Adeola Fayehun: "To Africa with love"

(Ecofin Hebdo) - En amour, il n’y a pas de règles ou de méthodes consacrées pour voler un cœur. Parfois, il faut de la finesse et d’autres fois, le franc-parler et l’impertinence suffisent pour devenir la chroniqueuse la plus appréciée du Nigeria. Les cœurs de la république fédérale, Adeola Fayehun les a conquis à coups de satires impertinentes sur YouTube et d’interviews où se mélangent, dans un savoureux cocktail, folie et professionnalisme.

 

Le 29 mai 2015, lors de l’investiture de Muhammadu Buhari, le monde entier va assister à une scène surréaliste. Alors que le président zimbabwéen Robert Mugabe dépasse un cortège de journalistes pour rejoindre la tribune réservée aux chefs d’Etats, il va être victime de l’une des embuscades les plus mythiques de la télévision nigériane. Pendant qu’il marche fièrement vers sa destination, l’homme d’Etat doit s’arrêter pour répondre aux questions d’une journaliste qui lui barre pratiquement la route.

Mugabe, comment-allez-vous ?

– Bien, répond l’intéressé

–Vous savez, ils veulent aussi des élections dans votre pays. Pour quand peut-on les espérer ?, assène la journaliste pas le moins du monde dérangée par l’inconfort de l’un des plus anciens présidents du continent.

Le chef d’Etat réussit à lui échapper, ce qui n’est que partie remise puisqu’elle s’en prendra de nouveau à lui lorsqu’il quitte la tribune officielle. Après une nouvelle série de questions, pour lesquelles le qualificatif d’impertinentes relèverait d’un doux euphémisme, Robert Mugabe réussit à nouveau à filer entre les doigts de la journaliste. Qu’à cela ne tienne, elle trouvera bien une autre victime. C’est en tout cas ce qu’on imagine lorsqu’à la fin de la vidéo, devenue virale sur internet, on l’entend distinctement demander : Jacob Zuma est-il ici ? Une légende est née et son nom est Adeola Fayehun.

 

Adeola Zuma

Une légende est née et son nom est Adeola Fayehun.

Une épée sur la langue

Ce n’est pas par hasard qu’Adeola Fayehun est comparée par beaucoup au satiriste américain Jon Stewart. On retrouve dans "Keeping it real with Adeola" (Restez authentiques avec Adeola), son émission satirique hebdomadaire sur l’actualité africaine, l’une des qualités, ou défauts selon certains, qui ont fait le succès du chroniqueur américain : un humour à l’acidité d’un zeste de citron plongé dans un cocktail. D’abord surpris quand on découvre le show, on devient très vite friand de la petite phrase assassine d’Adeola Fayehun. Au final on finit par attendre, avec une malsaine excitation, ce moment où une personnalité, souvent politique, mais pas que, se fera verbalement dépecer par la chroniqueuse.

Les afficionados de son émission se rappellent encore de ce moment où la Nigériane s’interroge sur la santé mentale de l’ex-président Yahya Jammeh, qui a interdit à la population gambienne d’écouter de la musique durant tout le mois du ramadan en 2016.  Personne n’y échappe. Entre les chefs d’Etats, les artistes, les forces de l’ordre, pour ne citer que ceux-ci, la besace d’Adeola Fayehun est pleine de scalps de divers horizons, récoltés au fil des épisodes de ‘’Keeping it real with Adeola’’.

 

Entre bulletin d’informations et One Woman Show

On peut se sentir perdu en se rendant sur la chaîne YouTube de Sahara TV pour suivre les épisodes de ‘’Keeping it real with Adeola’’. Il faut parfois s’accrocher, comme dans certains minibus de Lagos, pour ne pas perdre pied dans le roulis des vannes acerbes décochées sur des sujets très sérieux. Très vite, le choc des informations traitées est adouci par l’humour et la légèreté d’Adeola, avant que la chroniqueuse ne redonne, en une phrase choc, toute sa solennité au sujet traité.

« Personnellement, je ne prends aucun plaisir à juste écouter des informations. Cela me déprime. Moi je ne veux pas rendre dépressifs ceux qui me suivent »

‘’Keeping it real with Adeola’’ tient parfois du manège qui vous laisse à bout de souffle ; en quelques minutes, la journaliste désarçonne à la fois ceux qui sont venus à la recherche d’un sketch et les internautes qui s’attendent à un traitement classique de l’information. « Personnellement, je ne prends aucun plaisir à juste écouter des informations. Cela me déprime. Moi je ne veux pas rendre dépressifs ceux qui me suivent », confie Adeola Fayehun sur sa façon si particulière de présenter son show. « Quand on m’a proposé d’animer Keeping it real, j’ai accepté de le faire à l’unique condition que cela soit à ma façon. Les gens peuvent obtenir des informations de CNN ou de la BBC. Je devais leur donner une raison de me choisir », explique Adeola Fayehun.

 

Adeola FEG

« Je devais leur donner une raison de me choisir. »

Aujourd’hui, les abonnés de la chaîne YouTube de Sahara Reporters semblent ne plus pouvoir se passer de cet accent, ce ton, cet humour teinté d’un sarcasme tout droit venus des quartiers de Lagos. On a du mal à imaginer que la journaliste a quitté le Nigeria pour les Etats-Unis depuis l’âge de 19 ans.

 

 

Une Nigériane à New York

Adeola Fayehun est née au Nigeria en 1984. Elle est attirée dès son plus jeune âge par la presse, ce qui la motive à rejoindre le club de journalisme de son collège. « J’adorais lire des articles », explique la jeune femme, qui commence de plus en plus à rêver de vivre en les écrivant. En 2003, elle part aux Etats-Unis faire des études de journalisme au Olivet College de Michigan. Durant son cursus, elle crée le studio TV de son université. « Je voulais passer à la télévision mais ils n’avaient pas de studio. Alors j’ai parlé à un membre du corps professoral qui m’a encouragée à en créer un », raconte la satiriste.

Elle en sort avec une licence en journalisme et en communication de masse, avant d’obtenir, en 2008, un master en journalisme audiovisuel à la City University of New York. Elle travaille ensuite comme productrice pour la chaîne de l’université, avant d’obtenir un poste de correspondante à New York pour le quotidien nigérian "The Nation". C’est en 2009, qu’elle rejoint l’équipe de Sahara TV, une agence d’information en ligne fondée par son compatriote Omoyele Sowore et basée à New York. Mais malgré tout le temps passé aux Etats-Unis, la chroniqueuse semble avoir trouvé un moyen de rester authentique. Elle mime souvent dans son émission des appels à une amie à Abuja, ce qui donne souvent un monologue décapant mené par ce qu’elle aime appeler son personnage villageois.  

 

 

Les 12 travaux d’Adeola

Ce que beaucoup de personnes ignorent, c’est qu’Adeola Fayehun n’est pas uniquement la présentatrice de son émission. La satiriste produit entièrement son émission, pour laquelle elle rédige les conducteurs, les textes et gère également l’enregistrement, le montage et la mise en ligne. Cette capacité à s’impliquer dans divers aspects de son travail, développée au fil des années, est selon elle indispensable dans l’industrie des médias actuelle.

« Essayez d'apprendre tout ce que vous pouvez, profitez de tout l'équipement à votre disposition et apprenez à vous en servir. Découvrez ce que font les ingénieurs, les producteurs. »

Selon elle, « les médias actuels sont à la recherche de personnes capables de remplir plusieurs rôles en plus de leurs tâches au sein d’une rédaction ». La Nigériane conseille d’ailleurs à tous les jeunes journalistes d’être le plus polyvalent possible. « Essayez d'apprendre tout ce que vous pouvez, profitez de tout l'équipement à votre disposition et apprenez à vous en servir. Découvrez ce que font les ingénieurs, les producteurs. Apprenez, apprenez votre métier ! ». Son application et son éthique de travail lui ont valu quelques distinctions.

 

Adeola ordi

«  Apprenez, apprenez votre métier ! »

Un autre des nombreux travaux d’Adeola consiste à entrer dans la peau du personnage qu’elle campe sur son émission car, il faut le savoir, la présentatrice de ‘’Keeping it real with Adeola’’ est différente dans la vie de tous les jours. Loin des prompteurs et des projecteurs, elle apparait calme et réservée.

Il y a quelques jours, Adeola Fayehun a annoncé son intention de quitter Sahara TV. Son show, elle l’assure, continuera d’être diffusé sur sa chaîne YouTube personnelle. La chroniqueuse la plus suivie du Nigeria souhaite se lancer dans des projets plus indépendants. De quoi susciter la curiosité de ses fans qui attendent avec impatience de voir la direction que donnera la journaliste à sa carrière.

 

Servan Ahougnon

 

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