(Agence Ecofin) - La Côte d’Ivoire est depuis 2021, le troisième transformateur mondial d’anacarde derrière le Vietnam et l’Inde. Cette position est le résultat de près d’une décennie de réformes dans une filière qui est l’une des principales contributrices aux recettes d’exportation.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs pays producteurs de noix de cajou gagneraient à prendre exemple sur le système fiscal appliqué dans la filière ivoirienne pour stimuler les investissements dans la transformation. C’est ce qu’a indiqué à l’Agence Ecofin, Pierre Ricau, analyste en chef de N’kalô.
Dans la première économie francophone de la région, les autorités taxent les exportations de noix brutes tout en utilisant une partie de recettes pour subventionner l’industrie de la transformation à travers une prime de 400 Fcfa par kg d’amande exportée.
Cette politique appliquée depuis plusieurs années a déjà permis de développer ce segment avec l’augmentation du nombre d’usines implantées sur place à 25 contre 5 en 2015 et l’accroissement des capacités installées à 300 000 tonnes de noix de cajou.
Selon le spécialiste, ce modèle d’industrialisation éprouvé sur le terrain se fait à un moindre coût que le fait de puiser directement dans les caisses de l’État pour financer directement l’émergence d’une industrie et représente un compromis intéressant dont pourraient s’inspirer plusieurs pays de la sous-région.
En effet, indique M. Ricau, l’interdiction pure et simple d’exporter la noix de cajou brute pour un approvisionnement exclusif des transformateurs locaux comme prôné le plus souvent dans le rang des politiques de la sous-région apparaît comme une fausse bonne solution même si elle part d’un principe vertueux.
« Cette politique entraîne des sorties massives de noix de cajou par les frontières. Les gens trouveront toujours un autre moyen de faire sortir le produit du territoire même si cela passe par une corruption des douaniers. Et puis, si tu interdis la commercialisation extérieure de l’anacarde et qu’il n’y a que les usines locales qui achètent, tu crées une situation de monopole », souligne-t-il. Par ailleurs, l’analyste estime que la méthode fait peser des contraintes sur les producteurs.
« Ceux-ci risquent de ne pas pouvoir vendre au moment où ils ont besoin d’argent. Il vaut mieux viser une croissance progressive comme le fait la Côte d’Ivoire. On continue à exporter parce qu’il faut que les planteurs puissent continuer à vendre à une large palette de clients aussi bien nationaux qu’étrangers. Mais on taxe une partie de ces exportations brutes pour subventionner l’industrie et inciter la transformation locale. C’est le modèle de développement de l’Asie du Sud-Est avec des pays comme la Chine, le Vietnam, le Japon, la Corée qui sont devenus aujourd’hui aussi riches et puissants que les pays occidentaux. Ils ont tous fait ça dans plusieurs secteurs. Ils ont fait venir les Occidentaux qui ont apporté le savoir-faire industriel et les capitaux. Et petit à petit, les entrepreneurs locaux ont pu se greffer, travailler et monter progressivement des écosystèmes industriels qui sont aussi complets, voire sur certains secteurs aujourd’hui plus performants que les systèmes industriels occidentaux ».
« La nécessité d’une coordination dans la filière ouest-africaine de l’anacarde »
Plus largement, le responsable souligne qu’il faut dans la sous-région ouest-africaine, une véritable politique d’harmonisation des mesures fiscales appliquées dans l’industrie pour plus d’efficacité.
En effet, avec les différences au niveau des pays qui taxent l’exportation et ceux qui la taxe faiblement voire pas du tout, la contrebande de noix gagne du terrain et plombe les efforts d’industrialisation de la filière. C’est notamment le cas au Ghana qui récupère chaque année selon les estimations entre 150 000 et 200 000 tonnes de noix brutes en provenance de Côte d’Ivoire en raison de la faiblesse de la taxation.
Le phénomène sévit tout autant en Guinée-Bissau qui taxe fortement les exportations et dont la production est écoulée illégalement vers les pays voisins comme le Sénégal. « Avec une véritable entente à l’échelle de la CEDEAO, les pays pourraient taxer à peu près au même niveau l’exportation de noix brute tout en subventionnant l’industrie. On aura des usines qui vont naître partout dans la sous-région. Pour l’heure, il n’y a pas vraiment de cadre politique ou de stratégie à long terme », indique M. Ricau.
Espoir Olodo
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