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Lee White : le chevalier blanc des forêts gabonaises

  • Date de création: 11 septembre 2020 17:20

(Agence Ecofin) - Il est depuis un an, ministre gabonais des Eaux, des Forêts, de la Mer, de l'Environnement, chargé du Plan Climat et du Plan d’Affectation des Terres. Sa nomination par Ali Bongo a été vue, notamment au plan international, comme une note d’espoir pour les forêts gabonaises dont la protection est devenue sa cause personnelle depuis de nombreuses années. Dans le même temps, le choix de Lee White a provoqué de l’étonnement parce qu’un ministre blanc au Gabon, ce n’est pas commun…

Au Gabon, les agents du ministère des eaux, des forêts, de la mer et de l’environnement vont reprendre le chemin de leurs bureaux après 3 mois de grève. Pourtant, il y a quelques jours, la situation avait semblé sur le point de dégénérer après l’intervention de la gendarmerie contre les grévistes. Au final, Lee White a réussi à trouver un accord avec les deux syndicats initiateurs du mouvement de débrayage, qui revendiquaient de meilleures conditions de travail pour les agents des eaux et forêts.

1ministre

Le quotidien ordinaire d’un homme politique gabonais.

Cette crise a valu au ministre de virulentes critiques, celles venant de son ministère et celles d’opposants qui se refusent à envisager sa réussite dans ce département. Au delà de sa couleur de peau, Lee White vit désormais le quotidien ordinaire d’un homme politique gabonais...

Amoureux des forêts africaines

Ces derniers mois, Lee White a subi de constantes questions quant à son identité. Pour certains, un Blanc n’a rien à faire à la tête d’un département ministériel gabonais. Affrontant ce type de réflexions depuis plusieurs années, Lee White a pris l’habitude de répondre avec un calme étonnant. « Je suis initié à la forêt africaine. J’ai regardé le gorille à dos argenté dans les yeux, à 30 cm, l’éléphant fâché à 1 m ».

« Je suis initié à la forêt africaine. J’ai regardé le gorille à dos argenté dans les yeux, à 30 cm, l’éléphant fâché à 1 m ».

Effectivement, Lee White a passé de nombreuses années dans les forêts africaines. Né à Manchester, dans le nord-ouest de l’Angleterre, le 26 juillet 1965, il n’y passe que trois ans avant de partir pour l’Afrique. Son père, un scientifique britannique, décide de s’installer en Ouganda avec sa famille. Lee White raconte même qu’il se bagarrait à l’école avec les enfants d’Idi Amin Dada.

2Lee White jeune

Le natif de Manchester va finir par prendre racine dans la forêt gabonaise.

Il ne retourne en Angleterre qu’au moment de faire ses études secondaires. En 1984, à la fin de son premier cycle à l’Université de Londres, Lee White décide de revenir en Afrique. Il part pour la Sierra Leone, où il prend son premier poste d’assistant de recherche, pour préparer sa maîtrise en zoologie. Quelques années plus tard, il s’engage en tant que conservateur au sein d’une réserve située au sud-ouest du Nigeria, près de Benin City. C’est en 1989 qu’il découvre pour la première fois le Gabon. Il s’y rend dans le cadre de la préparation de son doctorat de zoologie. Il souhaite alors étudier les effets de l’exploitation forestière sur la faune et la flore de la réserve de Lopé-Okanda. Mais le natif de Manchester va finir par prendre racine dans la forêt gabonaise.

La rencontre avec Omar Bongo et l’entrée en politique

Si on interrogeait Lee White sur la période de son entrée dans l’arène politique, il serait certainement tenté de répondre qu’elle est consécutive à sa nomination en tant que ministre. En réalité, cette rencontre s’est faite beaucoup plus tôt. Jusqu’en août 1991, Lee White étudie les effets de l’exploitation forestière sur la faune et la flore de la réserve de Lopé-Okanda. Il part pour l’université d’Edimbourg, en Ecosse, où il passe sa thèse, mais le Gabon ne quitte plus son esprit.

3Lee White

… mais le Gabon ne quitte plus son esprit.

Diplômé en 1992, il convainc l’ONG américaine Wildlife Conservation Society (WCS) de lui confier un poste de scientifique associé pour la conservation afin qu’il puisse poursuivre ses recherches dans la réserve où il avait réalisé les travaux de sa thèse. Quelques mois plus tard, il intègre la branche gabonaise de l’ONG américaine. « C’était un rêve de gamin. J’avais le plus beau boulot du monde. Quant à mes enfants, je les vois encore courir derrière des éléphants sur ce site vieux de plusieurs millénaires, classé au patrimoine mondial de l’Unesco », se souvient-il.

« C’était un rêve de gamin. J’avais le plus beau boulot du monde. Quant à mes enfants, je les vois encore courir derrière des éléphants sur ce site vieux de plusieurs millénaires. »

Lee White finit par prendre la tête de l’organisation entre 1997 et 2008. En 2002, il rencontre Omar Bongo. Les deux hommes s’entendent bien et le chef de l’Etat gabonais apprécie la dévotion du Mancunien à la protection des forêts. Lee White devient conseiller au cabinet de la présidence de la République sur les questions liées aux changements climatiques, aux parcs nationaux et à l’écotourisme. A cette époque, le Gabon vient d’adopter son premier code forestier. Le directeur de la WCS suggère au président de créer un réseau de 13 parcs naturels. Ceux-ci voient le jour cinq années plus tard, sous l’autorité de l’Agence nationale des parcs naturels (ANPN).

Lee White, le Gabonais

En 2008, Lee White obtient la nationalité gabonaise, quitte la WCS et prend la tête de l’ANPN. Il ne le sait pas encore, mais il vient de mettre pied dans l’arène politique. Le ministère de l’Environnement supporte mal que l’agence ne réponde de ses actions qu’à la présidence. Lee White reste 11 ans à la tête de l’agence.

Pour Marc Ona, président de l’ONG Brainforest et opposant d’Ali Bongo, qui ne remet toutefois pas en cause l’engagement de Lee White à protéger les forêts, ce dernier a échoué à la tête de l’ANPN. « Après 10 ans passés à l’ANPN on se demande comment un pays disposant de 10 parcs nationaux peut être un désert touristique comme c’est le cas aujourd’hui », interroge Marc Ona qui a remporté, en 2009, le Goldman Environmental Prize, parfois surnommé le « Green Nobel ». Selon lui, après l’accident vasculaire cérébral d’Ali Bongo, « les parcs nationaux étaient devenus le business personnel de Lee White qui les gérait comme une affaire privée ».

Selon Marc Ona, après l’accident vasculaire cérébral d’Ali Bongo, « les parcs nationaux étaient devenus le business personnel de Lee White qui les gérait comme une affaire privée ».

Evidemment, en juin 2019, lorsqu’Ali Bongo décide de nommer Lee White ministre de l’Environnement, Marc Ona affiche clairement son scepticisme. Pour lui, on ne peut pas confier toutes les terres du pays à quelqu’un qui n’a pas pu s’occuper des 10% que gérait l'ANPN. Pour Koumba Pambo, responsable de l’unité scientifique de l’ANPN, la réalité est moins sombre que la description qu’en fait Marc Ona. « Sous la direction de Lee White, nous avons réussi à entreprendre une révision du code forestier pour alourdir les peines sanctionnant la criminalité envers la faune et la flore sauvages, qui devraient passer d’un maximum de six mois de prison et 10 millions FCFA à cinq ans d’emprisonnement et 200 millions FCFA ».

Effectivement, le mandat de Lee White n’est pas aussi négatif que le décrivent parfois ses détracteurs. Grand artisan de l’amélioration de la surveillance des parcs nationaux, il a participé à l’obtention de fonds pour doter les réserves de moyens technologiques importants. En plus, de nombreux efforts ont été faits pour limiter les conflits homme-faune et protéger les espèces en voie de disparition.

Grand artisan de l’amélioration de la surveillance des parcs nationaux, il a participé à l’obtention de fonds pour doter les réserves de moyens technologiques importants. En plus, de nombreux efforts ont été faits pour limiter les conflits homme-faune et protéger les espèces en voie de disparition.

Des actions ont été également entreprises pour sensibiliser la population sur l’importance de la protection de la faune des parcs nationaux. En dépit de tous ces efforts, selon les estimations, entre 2007 et 2017, 25 000 éléphants ont été abattus. C'est le principal argument avancé par les personnes remettant en cause la nomination de Lee White au poste de ministre de l’Environnement.

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« Il connaît parfaitement les défis de la conservation au niveau national comme international.»

Malgré tout, celui qui a été décoré en 2010 par la reine Elizabeth II « pour services à la protection de la nature en Afrique centrale » entre dans ses nouvelles fonctions. Pour Gaspard Abitsi, directeur de la WCS Gabon, « cette nomination ne peut être qu'une bonne nouvelle pour le monde des protecteurs de l'environnement au Gabon. Il connaît parfaitement les défis de la conservation au niveau national comme international. Nous espérons que cela va aider à accélérer la préservation de la faune et de la flore ici ».

« Cette nomination ne peut être qu'une bonne nouvelle pour le monde des protecteurs de l'environnement au Gabon. Il connaît parfaitement les défis de la conservation au niveau national comme international.»

Quelques semaines après sa nomination, Lee White joue un rôle important dans la conclusion d’un accord entre la Norvège et le Gabon. Le pays scandinave va verser 150 millions de dollars à l'Etat d'Afrique centrale pour lutter contre la déforestation et réduire les émissions de carbone. Très peu de pays développés se sont engagés à conclure de tels accords.

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Lee White veut faire de l’exploitation forestière durable, l’autre pétrole du Gabon.

Et, si à l’international, le travail de Lee White est largement reconnu, sur le plan local le ministre et ses décisions sont constamment contestés, notamment par l’opposition. Mais au moins, on ne le regarde plus d’un air douteux, simplement à cause de sa couleur de peau.

Servan Ahougnon

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