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Invest in Diaspora : « Le temps est venu de changer de regard sur la relation entre l'Afrique et ses diasporas »

Invest in Diaspora : « Le temps est venu de changer de regard sur la relation entre l'Afrique et ses diasporas »
  • Date de création: 09 mars 2024 08:43

(Agence Ecofin) - Samir Bouzidi qui pilote le programme Invest In Diaspora en collaboration avec l’association Internationale des Maires Francophones (AIMF), appelle à un changement de paradigme dans la relation entre l'Afrique et ses diasporas. Il estime qu’au-delà des transferts d'argent, une stratégie proactive est nécessaire, pour mobiliser pleinement les compétences, réseaux et investissements des diasporas. Il cite les exemples des pays comme l'Égypte, le Maroc ou le Kenya qui montrent la voie. 

Agence Ecofin : Comment caractérisez-vous la relation actuelle entre les diasporas africaines et leur pays d’origine ?

Samir Bouzidi : Face aux enjeux cruciaux du continent africain, il est temps de se pencher sur l'envers du décor concernant les transferts d'argent des diasporas africaines vers leurs pays d'origine. Certes, ces transferts représentent une manne financière considérable, avec plus de 90 milliards d'euros reçus par l'Afrique en 2022 selon la Banque mondiale. Cependant, cette réalité cache un autre visage que les diasporas connaissent bien.

En effet, dans la grande majorité des États africains, la mobilisation et la reconnaissance de la diaspora restent embryonnaires, voire inexistantes. Seuls quelques rares pays ont mis en place une véritable stratégie proactive pour engager leurs diasporas. Pourtant, ces transferts d'argent sont essentiellement destinés à couvrir les dépenses familiales courantes comme l'alimentation, la santé ou l'éducation. L'épargne et l'investissement ne représentent qu'une part très minoritaire, souvent inférieure à 10% dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne.

« Il est donc crucial que les États africains prennent conscience de l'importance d'impliquer davantage leurs diasporas, au-delà de la simple manne financière que représentent les transferts d'argent. »

Il est donc crucial que les États africains prennent conscience de l'importance d'impliquer davantage leurs diasporas, au-delà de la simple manne financière que représentent les transferts d'argent. Mobiliser les compétences, les réseaux et le potentiel d'investissement des diasporas pourrait être un formidable levier de développement pour le continent. Cela nécessite de mettre en place de véritables politiques de reconnaissance et d'engagement envers ces populations qui restent profondément attachées à leurs pays d'origine.

Le temps est venu de changer de regard sur la relation entre l'Afrique et ses diasporas, en allant au-delà du mythe des transferts d'argent. C'est en construisant des liens plus étroits et en valorisant pleinement le potentiel de ces diasporas que le continent pourra relever les défis de développement qui l'attendent. 

Agence Ecofin : Comment expliquez-vous ce manque d’ambition des pays africains envers leur diaspora ?

Samir Bouzidi : Plusieurs facteurs expliquent la faible mobilisation des diasporas africaines par leurs pays d'origine, au-delà des simples transferts financiers. Tout d'abord, dans certains pays où il y a de fortes concentrations de pouvoirs, les diasporas sont perçues comme des communautés à l'esprit trop libre et trop influentes auprès de leurs familles, présentant ainsi un risque politique. L'exclusivité donnée aux transferts d'argent apparaît donc comme un compromis implicite entre les pays d'origine et leurs diasporas, qui peut se résumer ainsi : "Envoyez de l'argent à vos familles, mais restez là où vous êtes !"

Ensuite, les écosystèmes nationaux (législation, bureaucratie, corruption, droits et libertés) constituent souvent des freins à l'engagement des diasporas. À cela s'ajoute le manque d'expertise, aussi bien dans le secteur public que privé (banques, opérateurs télécoms), en matière de mobilisation de ces communautés. En réalité, les diasporas sont des mosaïques humaines complexes, auxquelles il ne suffit plus de lancer des appels patriotiques pour obtenir leur adhésion.

Pour finir, cette combinaison de contraintes structurelles et conjoncturelles vient miner la confiance des diasporas et leur ancrage dans leur pays d'origine.

C'est en construisant une relation de confiance et de partenariat avec leurs diasporas que les pays africains pourront pleinement bénéficier de leur potentiel de développement. Un potentiel qui reste encore largement sous-exploité, mais qui pourrait constituer un formidable levier pour relever les défis du continent.  

Agence Ecofin : Quels sont les leviers à activer pour faire jouer à cette diaspora un rôle plus moteur dans le développement de leur pays et du continent ?

Samir Bouzidi : Pour libérer tout le potentiel des diasporas africaines, nous pensons qu’il est temps de changer de paradigme. La clé de ce changement est entre les mains de la classe politique des pays d'origine, qui doit adopter et traduire en actes une position forte et constante vis-à-vis de sa diaspora : "Vous êtes des partenaires stratégiques du développement national, qu'il soit humain ou économique." Chaque signal, même faible, émis par les autorités des pays d'origine dans ce sens est un pas dans la bonne direction.

J'appelle de mes vœux à un nouveau "diaspora round" qui viendra déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif, réduit à ses seuls transferts financiers. Il s'agit d'ouvrir la voie à un écosystème où les contributions multidimensionnelles de la diaspora dans sa globalité se rencontrent et profitent à tous : épargne, investissement, tourisme, soutien à l'export, transfert de compétences, philanthropie, soft power, e-influence... 

« Dans cette "diaspora 2.0", le marketing, les données et les nouvelles technologies constituent les piliers fondateurs pour partir à la conquête de "clients" et non plus seulement de concitoyens à l'étranger. »

Dans cette "diaspora 2.0", le marketing, les données et les nouvelles technologies constituent les piliers fondateurs pour partir à la conquête de "clients" et non plus seulement de concitoyens à l'étranger. Trop de pays africains ont encore tendance à croire qu'il suffit de lancer des appels patriotiques pour booster l'investissement de leur diaspora. Or, ces communautés sont devenues des cibles exigeantes, qu'il faut savoir séduire et fidéliser.

Pour y parvenir, les États africains doivent développer de véritables stratégies de marketing diasporique, basées sur une connaissance fine de ces communautés, de leurs attentes et de leurs potentiels. Cela passe par la collecte et l'analyse de données, mais aussi par la mise en place de plateformes et d'outils numériques permettant d'interagir efficacement avec ces "clients" d'un nouveau genre.

Les nouvelles technologies offrent également des opportunités inédites pour mobiliser les diasporas, en facilitant les transferts de compétences, le mentorat à distance ou encore le financement participatif de projets de développement. Autant de leviers qui peuvent être activés pour faire des diasporas de véritables partenaires du développement de leur pays d'origine.

En somme, il est temps pour les pays africains de passer d'une approche passive et unidimensionnelle de leurs diasporas à une stratégie proactive et multidimensionnelle, tirant parti de toutes les ressources et potentialités de ces communautés. C'est à ce prix que l'Afrique pourra pleinement bénéficier de cette formidable richesse humaine et économique que représentent ses diasporas.

Agence Ecofin : Quels pays africains sont des exemples à suivre en matière de libération du potentiel de leur diaspora ?

Samir Bouzidi : En matière de mobilisation de l'épargne des diasporas, l'Égypte, le Nigéria et le Maroc font figure d'exemples à suivre. Ces pays ont su mettre en place des politiques et des outils efficaces pour capter cette manne financière et la canaliser vers des projets de développement.

Concernant la mobilisation des investissements et des compétences des diasporas, ce sont plutôt les pays d'Afrique anglophone, comme le Nigéria et le Kenya, qui se distinguent. Leurs écosystèmes plus ouverts à l'innovation et à l'international leur permettent de tirer parti du potentiel de leurs communautés expatriées.

Cependant, la marge de progression des "Investissements Directs Diasporas" (IDD) en Afrique reste considérable. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'exemple de l'Inde, où 25% des Investissements Directs Étrangers (IDE), soit 71 milliards de dollars en 2022, proviendraient directement de la diaspora ou seraient la résultante de son puissant soft power, notamment dans le secteur tech aux États-Unis.

« Il suffit de regarder l'exemple de l'Inde, où 25% des Investissements Directs Étrangers (IDE), soit 71 milliards de dollars en 2022, proviendraient directement de la diaspora ou seraient la résultante de son puissant soft power. »

Pour atteindre de tels niveaux, les pays africains doivent créer les conditions favorables à l'engagement de leurs diasporas. Cela passe par la mise en place d'un cadre juridique et fiscal incitatif, mais aussi par le développement d'infrastructures et de services adaptés aux besoins de ces investisseurs d'un nouveau genre.

Il s'agit également de valoriser les success stories et de promouvoir les opportunités d'investissement auprès des communautés expatriées, en s'appuyant sur les réseaux et les relais d'influence de la diaspora. Les ambassades et les consulats ont un rôle clé à jouer dans cette stratégie de communication et de mobilisation.

Enfin, les pays africains doivent miser sur la formation et le renforcement des capacités de leurs diasporas, en leur offrant des opportunités de transfert de compétences et de mentorat. C'est en valorisant le capital humain de ces communautés que l'Afrique pourra pleinement bénéficier de leur potentiel d'innovation et de développement.

En somme, la mobilisation des diasporas africaines représente un enjeu stratégique pour le continent. Les exemples de l'Égypte, du Nigéria, du Maroc ou encore de l'Inde montrent qu'il est possible de faire de ces communautés de véritables partenaires du développement. Aux pays africains de saisir cette opportunité, en mettant en place des politiques ambitieuses et innovantes pour capter et valoriser cette richesse humaine et financière. 

Agence Ecofin : Pour conclure, quelle est l’ambition portée par votre programme panafricain « Invest in diaspora » ?

La mobilisation des diasporas africaines autour de programmes structurants pour leurs villes d'origine est devenue une priorité pour de nombreux maires. Ces communautés expatriées représentent en effet un formidable vivier de compétences, de réseaux et d'investissements potentiels. Mais comment les communes peuvent-elles s'y prendre pour parvenir à cette mobilisation ? Quelles stratégies mettre en place et sur quels leviers agir ?

Pour répondre à ces questions, notre start-up Impact Diaspora a lancé le programme Invest in Diaspora (www.investindiaspora.com), avec le soutien de l'Association Internationale des Maires Francophones (AIMF). Ce programme vise à accompagner et former 100 municipalités africaines à la mobilisation 2.0 de leurs diasporas.

Les villes participantes sont sélectionnées sur la base de plusieurs critères, notamment leurs atouts territoriaux, la qualité de leur gouvernance locale, l'importance et les caractéristiques de leur diaspora, ainsi que les moyens et l'organisation dédiés à cette mobilisation.

La singularité du programme Invest in Diaspora réside dans son dispositif d'accompagnement, composé de plusieurs étapes, impliquant chacune la collaboration étroite du personnel affecté par la commune autour de campagnes réelles de mobilisation. Ainsi, la semaine dernière, nous avons lancé avec succès la campagne pour la ville de Bafoussam, au Cameroun, avant d'initier celle de Porto Novo, au Bénin, cette semaine.

« Ainsi, la semaine dernière, nous avons lancé avec succès la campagne pour la ville de Bafoussam, au Cameroun, avant d'initier celle de Porto Novo, au Bénin, cette semaine.»

Ce travail de terrain, au plus près des réalités locales, est essentiel pour bâtir des stratégies de mobilisation efficaces et durables. Il s'agit de comprendre les attentes et les potentiels des diasporas, mais aussi d'identifier les projets structurants dans lesquels elles peuvent s'investir, en fonction des priorités de développement de chaque ville.

Pour y parvenir, les communes doivent miser sur une communication ciblée et multicanale, en s'appuyant notamment sur les outils digitaux et les réseaux sociaux. Elles doivent également créer des espaces de dialogue et de co-construction avec leurs diasporas, afin de faire émerger des projets concrets et fédérateurs.

Enfin, la mobilisation des diasporas passe par la mise en place d'un cadre juridique et fiscal incitatif, ainsi que par le développement de services dédiés, comme des guichets uniques ou des plateformes d'investissement. Autant de leviers sur lesquels les communes peuvent agir, avec l'appui de programmes comme Invest in Diaspora.

C'est un travail de longue haleine, qui nécessite un engagement fort et constant des autorités locales. Mais c'est aussi un investissement d'avenir, qui peut transformer durablement le visage et le destin des villes africaines. Chez Impact Diaspora, nous sommes fiers de contribuer à cette dynamique, en accompagnant pas à pas les communes dans cette démarche stratégique. Et nous continuerons à labourer et semer jusqu'à fin 2025, date de fin du programme, avec l'ambition de faire émerger une nouvelle génération de villes africaines, pleinement connectées à leurs diasporas.

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