Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

Abdel Fattah al-Burhan ou l’insoutenable légèreté des promesses du militaire soudanais

  • Date de création: 29 octobre 2021 16:37

(Agence Ecofin) - En 2019, le général Abdel Fattah al-Burhan était arrivé en sauveur, promettant « d’éliminer les racines du régime d’Omar El Béchir », déposé quelques minutes avant ces mots. L’espoir avait alors germé dans les cœurs des Soudanais meurtris par les années rouges et la crue de sang provoquée par les conflits qui déchirent le pays depuis plusieurs années. Pourtant, cette semaine, les premiers fruits de l’espérance, personnifiés par le pouvoir civil, ont été fauchés. La faute à un arbre, aux couleurs d’un passé qu’on croyait révolu. Il a poussé juste là où se tenait l’ancien homme providentiel. Reniant ses promesses, Abdel Fattah al-Burhan semble désormais s’abreuver à la sève des racines qu’il voulait détruire pour rendre le pouvoir soudanais aux militaires, au grand dam des civils.

Lundi 25 octobre, c’est sur un flash info, entre surprise et impression de déjà vu, que s’ouvrent les journaux d’Afrique. A Khartoum, le général soudanais Abdel Fattah al-Burhan a dissout le gouvernement de transition presque entièrement composé de civils. L’armée les a arrêtés et décrété l’état d’urgence. A priori, rien de surprenant quand on se rappelle que le Soudan, avec, jusqu’au 24 octobre dernier, 17 tentatives de putsch, dont 5 réussies, est le pays africain où le pouvoir a été le plus menacé par les coups d’Etat depuis la période des indépendances. Il y a cependant une surprise et elle tient en un seul nom : Abdel Fattah al-Burhan.

1 militaire« Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, mais une prise de parti en faveur du peuple »

Le général qui avait pris la tête de la transition et qui avait été l’un des grands acteurs de l’éviction du dictateur Omar el-Béchir, est à l’origine de ce coup de force qui prive tous les civils impliqués dans la transition, des pouvoirs qu’ils partageaient avec l’armée depuis plusieurs mois.

Apprécié par le peuple, décrit comme un réformateur favorable à la prise de pouvoir des civils, il était devenu le symbole d’une nouvelle relation entre les Soudanais et leur armée. Désormais, il montre comme le dit un célèbre proverbe berbère que « l’arbre suit sa racine ».

Apprécié par le peuple, décrit comme un réformateur favorable à la prise de pouvoir des civils, il était devenu le symbole d’une nouvelle relation entre les Soudanais et leur armée. Désormais, il montre comme le dit un célèbre proverbe berbère que « l’arbre suit sa racine ».

Comment l’armée a pris la tête de la révolution populaire

Tous les jardiniers le savent, le meilleur moment pour réussir une greffe correspond au début de la floraison, quand l’arbre semble prêt à donner des fruits. Pour les militaires soudanais, en 2019, alors que la révolution populaire donnait des résultats, il était peut-être temps de greffer un nouveau militaire à la cime de ce changement inéluctable… Souvent la période de floraison correspond, selon les jardiniers, au printemps qui, dans l’histoire politique et sociale africaine, est désormais synonyme de période révolutionnaire.

En 2019, après avoir déposé Omar el-Béchir, à la suite de plusieurs jours de manifestations populaires, l’armée nomme d’abord le général Awad Ibn Auf, chef du conseil militaire de transition, chargé de diriger le Soudan après la destitution d’Omar el-Béchir. Le peuple s’y oppose. Un rejet de greffe ? Finalement, le vendredi 12 avril 2019, Awad Ibn Auf annonce sa démission. Il est remplacé par le général Abdel Fattah al-Burhan Abdelrahmane. La décision est accueillie par des scènes de liesse à Khartoum où les populations refusaient d’accepter celui qu’elles assimilaient à une vieille branche de l’ancien système, garant du pouvoir militaire. Pour rassurer encore plus les sceptiques, les militaires expliquent que la déposition d’Omar el-Béchir n’est pas un putsch destiné à rendre le pouvoir à l’armée.  « Le rôle du Conseil militaire est de protéger la sécurité et la stabilité du pays.  Ce n’est pas un coup d’Etat militaire, mais une prise de parti en faveur du peuple ».

L’homme providentiel

Quelques mois après la déposition du précédent chef d’Etat, cinq membres du conseil militaire de transition, bien évidemment issus de l’armée, et 6 civils, majoritaires donc, forment le conseil souverain de transition. Son rôle est de superviser l’action du gouvernement civil soudanais dirigé par le Premier ministre Abdallah Hamdok. La direction du conseil souverain est confiée au général Abdel Fattah al-Burhan. Peu connu du temps du régime d’Omar el-Béchir, il est accepté par la population qui ne peut le lier à aucune des récentes atrocités, dont elle accuse l’armée.

La direction du conseil souverain est confiée au général Abdel Fattah al-Burhan. Peu connu du temps du régime d’Omar el-Béchir, il est accepté par la population qui ne peut le lier à aucune des récentes atrocités, dont elle accuse l’armée.

En fait, peu de gens connaissent réellement le parcours de cet homme très discret. Né en 1960 à Gandatu, dans un village situé au nord de Khartoum, Abdel Fattah al-Burhan part étudier dans un collège de l’armée soudanaise, avant d’aller se perfectionner en Jordanie et en Egypte.

2 abdelAvec le raïs égyptien, Abdel Fattah al-Sissi.

Il aurait, selon plusieurs sources, rencontré, durant une académie militaire au Caire, Abdel Fattah al- Sissi, le général qui dirige actuellement l’Egypte. Après sa formation, Abdel Fattah al-Burhan est nommé attaché militaire à Pékin, en Chine. Il progresse dans l’armée au point de devenir commandant de l’armée de terre avant d’être nommé inspecteur général de l’armée par Omar el-Béchir. Pourtant, c’est bien l’inspecteur général de l’armée qui annoncera au dictateur son éviction du fauteuil présidentiel. Comme l’explique Abdel Fattah al-Burhan dans une interview, il faisait partie des trois militaires ayant communiqué sa déposition au président. Ce à quoi l’intéressé aurait simplement répondu : « OK ».

Comme l’explique Abdel Fattah al-Burhan dans une interview, il faisait partie des trois militaires ayant communiqué sa déposition au président. Ce à quoi l’intéressé aurait simplement répondu : « OK ».

Au fil des jours qui suivent la formation du conseil souverain de transition, Abdel Fattah al- Burhan prend de plus en plus les airs d’un président de la République. Le discret officier est de plus en plus médiatisé. Il reçoit les émissaires étrangers et est invité à l’extérieur pour représenter le pays. Y prend-il goût ? Beaucoup en sont convaincus. Et il y a de quoi le penser lorsqu’on voit que ces derniers mois, au fur et à mesure que la prise de pouvoir civile approchait, les relations entre les civils du conseil souverain de transition devenaient tendues avec le chef de l’institution. Le 17 novembre prochain, le conseil souverain de transition devait passer la main au Premier ministre Abdallah Hamdok.

L’envers de l’uniforme

S’il a pris goût aux apparitions publiques et aux invitations internationales, une chose sur Abdel Fattah al Burhan aurait dû susciter des suspicions. Jamais ce dernier ne quittait son uniforme militaire. Ce 25 octobre, il semble avoir convaincu les Soudanais que le vert militaire de l’armée ne serait jamais la couleur des feuilles attendues de l’arbre de la révolution populaire. Celui qui se disait, il y a encore quelques jours, favorable à un pouvoir civil, a pris le pouvoir par la force.

Il tente malgré tout d’expliquer sa décision. « Oui, on a arrêté des ministres et des politiciens, mais pas tous ». Il explique avoir écarté les civils parce que « certains attaquaient l’armée » qui demeure une « composante essentielle de la transition ».

Au final, l’intéressé semble parti pour rester aux commandes pour longtemps. N’en déplaise à la communauté internationale qui a condamné le coup d’Etat. Cette dernière pourrait finir par se montrer plus conciliante avec l’un des rares généraux soudanais à n’être pas islamiste.

N’en déplaise à la communauté internationale qui a condamné le coup d’Etat. Cette dernière pourrait finir par se montrer plus conciliante avec l’un des rares généraux soudanais à n’être pas islamiste.

Certains pays pourraient voir en Abdel Fattah al-Burhan un allié de choix dans la lutte contre l’islamisme et le terrorisme. En Afrique, le principal allié du nouvel homme fort soudanais devrait être l’Egypte. Après sa prise de fonction en 2019, c'est là-bas que s’était rendu Abdel Fattah al-Burhan pour sa première visite officielle. Le raïs égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, avait même annulé un voyage en Afrique du Sud, organisé pour l'investiture du président sud-africain Cyril Ramaphosa, pour le recevoir.

3 alliéUn allié de choix dans la lutte contre l’islamisme et le terrorisme.

Un autre allié, plus surprenant, pourrait également aider le général à conserver le pouvoir. Il s’agit des anciens rebelles que combattait l’armée soudanaise, il y a encore quelques mois. En signant l’accord de Juba en octobre 2020, ces ennemis d’hier ont fait la paix. Minni Minawi, de l’Armée de libération du Soudan, est devenu gouverneur de la province du Darfour. Jibril Ibrahim, du Mouvement pour la justice et l’égalité, est ministre des Finances. Les deux hommes ont organisé quelques jours avant le coup de force des manifestations et des sit-in devant les quartiers généraux des autorités de transition pour appeler à la chute du « gouvernement [civil, Ndlr] de la faim ». Tout semble en place pour permettre une certaine pérennité au nouvel homme fort soudanais.

Servan Ahougnon

servan ahougnon



Enveloppe
Recevez votre lettre Ecofin personnalisée selon vos centres d’intérêt

sélectionner les jours et heures de réception de vos infolettres.