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Bassirou Diomaye Faye : un « plan B » plus que parfait

Bassirou Diomaye Faye : un « plan B » plus que parfait
  • Date de création: 27 mars 2024 12:07

(Agence Ecofin) - En 10 jours, Bassirou Diomaye Faye est passé de la prison civile au palais présidentiel. Le bras droit de l’opposant Ousmane Sonko, déclaré inéligible pour le scrutin, devient le premier président du Sénégal à n’avoir jamais occupé de fonction ministérielle ou élective avant son accession à la magistrature suprême. Le tout, le jour de son anniversaire. A 44 ans, l’histoire du « plan B » devenu président sénégalais, une success-story parfois écrite en lettres de sang, est saluée partout dans le monde.  

Si la plupart des médias internationaux décrivent les évènements survenus entre le 24 mars et le 25 mars à Dakar comme un séisme politique, à Dakar, cette tournure semblait évidente. Dans la rue, des centaines de jeunes clamaient, dès la fin du scrutin, que les urnes donnaient le jeune Bassirou Diomaye Faye, bras-droit d’Ousmane Sonko, dès le premier tour. Avant même l’annonce des premières grandes tendances, une véritable liesse s’est emparée du Sénégal. La victoire du nouveau président dans les urnes se confirme un peu plus le lundi 25 mars, lorsque son principal rival Amadou Ba, candidat du parti au pouvoir, reconnait la victoire de Bassirou Diomaye Faye avant l’annonce officielle des grandes tendances. Le Sénégal connait donc son nouveau président, un OVNI politique qu’on aurait difficilement imaginé sur le fauteuil présidentiel lorsqu’il a été choisi, presque par défaut, comme Plan B de l’opposition.

Un Sénégalais comme les autres

Durant sa courte campagne, débutée sur le terrain à sa sortie de prison le 14 mars dernier, Bassirou Diomaye Diakhar Faye s’est assuré, dans ses prises de paroles publiques, que la majorité des Sénégalais sachent qu’il connait leur quotidien et qu’il ne fait pas partie des privilégiés comme les politiques habituels. En course pour une fonction souvent confiée, depuis l’indépendance du Sénégal, à un ancien ministre ou tout au moins à un ancien député, le profil de Bassirou Diomaye Faye détonne.

« J’ai grandi avec mes cousins et par exemple quand il y avait des tournois de football, notre maison constituait à elle seule une équipe. »

L’histoire du nouveau président commence le 25 mars 1980 dans la commune de Ndianganiao. « Je suis né dans le village de Ndiandiaye chez mon grand-père Ndiouma Kor Faye (ayant combattu lors de la première guerre mondiale ; NDLR) […] dans la région de Thiès, au Sénégal. Je suis un fils d’agriculteur ; mon père a été agent de développement et de l’urbanisation agricole », confie Bassirou Ndiomaye Faye dans un documentaire publié sur la chaîne YouTube Senepeople Plus. Il grandit dans ce village où il intègre l’école primaire d’une mission catholique, puis rejoint le Collège d’Enseignement Moyen de Ndianganiao, qui porte désormais le nom du grand-père du nouveau président, Ndiouma Kor Faye.

Bassirou Diomaye Faye y étudie jusqu’en classe de troisième mais doit quitter Ndiaganiao qui n’a pas de lycée à cette époque. Il rejoint donc le lycée Demba Diop et doit quitter le cocon familial. Il y obtient son baccalauréat en 2000, puis s’inscrit à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Chez mon grand-père, on vivait différemment de la façon dont les gens vivent à Dakar, avec leurs parents et leurs servantes. J’ai grandi avec mes cousins et par exemple quand il y avait des tournois de football, notre maison constituait à elle seule une équipe. J’étais le plus âgé de ma génération donc je ressentais la responsabilité de les protéger. C’est comme ça que j’ai développé très tôt un leadership naturel », raconte Bassirou Diomaye Faye.

Université et premiers engagements militants

A l’Université, Bassirou Diomaye Faye se retrouve à Dakar un peu malgré lui. « Je ne voulais pas venir à Dakar après mon BAC. Lorsqu’on parlait de choisir une formation, je ne pensais pas aux études de droit. J’avais de bonnes notes en histoire et en géographie. Je voulais donc poursuivre mes études en géographie. J’étais indécis et j’ai demandé conseil à Abdoulaye Sène, un professeur que j’ai toujours admiré. Il m’a déconseillé la géographie et conseillé le droit », se souvient Bassirou Diomaye Faye.  Il envoie donc des demandes pour intégrer les facultés de droits de l’Université de Dakar et de Saint Louis. L’Université Cheick Anta Diop répond en premier. Son père craignant que les délais des inscriptions passent, lui conseille de rallier Dakar pour commencer les cours. Bassirou Diomaye Faye l’écoute.

Bassirou Diomaye Faye doit notamment sa conscience précoce de l’importance des enjeux politiques à son père, Samba Ndiagne Faye, militant du parti socialiste.

Son père a une importance capitale dans la vie du nouveau président qui n’hésite pas à la présenter comme sa « référence ». Bassirou Diomaye Faye doit notamment sa conscience précoce de l’importance des enjeux politiques à son père, Samba Ndiagne Faye, militant du parti socialiste. Il conseille à son fils de débuter les cours à Dakar malgré les moyens réduits de la famille et d’autres conditions compliquées. « Au début, je passais la nuit dans un atelier de couture », confie Bassirou Diomaye Faye.

Cela ne l’empêchera pas de décrocher sa maîtrise de droit en 2004. Il obtient en plus un diplôme de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) où il étudie les impôts et les domaines. A la fin de ses études à l’ENA, il occupe différents postes au sein de l’administration fiscale. Il intervient dans plusieurs services au fil des années, notamment au centre des professions libérales, au centre des grandes entreprises, puis à la brigade des vérifications, avant de devenir chef du bureau des contentieux à la direction de la législation et de la coopération. C’est dans cette période que débute son engagement politique, provoqué notamment par les nombreuses luttes syndicales qu’il mène.

C’est également au sein de l’administration fiscale qu’il rencontre Ousmane Sonko, qui deviendra son mentor politique, mais aussi Amadou Ba, leur supérieur à l’époque, qu’il défait lors du scrutin du 24 mars.

Création du PASTEF, un parti antisystème

Devenu célèbre pour ses sorties virulentes contre la corruption et la prévarication au sein de l’administration sénégalaise, Ousmane Sonko est radié de l’Inspection générale des impôts et domaines en août 2016 pour « manquement au devoir de réserve ». Sa position et l’accès qu’elle lui donne à des dossiers sensibles lui ont permis de dénoncer de nombreux cas de « corruption » et d’attribution de contrats dans des conditions douteuses. Il fonde, en 2014, un mouvement politique qui se revendique antisystème : le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF).

1 parti copyLibérés le 14 mars, ils ont seulement quelques jours pour faire élire Bassirou Diomaye Faye.

Pendant que le leader Ousmane Sonko brille et se fait connaitre, Bassirou Diomaye Faye travaille dans l’ombre. Membre fondateur du parti, il y effectue de nombreuses tâches capitales, bien qu’elles ne lui accordent pas une grande exposition médiatique. Peu importe, le jeune militant a totalement foi en son mentor. Au sein du syndicat des impôts, leur collaboration a permis de satisfaire de nombreuses revendications au fil des années. Les deux hommes s’apprécient et ont beaucoup en commun ; par exemple une grande passion pour les arts martiaux. Bassirou Diomaye Faye pratique notamment le Viet Vo Dao. Habitué à être l’ombre de l’étoile Ousmane Sonko, il deviendra pourtant connu assez vite.

En janvier 2022, il participe aux élections municipales à Ndianganiao, sa commune natale, mais y est battu par Tening Sène, candidate de l'Alliance pour la République (APR), le parti du président Macky Sall. Malgré sa défaite, il conserve la confiance d’Ousmane Sonko qui le nomme secrétaire général du PASTEF en octobre 2022. Mais, le mouvement, dont la popularité grimpe en flèche, sera bientôt dans la tourmente.

Ousmane Sonko est accusé de viol, puis arrêté en 2021. L’affaire embrase le pays. En 2023, insatisfait des décisions de la justice concernant le procès en appel de l’affaire, Bassirou Diomaye Faye publie sur Facebook un post considéré par le juge d’instruction Mamadou Seck comme un outrage à magistrat. Il sera mis sous mandat de dépôt. Il ne le sait pas encore, mais le natif de Ndianganiao ne sortira pas de prison pendant les 11 prochains mois. Pendant ce temps, le compte à rebours pour les élections présidentielles de février, finalement repoussées en mars, continue. Bassirou Diomaye Faye est en prison. Il sera rejoint en novembre 2023 par Ousmane Sonko remis en détention, quelques semaines après la dissolution de leur parti décidée par le gouvernement sénégalais le 31 juillet. Dissout, avec ses deux têtes pensantes derrière les barreaux, la révolution lancée par le PASTEF en 2014 semble mal embarquée.

Le Plan B que personne n’attendait

Malgré sa dissolution, le PASTEF ne laisse pas tomber. Pourtant, ce n’est pas le seul problème : Ousmane Sonko est déclaré inéligible par les autorités judiciaires sénégalaises. Le 19 novembre, dans un communiqué, l’opposition annonce qu’en l’absence d’Ousmane Sonko, c’est Bassirou Diomaye Faye qui a été désigné comme candidat aux élections. « Bassirou, c’est moi », confirme Ousmane Sonko pour appuyer la candidature de son cadet. Malgré tout, les choses sont encore indécises. Des députés membres du PASTEF avant sa dissolution apportent leurs parrainages à un autre candidat de l’opposition, Habib Sy, du Parti démocratique sénégalais. Il se retirera finalement, pour laisser Bassirou Diomaye Faye se présenter, même si l’intéressé est toujours en prison.

Cela change le 6 mars. Une loi d’amnistie décrétée par le président en exercice Macky Sall permet à Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye de sortir de prison. Libérés le 14 mars, ils ont seulement quelques jours pour faire élire Bassirou Diomaye Faye : et contre toute attente cette décade suffira. Ayant grandi et vécu uniquement au Sénégal, l’histoire de Bassirou DIomaye Faye lui attire la sympathie d’un Sénégal à la population jeune et réticente au futur que leur réserve la direction actuelle du pays. Celui que certains jugeaient inexpérimenté pour la magistrature suprême suscite, en quelques jours, une incroyable ferveur populaire.

1 candidatLe candidat sorti de la prison de Rebeuss le 14 mars, est donné vainqueur dès le premier tour.

Le 24 mars, l’impensable se produit. Le candidat sorti de la prison de Rebeuss le 14 mars, est donné vainqueur dès le premier tour par toutes les grandes estimations. Si jusque-là, les résultats officiels ne sont pas annoncés, la victoire de Bassirou Diomaye Faye est pratiquement entérinée par les félicitations de son principal adversaire, Amadou Ba, le candidat du parti au pouvoir.

« Pour donner corps à l’immense espoir suscité par notre projet de société et donner corps à ses aspirations, je m’engage à gouverner avec humilité, dans la transparence et à combattre la corruption à toutes les échelles », déclare le nouveau président dès sa première prise de parole publique après les félicitations adverses. Il aura également un mot pour toutes les vies perdues lors des différentes manifestations contre l’administration sortante. Bassirou Diomaye Faye a également annoncé ses priorités en tant que président. La réconciliation nationale, la refondation des institutions, l’allègement du coût de la vie et la relance des politiques publiques feront partie de ses premiers chevaux de bataille.

En attendant, l’élection de Bassirou Diomaye Faye et son improbable scénario continuent de faire parler. On continue de critiquer sa jeunesse et son inexpérience. Certains remettent déjà en question l’unité des anciens du PASTEF en se demandant si le nouveau président gardera son allégeance à son ainé Ousmane Sonko.

Au final, qu’importe. L’allégeance du nouveau président devrait aller aux Sénégalais dont le vote sanction montre un profond désir de changement.

Servan Ahougnon

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