi, le conseil de sécurité peut prendre les décisions qu’il a prises contre la Libye. Nous ne pouvons pas accepter qu’on nous dise tout à coup que Kadhafi est un dictateur, et qu’il faut geler son argent en Suisse. La honte, c’est qu’il a beaucoup d’argent en Suisse et dans d’autres pays européens ! Ils l’ont aidé à garder cet argent dans des paradis fiscaux. Il n’était pas moins dictateur qu’aujourd’hui !
Nous vivons un moment fascinant, à la fois de grande confusion, avec des problèmes de délocalisation productive, de financements du marché qui empêchent l’action politique. Mais, en même temps, pour la première fois, le citoyen peut s’exprimer. Pour la première fois, il peut dire, « C’est fini. Nous n’acceptons plus tout cela ». La vague qui a commencé en Tunisie ne va pas s’arrêter. En Italie, un million de femmes se sont levées contre M. Berlusconi. Au Royaume-Uni, les étudiants ont mené une grande action contre les mesures prises pour les universités par M. Cameron.
 
Quand l’Europe a eu besoin des immigrants, en Espagne par exemple pour construire des bâtiments, le Premier ministre disait « voyez ce nous faisons ! ». C’était un appel migratoire énorme. Après, vous ne pouvez pas dire « ah ! maintenant, c’est fini » parce que la bulle immobilière a explosé. Chaque être humain a la même dignité. Cela est essentiel pour un ancien directeur général de l’UNESCO et pour un citoyen du monde comme moi, et pour mon prédécesseur Amadou Mahtar Mbow, à l’anniversaire duquel, je suis venu à Dakar.
 
A mon avis l’Afrique a un grand rôle à jouer parce que vous êtes le seul témoin de toute l’histoire du monde. Vous êtes le continent qui a le plus été exploité, vexé, humilié. Vous nous donnez dans plusieurs pays des exemples. Vous nous donnez une sagesse concernant l’éducation, la façon d’administrer, surtout à l’échelle locale, municipale. Vous nous donnez tellement d’exemples que je pense qu’aujourd’hui, nous avons besoin de vous, plus que jamais. Mais là, à nouveau, il faut commencer par un changement de l’attitude occidentale. Nous ne pouvons plus vous exploiter. Et vous savez ce qui se passe avec votre coltan. Et vous savez la façon dont on exploite votre or, votre bauxite, etc. C’est pour cela que je pense que nous sommes dans un moment fascinant parce que l’Afrique peut dire « Halte ! Ce que vous faites avec nous est absolument inacceptable ». Mais, nous devons être tous ensemble, maintenant, dans le monde.
J’étais tellement heureux le jour où un noir est devenu président des Etats-Unis. Moi, j’ai vécu le Ku Klux Klan. J’ai vu les inscriptions « No blacks, no dogs ». Il faut avoir bonne mémoire. Il faut apprendre des leçons de l’histoire et l’Afrique a une grande leçon à nous donner. Mais surtout, ensemble, nous devons dire que ce qui nous intéresse, c’est la mémoire de l’avenir. L’avenir c’est la seule chose vraiment importante parce que le passé, vous pouvez le décrire, l’analyser, il est déjà passé. Par contre, nous pouvons ensemble bâtir maintenant, faire un nouveau dessin de l’avenir. Et pour ce dessin, nous avons besoin de l’Afrique.

Federico Mayor, ex-directeur général de l’Unesco
 
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