Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

Hôtel Rixos: journalistes «assiégés» et versions contradictoires

  • jeudi, 25 août 2011 16:28

Propagandes tous azimuts à Tripoli

Une quarantaine de journalistes étrangers sont restés coincés plusieurs jours dans un hôtel de Tripoli, au milieu des combats, maintenus à l'intérieur par des hommes armés. L'hôtel Rixos est situé à un kilomètre du QG du colonel Kadhafi, pris par les rebelles dans la journée du mardi 23 août.

Les journalistes présents sur place, dont un salarié de l'AFP, affirment avoir été assiégés quatre jours par des partisans du dictateur. Mais l'animateur du Réseau Voltaire Thierry Meyssan, proche du régime et lui aussi présent dans l'hôtel, assure que ce sont les rebelles et les forces de l'OTAN qui ont pris les journalistes pour cible.

Les journalistes sont sortis de l'hôtel. Aucun n'est blessé. Ce mercredi 24 août, CNN a annoncé vers 16h30 que les 37 journalistes recensés par Reporters sans frontières comme retenus à l'intérieur de l'hôtel Rixos depuis dimanche 21, étaient désormais libres de leurs mouvements.

Selon l'AFP, qui comptait un journaliste sur place, des soldats en armes les ont maintenus, dès dimanche après-midi dans l'hôtel, où loge la presse internationale, mais qui faisait aussi apparemment office de siège du régime. Durant les derniers jours, des hommes armés entraient se ravitailler ou faire un tour de surveillance dans l'hôtel, et Seif al-Islam, le fils de Kadhafi d'abord annoncé comme capturé par la rébellion, y était même venu.

Le personnel de l'hôtel avait quitté les lieux, suivi par les soldats « après la prise du QG de Kadhafi, laissant une poignée derrière eux habillés en civil et armés de kalachnikov ». Lundi, le correspondant de la BBC, Matthew Price, avait évoqué sur son antenne une situation "désespérée" : « La situation s'est détériorée fortement dans la nuit lorsque nous avons réalisé que nous ne pourrons pas quitter l'hôtel de notre propre gré, a-t-il expliqué. Les hommes armés sillonnent les corridors. Je pense qu'il y a toujours des snipers sur le toit de l'hôtel et nos mouvements sont très limités", a-t-il dit. Il nous est vraiment très difficile de voir pour le moment comment on pourrait s'en sortir. »

Comme le montre cette vidéo diffusée par Euronews, ou cette galerie de photo Reuters, les journalistes portaient gilets pare-balles et casques. Ils avaient déployé des banderoles faites de draps, pour signaler qu'ils étaient journalistes, ou demander en arabe de ne pas tirer. Lors de la prise du QG de Kadhafi, l'hôtel avait en effet, selon l'AFP, reçu des balles perdues.

Pourquoi ces professionnels ont été maintenus dans l'hôtel ? Pourquoi ont-ils pu sortir ? Le mystère est épais. Et la situation traduit certainement la désorganisation et la confusion qui règnent dans les rues de Tripoli, apparemment prise par les rebelles, mais où Kadhafi n'a pas été localisé et où la situation semble loin d'être apaisée.

Ce mercredi matin, selon l'AFP, certains journalistes, avaient tenté une première fois de sortir de l'hôtel, et l'un des hommes armés leur avait ordonné de rentrer, tout en laissant entendre qu'il ne savait pas grand-chose de la situation : « Il faut attendre, soit les rebelles vont venir, soit les soldats" du régime. RSF avait appelé les "parties en présence" à "assurer la sécurité des journalistes qui couvrent les événements dans le pays", en affirmant que l'établissement était "assiégé par des partisans de Mouammar Kadhafi ».

Des journalistes américains... « espions »

Via leurs comptes Twitter, les journalistes de CNN Matthew Chance et Jomana Karadsheh laissaient clairement entendre la même chose. Peu après sa sortie de l'hôtel, Chance a indiqué à sa rédaction que les loyalistes soupçonnaient certains des journalistes d'être des espions… Une version également rapportée par un autre occupant de l'hôtel, le Français Thierry Meyssan, fondateur du Réseau Voltaire. Meyssan, devenu célèbre pour avoir affirmé en 2002 qu'aucun avion ne s'était écrasé le 11 septembre sur le Pentagone, a depuis écrit un autre ouvrage consacré aux manipulations occidentales au Moyen-Orient et est bien vu au Liban ou en Syrie. Et sur son site, le Réseau Voltaire, il est présenté comme "proche de la Jamahiriya", le nom officiel du régime de Kadhafi.

Meyssan affirme que les Occidentaux ont pris l'hôtel pour cible, et tout aussi tranquillement que certains journalistes, américains, sont des espions qui ont menacé de le tuer s'il ne délivrait pas le discours officiel de la propagande occidentale.

Ses affirmations sont un peu reprises en ligne, par exemple sur le site de Michel Collon, journaliste engagé de longue date contre les actions militaires des Etats-Unis. Et le journaliste indépendant canadien Mahdi Nazemroaya, lui aussi retenu dans l'hôtel, interrogé par la même chaîne, tenait le même discours, au moins concernant l'identité de ceux qui les maintenaient à l'intérieur.

Le site le Grand Soir qualifie Nazemroaya et Meyssan de « journalistes non alignés ». Le premier tient en effet, selon le site canadien Global Research, une ligne hostile à l'intervention occidentale en Libye. Quant au second, qui dit s'être trouvé "par hasard" à l'hôtel Rixos, il affirme "que tous les combats sont menés par l’OTAN" et non par des rebelles libyens, et accuse la France et la Grande-Bretagne de « renouer avec les massacres coloniaux ».

Même s'il s'appuie sur certains faits très probables, par exemple la présence sur le terrain de membres français et britanniques des forces spéciales, peu évoquée par les médias occidentaux, il va aussi jusqu'à assurer que l'OTAN a débarqué près de Tripoli « des jihadistes d’Al Qaeda, encadrés par des officiers de l’Alliance » ! Ce dernier argument avait été tenu quelques jours plus tôt par le chef des renseignements libyens, Abdallah Senoussi, au sein même de l'hôtel Rixos.

Guerre de désinformation

Ces deux versions totalement opposées illustrent, jusqu'à la caricature, le propos d'un article publié la veille par le New York Times sur la guerre de désinformation menée des deux côtés du front.

Durant les six mois passés, « les rebelles affirmaient avoir saisi plusieurs villes mais les perdaient quelques heures ou jours plus tard; de leur côté », alors que « les forces loyales au colonel Kadhafi assuraient mardi contrôler Tripoli », souligne le quotidien. Qui rappelle également qu'au début de l'intervention de l'OTAN, les prévisions optimistes envisageant une victoire rapide des rebelles ne servaient qu'à "rassurer les opinions nationales hésitantes". Pour le quotidien, les mensonges de Kadhafi s'expliquent par la nature autoritaire du régime: « En Libye, comme c'est généralement le cas pour les gouvernements autoritaires, les dirigeants sont habitués à dicter la manière dont les gens doivent penser » et « peu importe que le mensonge paraisse extravagant ou manifestement bizarre (comme ce fut souvent le cas en Libye), il est souvent perçu comme la juste réalité par un public engourdi par l'isolation et l'oppression ».

Le NY Times assure par ailleurs que c'est justement ce conditionnement qui explique lui aussi l'attitude des rebelles vis-à-vis de la désinformation: « Ce n'est donc pas surprenant que les rebelles qui combattent aujourd'hui le colonel Kadhafi agissent parfois comme lui, étant donné qu'il est le seul dirigeant qu'ils ont connu jusqu'à présent », écrit le quotidien, rappelant qu'ils sont nombreux à être issus des rangs même du leader libyen, ayant « aidé à défendre et à promouvoir sa vision et version de la réalité ». Et si Kadhafi a accusé les rebelles de n'être constitués que de jeunes « aimant tirer particulièrement en étant sous l'emprise de drogues », les rebelles ont aussi dénoncé, sans preuve, des « viols de masse de la part des troupes loyalistes utilisant des comprimés de Viagra ».

L'OTAN n'échappe pas à cette analyse sévère de la communication en temps de guerre. Le journal rappelle que sa mission, basée sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, ne comprenait pas l'arrestation de Kadhafi. Il rappelle les propos du porte-parole de l'organisation, qui, la veille de l'entrée des rebelles dans l'enceinte du dictateur, prétendait que sa capture « importait peu ». Comme en Irak, pointe le Times, où la capture de Saddam Hussein n'était « pas importante » pour les militaires américains... « jusqu'à ce qu'ils l'aient capturé, et aient promptement diffusé son image, les cheveux pleins de poux ».

(Dan Israel et David Courbet)

arretsurimage

www.arretsurimages.net

Évaluer cet élément
(0 Votes)