Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Ecofin Finance
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

« Il y a 1200 milliards $ pour l’Afrique, à lutter contre les flux financiers illicites » (Komi Tsowou)

  • Date de création: 29 septembre 2020 15:56

(Agence Ecofin) - L’économiste togolais, Komi Tsowou, expert des questions commerciales et travaillant désormais pour la CNUCED revient sur le dernier rapport de l’institution sur l’Afrique. Il explique l’ampleur des sorties illicites de ressources financières hors du continent et ses conséquences sur le développement.

Agence Ecofin : Le rapport 2020 de la Commission des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur l’Afrique fait un focus sur les flux financiers Illicites. Selon votre organisation, quel est ce phénomène de flux financiers Illicites et quels sont les éléments qui ont forgé votre compréhension du sujet ?

Komi Tsowou : Dans le rapport 2020 sur le développement économique en Afrique intitulé « Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique », nous définissons les flux financiers illicites (FFI) comme les mouvements transfrontaliers d'argent et des avoirs dont la source, le transfert ou l'emploi sont illégaux. Les FFI peuvent provenir des pratiques fiscales et commerciales illégales comme la fausse facturation des échanges commerciaux, les marchés illégaux, les activités relevant du vol et financement du terrorisme et de la corruption.

Il faut toutefois souligner qu’en Afrique, des études et des données factuelles suggèrent que ces flux sont en grande partie liés aux activités commerciales. Les FFI sortants privent l’Afrique et ses habitants (ainsi que d’autres régions du monde qui en sont victimes) de ressources financières qui pourraient contribuer à leur développement inclusif et leur prospérité.

En 2015, le sujet a été inscrit dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, à savoir : dans l’objectif 16 et plus précisément dans la cible 16.4 visant à réduire nettement les flux financiers illicites et le trafic d’armes d’ici 2030. Dès lors, La CNUCED conjointement avec l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime et la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique ont développé un cadre conceptuel et proposé un nombre d’indicateurs pour mesurer ces flux et leur incidence sur le développement. Mesurer les FFI demeure un impératif pour les combattre.

AE : Dans le rapport, il y a certains aspects des FFI, notamment les mécanismes qui peuvent être soupçonnés d’en être, au-delà du débat sur la légalité, vous parlez d’une question de fuite des ressources qui auraient permis de financer le développement. Qui sont les personnes qui plombent le développement de l’Afrique en la privant de ses ressources financières ?

KT : Si les sources des FFI telles que les activités criminelles ayant trait par exemple aux trafics et à la contrebande et celles qui sont liées à la corruption font l’objet d’un consensus, le caractère légal ou illégal de certaines activités commerciales comme la fraude fiscale et l’évasion fiscale ont fait l’objet de débat et de désaccords. Au-delà de ces considérations, les flux sortants privent le continent de ressources dont il a tellement besoin pour contribuer à son développement durable. Il faut aussi signaler que l’incidence négative de ces flux touche aussi bien les pays en développement que les pays développés.

Qui sont les responsables des flux financiers illicites sortants ? C'est une question intéressante. Autant les acteurs internes qu’externes qu’ils soient actifs ou passifs ont leur part de responsabilité. Ces flux revêtent un caractère multidimensionnel et transnational, étant donné qu’ils ont des origines et des pays de destination. Les acteurs publics et les acteurs privés tels que les entreprises multinationales et certaines personnes à fortune nette élevée ainsi que les juridictions impliquées dans les pratiques favorisant les flux financiers illicites doivent prendre leur responsabilité et combattre ce fléau.

Au niveau national, un certain nombre d’éléments favorisent les FFI. Ce sont notamment les réglementations inadéquates du système financier, la mauvaise gouvernance et la médiocre qualité des institutions ainsi qu’une dépendance excessive à l’égard des exportations de matières premières. Au niveau international, les FFI sont favorisés par des facteurs tels que les mécanismes de blanchiment d’argent, de fraude fiscale et d’évasion fiscale facilités par certaines institutions financières et non financières.

Toutefois, il faut noter la bonne volonté de certains acteurs publics et privés et surtout les organisations de la société civile à l’échelle nationale et internationale qui ont pris conscience du fléau et participent activement à la lutte contre les FFI, à travers notamment les initiatives en faveur de la justice fiscale. Des organisations de la société civile ont révélé de nombreuses affaires de FFI, sensibilisé l’opinion publique et fait pression en faveur d’un réexamen des pratiques préjudiciables. 

AE : Selon vos estimations, ce sont environ 88,6 milliards $ qui quittent l’Afrique chaque année de manière illicite. Comment arrive-t-on à trouver un tel chiffre dans une région où le secret est largement la règle et les statistiques difficiles ?

KT : Etant donné que les FFI sont de nature clandestine, il est difficile de les mesurer. Toutefois, il existe des outils analytiques qui permettent d’estimer ces flux.

Nos estimations des 88,6 milliards $ (moyenne annuelle sur la période 2013-2015) qui quittent l’Afrique chaque année sous forme de fuite illicite de capitaux sont basées sur une approche et les données utilisant le poste résiduel dans la balance des paiements développée par le professeur Léonce Ndikumana, un éminent économiste africain dans le domaine. Cette approche lie les flux illicites de capitaux aux écarts entre les flux entrants de devises étrangères et leur emploi, officiellement comptabilisés. Les flux illicites de capitaux sont donc dans ce sens, les sorties de ressources financières qui ne sont pas officiellement comptabilisées. Il faut toutefois souligner que l’ampleur des flux financiers illicites ne pourrait être restreinte aux seules fuites illicites de capitaux, mais que ceux-ci permettent d’en avoir une idée.

Nous avons également estimé les flux financiers illicites sortants liés à la fausse facturation des exportations de produits extractifs qui s’est chiffrée à plus de 40 milliards $ en 2015, à travers une approche communément appelée « la méthode de l’écart entre les données miroir du commerce bilatéral ». Cette approche consiste à comparer la valeur déclarée des exportations d’un pays A vers un pays B à la valeur déclarée des importations du pays B en provenance de ce pays A et, après les ajustements notamment des coûts de transport et d’assurance, à induire le montant de la fausse facturation dans le commerce international à partir de l’écart calculé entre ces statistiques. 

Bien évidemment, ces différentes méthodes d’estimation des composantes de flux financiers illicites présentent un certain nombre de limites inhérentes par exemple à la qualité et à la disponibilité des données statistiques exhaustives et fiables entre autres. Toutefois, ces méthodes restent de rigoureux instruments analytiques pour dégager des estimations sur l’ampleur et l’impact des flux financiers illicites.

AE : Qu’est-ce que cela signifie pour le développement de l’Afrique de perdre une telle quantité de ressources financières, qui je rappelle est brute, et ne prend pas en compte un calcul mathématique des pertes d’opportunités et d’actualisation financière ?

KT : Le rapport suggère par exemple que les FFI sortants sont presque aussi importants que le total des flux entrants du fait de l'aide publique au développement, combinés aux investissements directs étrangers. En plus, quand on compare la supériorité des chiffres cumulés de la fuite illicite de capitaux en provenance d'Afrique au stock de la dette extérieure du contient ces dernières années, l'Afrique est théoriquement un créancier net du reste du monde. D’autres évidences pointées dans le rapport indiquent que dans les pays africains où les FFI sont élevés, les gouvernements dépensent 25 % de moins pour la santé que les pays où les FFI sont faibles et 58 % de moins pour l'éducation. Comme les femmes et les filles ont souvent un accès plus restreint à la santé et à l'éducation, tout porte à croire que ce sont elles qui souffrent le plus des effets négatifs des FFI sur le plan budgétaire.

Le déficit de financement pour réaliser les objectifs de développement durable en Afrique est estimé à 200 milliards de dollars par an. L'Afrique ne sera pas en mesure de combler cet important déficit avec les recettes publiques et l'aide au développement. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui vu les conséquences néfastes de la pandémie de covid-19 sur les économies africaines. Le rapport suggère que la lutte contre la fuite des capitaux et les FFI représente une importante source potentielle de capitaux pour financer des investissements indispensables, par exemple dans les infrastructures, l'éducation, la santé et les capacités de production.

En Afrique, les FFI proviennent principalement des industries extractives et sont donc associés aux dommages environnementaux. Le rapport montre aussi que la lutte contre la fuite illicite des capitaux pourrait générer suffisamment de fonds d'ici 2030 pour contribuer au financement de près de 50 % des 2400 milliards de dollars dont les pays d'Afrique subsaharienne ont besoin pour s'adapter au changement climatique et en atténuer les effets.

AE : On voit que le secteur extractif présenté comme l’opportunité de l’Afrique est aussi la première source d’hémorragie financière que subit le continent avec près de 49% de contribution aux FFI, est-ce que résolument, on ne peut inverser la malédiction de ces ressources en permettant aux pays du continent noir de tirer plus de leurs richesses ?

KT : Le rapport démontre en effet que le secteur extractif reste une source prépondérante d’hémorragie financière illicite de l’Afrique ; plus de 40 milliards $. Il faut évidemment chercher par tous les moyens à arrêter cette hémorragie. Cela passe entre autres par une bonne gouvernance et une transparence dans l’industrie extractive, on ne le dira jamais assez. Il faudra notamment continuer par renforcer le cadre réglementaire au niveau national, régional et continental.

Comme le souligne le rapport, certaines actions dans ce sens requièrent la mise en place d’un cadre réglementaire régissant expressément les flux financiers illicites ; l’investissement dans les infrastructures de données ; la redynamisation de la vision minière africaine et son appropriation aux niveaux national et régional et l’adhésion des pays africains à l’Initiative pour la transparence des industries extractives entres autres. Le Nigeria a été le premier pays d’Afrique à y adhérer. En 2007, l’Assemblée nationale a voté une loi portant création de l’Initiative pour la transparence des industries extractives au Nigeria, qui œuvre en faveur de la transparence, de la responsabilité et de la lutte contre la corruption. Cette agence est autonome sur le plan comptable et rend compte au président et à l’Assemblée nationale.

De plus, la question fondamentale de valeur ajoutée aux matières premières africaines à travers l’industrialisation demeure fondamentale pour que le continent puisse tirer plus de ses richesses. Dans ce contexte, il est attendu que l’opérationnalisation prochaine de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) contribue à promouvoir les chaînes de valeurs régionales et ainsi réduire potentiellement la dépendance des pays africains aux exportations de matières premières.

Il faut aussi signaler que la ZLECAf offre particulièrement une nouvelle ère de gouvernance commerciale en Afrique pour entreprendre des réformes structurelles indispensables pour s'attaquer à plusieurs problèmes commerciaux et autres. La ZLECAf devrait donc fournir un cadre de coopération et de renforcement de capacité institutionnelle pour lutter contre les pratiques illégales et les flux financiers illicites.

Par exemple, l'annexe 3 du Protocole sur le commerce des marchandises de l’Accord portant création de cette zone appelle à la coopération dans tous les domaines de l'administration douanière, à l'assistance mutuelle, à l'harmonisation des tarifs, des nomenclatures statistiques et des systèmes d'évaluation des biens, ainsi qu’à un renforcement des échanges d'informations entre les pays qui constituent tous des éléments importants pour traquer et combattre les flux financiers illicites. De plus, le Protocole sur l’investissement de la ZLECAf qui est en cours de négociation devrait, je l’espère, aborder la question des flux financiers illicites pour ainsi servir de base formelle à une coopération active entre Etats africains pour combattre ces flux.

AE : Comment peut-on parvenir à une justice fiscale dans les pratiques du business au niveau international, quelles sont les pistes de solutions que propose la CNUCED aujourd’hui ?

KT : Il s’agit d’une question cruciale. Nous proposons un « Plan de lutte en 10 points pour combattre les FFI en Afrique ». Les orientations générales contenues dans notre rapport visent à contribuer à la coopération internationale, y compris multilatérale pour lutter contre les FFI, et à renforcer les bonnes pratiques en matière de restitution des actifs pour favoriser le développement durable et la réalisation du Programme de développement durable à l'horizon 2030. Certains de ces points abordent directement les préoccupations liées à la justice fiscale.

Tout d’abord, les initiatives de transparence doivent être encouragées et soutenues. A bien des égards, lutter contre les FFI est une question d'éthique. La communauté internationale doit protéger en ce sens les organisations de la société civile, les lanceurs d'alerte et les journalistes d'investigation qui jouent un rôle essentiel en révélant l'ampleur des FFI et les mécanismes qui les soutiennent en Afrique et au-delà. Je dirais aussi qu’atteindre une justice sociale implique pour les entreprises multinationales de promouvoir une responsabilité sociale d'entreprise qui renforce le progrès économique et social inclusif et de manière durable.

De plus, les pays africains devraient parvenir à une position commune sur les réformes de la fiscalité internationale et influencer les négociations afférentes au niveau international. Il faudra aussi réviser les conventions fiscales en vue d’optimiser, sinon d’augmenter les droits d’imposition dans les pays victimes de FFI. De plus, les pays devraient éviter de signer des conventions qui limitent fortement leurs droits d’imposition. Chaque pays devrait évaluer les coûts liés à la suppression des droits d’imposition à l’aune des avantages potentiels en matière d’attraction des investissements directs étrangers.

Le renforcement de la collaboration multilatérale est aussi un élément essentiel pour promouvoir la justice fiscale. Comme le souligne le rapport, la dichotomie qui découle de la localisation de l’activité économique réelle et du statut d’établissement stable est au cœur des injustices ressenties. Il faudra alors s’atteler à résoudre au niveau international la question de la répartition des droits d’imposition. Au niveau mondial, on pourrait faire valoir que seule l’ONU, en raison de sa nature presque universelle et de sa structure démocratique, pourrait faire office d’organe fiscal véritablement mondial.

Il est aussi nécessaire d’accélérer les restitutions des avoirs volés aux pays ayant droit. À cet égard, la communauté internationale devrait soutenir davantage les initiatives telles que l’initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR - Stolen Asset Recovery Initiative) de la Banque mondiale et de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), une initiative qui vise à donner des conseils pratiques sur les stratégies de recouvrement des avoirs et la gestion des efforts qui y sont consacrés.

Entretien réalisé par Idriss Linge



 
GESTION PUBLIQUE

Le Sénégalais Ousmane Dione nommé vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA

Côte d’Ivoire : un an après la digitalisation des attestations d’assurance auto, quels changements réels pour les usagers de la route ?

Le Kenya sera le 1er pays africain à émettre des obligations liées au développement durable

Ethiopie : les Etats-Unis octroient 154 millions de dollars d’aide en réponse à la crise humanitaire

 
AGRO

Bénin : le gouvernement débloquera 40 millions $ pour la subvention des engrais en 2024/2025

« Le chocolat pourrait regagner son statut de produit de luxe avec la crise des prix » (George Edward)

Heineken annonce « l'arrêt temporaire » de deux sites de production au Nigeria

Maroc : le gouvernement lance un abattoir de 26,3 millions $ dans la commune de Sidi Bouknadel

 
MINES

Côte d’Ivoire : quatre sociétés obtiennent de nouveaux permis pour l’exploration de l’or

Ghana : la mine Asanko a généré 65 millions de dollars d’or de revenus au premier trimestre 2024 (Galiano)

Côte d’Ivoire : l’acquisition bouclée, Turaco vise une première estimation de ressources pour l’or d’Afema

Maroc : le canadien Aya estime à 72 millions d’onces l’argent contenu dans les ressources minérales du projet Boumadine

 
TELECOM

La BOAD augmente ses financements au secteur du numérique

Mozambique : le gouvernement limite les transactions d’argent mobile pour lutter contre le financement du terrorisme

Côte d’Ivoire : un séminaire de l'ARTCI pour améliorer la qualité des services télécom

Bénin : le régulateur fixe les conditions d’exercice pour les fournisseurs de services télécoms par satellite

 
TRANSPORT

Nigeria : un plan pour étendre le train urbain de Lagos vers l’Etat d’Ogun

Kenya : le président William Ruto lance un plan d’urgence pour réduire de moitié les accidents de la route

La Guinée signe avec le Japon un accord de financement de 18 millions $ pour reconstruire le pont sur la RN2

Le Nigeria crée un comité national pour piloter le lancement d’un guichet unique des services portuaires

 
ENTREPRENDRE

Avec Caytu Robotics, le Sénégalais Sidy Ndao permet de contrôler des robots multi-tâches à distance

La start-up malienne Kénèya Koura digitalise des processus de prise en charge sanitaire

Ouverture des candidatures pour le 14e Prix Orange de l’Entreprenariat Social en Côte d’Ivoire (POESCI)

AFAWA Finance Togo: BAD et AGF dynamisent l'accès au financement pour femmes entrepreneures

 
ECHO

CEMAC : les pays acceptant le plus de passeports africains sans visa

Cameroun : importations de véhicules en 2022

Le caoutchouc naturel en Côte d’Ivoire

Sénégal : chiffres de la fonction publique en 2023

 
FORMATION

Au Bénin, un programme pour former les jeunes filles à la cybersécurité

La première édition du Salon africain de la formation et de l’orientation est prévue le 16 mai à Abidjan

L’UNESCO propose des bourses pour suivre un programme d’ingénierie en Pologne

La Côte d’Ivoire expérimente la formation par alternance dans 4 lycées professionnels

 
COMM

L’Afrique abrite désormais 30% des abonnés de Canal +, contre 24, 1 % en 2019

Kenya : l’audience du contenu local est en pleine croissance

WhatsApp ajoute 3 nouveaux filtres pour vos conversations

Côte d’Ivoire : Agence Ecofin recrute pour son bureau d’Abidjan