(Agence Ecofin) - Warri, la ville la plus importante de l’Etat pétrolier du Delta du Niger, a intronisé son 21e roi Tsola Emiko. Outre les tensions ayant entouré la succession, le nouveau souverain a fait la une de nombreux médias pour d’autres raisons. En effet, le rôle des chefs traditionnels dans les régions pétrolières est un secret de polichinelle. Entre intermédiaire de négociation avec les milices, pour le gouvernement et les compagnies, et simple garant de la bonne marche des affaires pétrolières, le nouveau roi pourrait bientôt être très occupé.
Au Nigeria, le secteur pétrolier compte pour 10% du PIB, 90% des exportations et 50% des revenus gouvernementaux. Dans cette république fédérale dont l’économie respire littéralement de l’or noir, les autorités accordent une très grande importance aux régions où sont situées les sites d’exploitation de la précieuse huile. Dans le delta du Niger, l’une des régions clés de l’industrie pétrolière, la plus grande ville, Warri, qui est également un royaume séculaire occupé par l’ethnie Itsekiri, vient d’introniser son 21e roi, Tsola Emiko.
A une époque où les chefs traditionnels n’ont plus la même importance qu’il y a quelques années, son rôle pourrait néanmoins être déterminant ; surtout à une période charnière où le cadre réglementaire de l’industrie pétrolière est en plein changement dans la république fédérale.
Succession sous haute tension dans une région importante
En avril dernier, les deux couronnes royales de Warri, vieilles d’au moins 400 ans et décorées de diamant et d’argent, ont disparu du palais. Pour de nombreux observateurs, c’était une façon de contester l’intronisation prochaine de Tsola Emiko, le fils du souverain défunt de Warri, l’Ogiame Ikenwoli. Seulement, le Chief Ayiri Emami, proche conseiller du précédent souverain s’y oppose. Pour lui, le prince ne remplit pas une des conditions fixées par un édit de 1979 : pour être roi du Warri, il faut être né d’une mère originaire du royaume. A l’Etat civil Utieyinoritsetsola Emiko, le prince est né de l’union du précédent souverain de Warri à une Yoruba.
Pour lui, le prince ne remplit pas une des conditions fixées par un édit de 1979 : pour être roi du Warri, il faut être né d’une mère originaire du royaume. A l’Etat civil Utieyinoritsetsola Emiko, le prince est né de l’union du précédent souverain de Warri à une Yoruba.
De 1995 à 2001, il fait ses études primaires à Warri avant de s’inscrire au collège Adesoye, dans l'État de Kwara, pour ses études secondaires. En 2002, le prince rallie les Etats-Unis où il rejoint la Case Western Reserve University de Cleveland. Il y obtient une licence en relations internationales et en sciences politiques, avec seconde option en histoire et en économie. En 2007, Tsola Emiko obtient un master en management.
Ses premiers mots provoqueront l’émoi des jeunes de son royaume.
Il rentre au Nigeria l’année suivante et travaille au département des affaires publiques de National Petroleum Investment Management Services, une unité de la compagnie pétrolière nationale. Il a également travaillé à Shell Nigeria, entre 2009 et 2010, et à Sahara Energy en tant que responsable des relations gouvernementales, entre 2010 et 2012.
A la mort de son père en décembre 2020, tout semble prêt pour le voir succéder à son père. Une faction de la cour- accusée à ce propos du vol des couronnes- s’y oppose, mais ne fera que retarder l’inévitable. « Il n'y avait tout simplement pas de concurrence sérieuse car il était le plus qualifié avec un caractère fort, une compréhension claire des sensibilités de notre peuple, de ses processus de pensée profonds et calculés. Il affiche également un esprit analytique habile sur les questions du royaume », explique son oncle, le prince Yemi Emiko.
« Il n'y avait tout simplement pas de concurrence sérieuse car il était le plus qualifié avec un caractère fort, une compréhension claire des sensibilités de notre peuple, de ses processus de pensée profonds et calculés.»
Finalement, Tsola Emiko sera couronné le 21 aout sous le nom Ogiame Atuwatse III, en présence notamment de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo. Ses premiers mots provoqueront l’émoi des jeunes de son royaume à qui il a demandé de visualiser un futur pour la région « au-delà du pétrole et du gaz naturel ».
« Nous croyons fermement à l'interconnexion complexe entre le spirituel et le physique.»
« Il faut canaliser notre énergie dans la bonne direction, vers les projets qui apporteront une valeur ajoutée à tous les niveaux. Nous veillerons à ce que les femmes, jeunes et moins jeunes, soient honorées et respectées, non seulement en paroles, mais aussi dans la pratique », a ajouté le nouveau roi.
« Il faut canaliser notre énergie dans la bonne direction, vers les projets qui apporteront une valeur ajoutée à tous les niveaux. Nous veillerons à ce que les femmes, jeunes et moins jeunes, soient honorées et respectées, non seulement en paroles, mais aussi dans la pratique ».
Il a également profité de son couronnement pour annuler une malédiction jetée sur le Nigeria par son grand-père Olu Erejuwa II, souverain de Warri de 1951 à 1954 et de 1966 à 1986. Ce dernier avait été offensé par le gouvernement fédéral et avait maudit le territoire contrôlé par l’administration. « Nous croyons fermement à l'interconnexion complexe entre le spirituel et le physique. En tant que dirigeant spirituel, culturel, politique et traditionnel de ce royaume... j’inverse la malédiction et libère le pardon et la guérison sur le gouvernement fédéral du Nigeria », a apaisé Tsola Emiko, nouveau souverain du royaume de Warri.
La place des chefs traditionnels au Nigeria
Au Nigeria, les chefs traditionnels n’ont évidemment plus leur pouvoir d’antan. En 2020, le très respecté Emir de l’Etat de Kano, Lamido Sanussi a été destitué, notamment pour son opposition à Umar Ganduje, le gouverneur de Kano, qui a conduit à sa destitution. On parle ici pourtant d’un ancien gouverneur de la Banque centrale du pays et un des intellectuels les plus respectés du pays. Sa destitution est un symbole de la soumission totale des chefferies traditionnelles aux administrations et au pouvoir politique.
Dans les Etats du Nigeria, les chefs traditionnels sont tolérés par les dirigeants politiques. « Il n'y a aucun moyen de concilier l'idéologie féodale fondée sur le règne d'une dynastie et le lien de parenté avec l'application d'une constitution républicaine moderne », a déclaré le Jare Oladosun, professeur agrégé d'histoire à l'Université Obafemi Awolowo du Nigéria.
« Il n'y a aucun moyen de concilier l'idéologie féodale fondée sur le règne d'une dynastie et le lien de parenté avec l'application d'une constitution républicaine moderne ».
Effectivement, aucun rôle n’est prévu par la constitution pour les rois et autres chefs traditionnels. Ils sont considérés comme les gardiens des traditions et de la culture des régions où ils sont intronisés. Mais dans la pratique, leurs rôles peuvent se révéler plus important que cela, notamment dans les régions pétrolières du pays.
Ce que l’industrie pétrolière attend du nouveau roi
Selon Olivier de Souza, journaliste expert en hydrocarbures de l’Agence Ecofin, s’ils n’ont pas un rôle officiel défini par les textes, les chefs traditionnels sont très importants dans les régions pétrolières. « En général, l’industrie pétrolière nigériane est assez opaque et on ne discerne généralement pas tous les acteurs du système. Si les chefs traditionnels ne sont pas réellement impliqués dans l’amont de l’industrie (exploration et production) ou dans la négociation des contrats, ou encore dans l’aval (le raffinage), ils restent très importants pour le gouvernement et les compagnies pétrolières. En effet, ils sont essentiels dans le dialogue avec les communautés locales. Ils aident notamment à lutter contre le vol et la destruction du matériel des compagnies et leur rôle est capital dans la gestion des conflits entre les producteurs et les communautés, ou encore lorsque des groupes rebelles perturbent l’exploitation. »
Le roi de Warri rêve d’un avenir loin de l’or noir pour sa région.
Il faut savoir que le vol de pétrole affecte énormément le Nigeria dont l’économie se repose beaucoup sur l’or noir. En 2019, 22 millions de barils ont été volés entre janvier et juin 2019. Selon une étude de la Charte des ressources naturelles du Nigeria, la république fédérale pays perd, chaque année, entre 7 et 12 milliards de dollars à cause du vol de pétrole brut.
Selon une étude de la Charte des ressources naturelles du Nigeria, la république fédérale pays perd, chaque année, entre 7 et 12 milliards de dollars à cause du vol de pétrole brut.
Les chefs de communautés jouent un rôle important dans la lutte contre ce phénomène en sensibilisant leurs sujets et en essayant, autant que possible, de lutter contre les vols. Ils sont également importants pour négocier avec des mouvements armés comme les Nigeria Delta Avengers (NDA). Au début de l’année 2016, ce groupe avait mené de nombreuses attaques sur des plateformes et pipelines pétroliers pour exiger plus d’investissements sociocommunautaires dans le delta du Niger, qui est l’une des régions les plus pauvres du pays, malgré ses vastes gisements d’huile. Leurs attaques ont réduit de plus de moitié la production nationale. Un cessez-le-feu avait été trouvé après d’importantes négociations ayant été rendues possibles entre autres par les chefs communautaires de la région.
Le 26 juin dernier, le groupe a refait surface et menacé de reprendre ses attaques provoquant des sueurs froides chez les compagnies présentes dans le delta du Niger. « Le gouvernement nigérian a continué à faire la sourde oreille à nos demandes et aux défis croissants dans le pays. Nous n’épargnerons aucune installation pétrolière dans notre éventail de cibles stratégiques dans les jours à venir », avait déclaré le mouvement.
Jusque-là aucune attaque n’a été perpétrée, mais le nouveau roi de Warri devra intervenir pour éviter des désagréments. Il faut dire que le nouveau code pétrolier adopté par le pays, il y a quelques semaines, oblige les compagnies pétrolières à verser que 2,5 % de leurs dépenses dans la zone d’exploitation pour accompagner les fonds de développement au bénéfice des communautés. Pour la plupart d’entre elles, ce pourcentage est trop faible et provoque des grincements de dents. Mais le roi de Warri, qui rêve d’un avenir loin de l’or noir pour sa région, arrivera-t-il à les calmer quand les Nigeria Delta Avengers semblent déjà sur le pied de guerre ?
Servan Ahougnon