Le PDG de la banque marocaine affiche son optimisme sur l'Afrique. Et détaille la stratégie de la banque qu'il dirige.
Qu'est-ce qui vous amène à demeurer optimiste sur l'Afrique, malgré les convulsions en Egypte et Tunisie ?
Mohamed El Kettani : L'Afrique a énormément changé depuis cinq ans , peut-être en avons-nous insuffisamment conscience en Europe. C'est l'une des poches de croissance forte des trente ans à venir, à l'issue desquels elle comptera environ 2,5 milliards d'habitants, un quart de l'humanité. Les effectifs de ses classes moyennes, près de 300 millions de personnes aujourd'hui, vont vraisemblablement doubler d'ici à 2030, grâce à ses PME, cœur du développement des sociétés, exigeant un accompagnement stratégique à l'instar de celui des grands travaux d'infrastructures et du commerce international. Et, sauf exceptions, je ne vois pas de phénomène de bulle immobilière, boursière ou de crédit.
Les investissements d'infrastructures, dans les routes, les télécoms, les aéroports, l'électricité, l'irrigation dépasseront aisément les 100 milliards de dollars sur cinq ans. Ensuite, il existe aujourd'hui une véritable prise de conscience de la nécessité d'instaurer un nouveau mode de gouvernance, avec notamment une justice indépendante, grâce auquel le continent pourrait même doubler son taux de croissance, qui a tout de même atteint 5% par an depuis le début du siècle.
Cette croissance semble tout de même beaucoup dépendre de la demande chinoise en matières premières. Et l'Europe dans tout ça ?
Elle a suffisamment de ressort pour surmonter la crise de la dette publique, mais il est aussi vrai que c'est l'une des rares zones du monde en croissance nulle. L'Europe semble en retrait en Afrique, du moins rapporté au rythme de progression asiatique, en particulier la Chine, mais aussi l'Inde, la Turquie, le Japon, la Corée. La crise de 2008 a accéléré la tendance, le commerce de l'Afrique avec la Chine a été multiplié par 14 en dix ans.
Comment votre banque AWB compte-t-elle contribuer à cette dynamique ?
Nous avons une stratégie de développement international soutenue par nos actionnaires de référence [dont la Société nationale d'investissements, contrôlée par la famille royale marocaine, NDLR]. Nous avons acquis dix banques en six ans et allons nous implanter au Niger et au Bénin. Nous comptons aussi nous développer dans l'Afrique anglophone et lusophone. En cela, nous rendons hommage aux collaborateurs des entités du Groupe dans les pays d'accueil, lesquels, en partageant la conviction de l'enrichissement par l'intégration Sud-Sud, ont permis d'accélérer l'internationalisation d'Attijariwafa Bank à l'échelle continentale.
Aussi, nous sommes une banque généraliste universelle, qui mise sur le développement des TPE, trop souvent obligées de se financer à des taux prohibitifs dans le secteur informel alors qu'elles sont essentielles au décollage économique. Ce décollage est aussi nourri par une hausse du taux de bancarisation, qui oscille encore entre 5 et 8% au sud du Maghreb. Au Maroc, nous avons contribué à le faire doubler en quelques années, à plus de 50%, grâce notamment aux comptes «Bikher» («ça baigne») et à des agences au style modeste, qui n'intimident pas les clients.
En revanche, les résultats sur la banque par téléphone portable laissent sceptiques. Certes, nous avons un projet pilote au Mali, mais il semble que la gestion des flux d'argent au quotidien nécessite des opérations matérialisables par le client. A l'échelle régionale, nous avons mis en place une plate-forme : le Forum international Afrique Développement, qui réuni plus d'un millier d'opérateurs économiques et de décideurs de 12 pays africains (la deuxième édition s'est tenue en novembre dernier) afin de préétablir des joint-venture, des partenariats, des opérations de «trade», et de catalyser les opportunités d'investissements et de croissance dans chacun et entre les pays de la région.
Le Maroc semble mieux se porter économiquement que ses voisins, pour lesquels le printemps arabe avait fait naître beaucoup d'espoirs. Comment expliquez-vous cette résilience ?
Le pays dispose du même système monarchique depuis douze siècles, ce qui donne une légitimité forte au régime, qui a toujours misé sur le développement du secteur privé et réalisé des réformes institutionnelles précoces. Par exemple, il a instauré le premier conseil de la concurrence du continent, la première instance de lutte contre la corruption, rédigé un Code de la famille à une époque où ces sujets étaient tabou.
Le Maroc est aussi le seul pays du continent, avec l'Afrique du Sud, dont le système bancaire est conforme aux normes de Bâle II. A ce sujet, nous avons toujours, sous l'égide d'une banque centrale considérée comme la meilleure du continent, refusé la sophistication dangereuse du métier. Par exemple, les normes Bâle III en discussion comptent 500 pages de textes et 78 équations, qui doivent pour l'essentiel encadrer des activités de spéculation, que nous ne pratiquons pas. L'essentiel de notre travail est corrélé à l'économie réelle. Nos homologues occidentales ont beaucoup souffert d'avoir suivi les sophistications financières de brillants jeunes mathématiciens. Et je me souviens encore, lorsqu'en 1997, mon ex-président [à l'ex-Banque commerciale du Maroc, NDLR] et moi avions reçu un banquier de renommée qui nous proposait des produits dérivés, mon PDG lui rétorqua : «Je préfère gagner de l'argent bêtement qu'en perdre de manière intelligente.»
Par Yves Bourdillon, Les Echos
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/interview/0202557505819-mohamed-el-kettani-l-afrique-est-l-une-des-poches-de-croissance-forte-des-30-ans-a-venir-536920.php
Mohamed El Kettani, PDG d'Attijariwafa bank, s’exprime dans le journal français « Les Echos »
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