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Ace Magashule, l’homme qui se croyait plus puissant que le chef de l’Etat

  • Date de création: 14 mai 2021 16:39

(Agence Ecofin) - En Afrique du Sud, tous les regards sont tournés vers Ace Magashule. L’ancien secrétaire général de l’ANC, emblématique parti au pouvoir depuis 1994 dans la nation arc-en-ciel, vient d’être suspendu et remplacé par son adjointe Jessie Duarte. Cette dernière espère que son prédécesseur présentera des excuses pour avoir tenté de suspendre du parti le président Cyril Ramaphosa lui-même. Difficile à envisager quand on connaît Ace.

En Afrique du Sud, la presse n’en avait cette semaine que pour Jessie Duarte, ancienne assistante personnelle de Nelson Mandela, devenue la première femme à diriger l’ANC. Elle assure l’intérim d’Ace Magashule, n°1 du parti, suspendu suite à son inculpation dans une affaire de corruption. Lors de ses premières prises de parole publiques, la nouvelle secrétaire générale de l’ANC a déclaré qu’elle était convaincue que son prédécesseur présenterait ses excuses pour son comportement.

1 Ace Magashule ramaphosa

Traqué par la justice, Ace Magashule ira jusqu’à tenter de suspendre Cyril Ramaphosa de la présidence de l’ANC.

Plus que le fait de refuser de démissionner, comme le prévoient les textes du parti lorsqu’on est inculpé pour un crime, elle évoque surtout le fait qu'Ace Magashule a tenté de suspendre le chef de l’Etat Cyril Ramaphosa de la présidence du parti. Peu auraient osé, mais Ace n’est pas comme tout le monde et n’a jamais hésité, pour ses intérêts, à faire des choses que beaucoup n'imaginent pas.

Un passé contesté

Comme de nombreux caciques de l’ANC, Ace Magashule a une ou deux histoires de la résistance à l’apartheid à brandir à chaque fois qu’il est remis en cause. Né en 1959, dans la ville de Parys dans l’Etat libre, il est à l’état civil Elias Sekgobelo Magashule. Il grandit dans le township de Tumahole où il vit la même enfance que tous les enfants du ghetto. C’est après ses études secondaires, lorsqu'il entre à l'université de Fort Hare, que le jeune homme, selon l’histoire qu’il raconte, sera recruté par l'ANC, alors que le mouvement est encore clandestin.

Selon ses propos, il participe au mouvement étudiant de Fort Hare en 1982, est arrêté puis accusé de haute-trahison avant de devoir s’exiler pour 18 mois.

2Ace Magashule6

Une ascension bâtie sur le détournement de fonds publics et la corruption.

Cette histoire, embellie par endroits et montée de toutes pièces à certains niveaux, sera entièrement démontée par le journaliste d’investigation Pieter-Louis Myburgh dans son livre « Gangster State: Unravelling Ace Magashule's Web of Capture ».

Cette histoire, embellie par endroits et montée de toutes pièces à certains niveaux, sera entièrement démontée par le journaliste d’investigation Pieter-Louis Myburgh dans son livre « Gangster State: Unravelling Ace Magashule's Web of Capture ».

Les enquêtes ayant conduit à la rédaction du livre font intervenir d’anciens membres de l’ANC qui n’ont aucun souvenir d'Ace Magashule avant que l’interdiction du mouvement ne soit levée. Pire, l’histoire de son exil est exagérée, sachant qu’il n’aurait finalement duré que 5 mois, sans oublier qu’il n’a jamais été inculpé pour haute trahison. Selon les investigations, il est exilé en 1989, 5 mois avant la levée de l’interdiction de l’ANC qui lui permet de revenir en Afrique du Sud. Il devient professeur tout en continuant à militer.

Une ascension étonnante

En 1991, Ace Magashule se voit confier la tâche de diriger les représentations de l’ANC dans la région nord de l'Etat libre. En 1994, après la fusion de la région sud et de la région nord de la juridiction de l'ANC, il conserve une position de premier plan dans la direction du parti. Il obtient même un poste au sein du premier conseil exécutif provincial de l'Etat libre. Il y est chargé du tourisme et des affaires économiques. En 2004, il est élu à l'Assemblée législative de l'Etat libre lors des élections générales et y occupe le poste de « whip » (représentant chargé de veiller aux intérêts de son parti et de coordonner les membres du parti au Parlement, Ndlr) pour l’ANC.

Le 6 mai 2009, Ace Magashule est nommé à la tête du gouvernement de la province de l’Etat libre. A l’extérieur du parti, son ascension étonne et suscite des interrogations.

Le 6 mai 2009, Ace Magashule est nommé à la tête du gouvernement de la province de l’Etat libre. A l’extérieur du parti, son ascension étonne et suscite des interrogations.

Au sein de l’ANC, en dehors des factions rivales de celle d'Ace Magashule, qui se rapproche de Jacob Zuma, personne n’ose rien dire contre lui car il n’y a rien de factuel à lui reprocher.

Monsieur 10%, parrain de l’Etat libre ?

« Magashule a compris très tôt que l'ascension au sein de l'ANC n'avait pas grand-chose à voir avec le soutien de la population en général », indique le journaliste Pieter-Louis Myburgh dans son livre. Il y explique que le natif de Parys a acheté à coup de millions de rands de nombreux délégués de l’ANC pour grimper dans la hiérarchie. Cet argent, il l’aurait obtenu en étant à la tête de l’Etat libre. Selon des sources que Myburgh a tenu à protéger, Ace recevait 10% des fonds alloués par le gouvernement pour les projets publics dans l’Etat libre. A chaque attribution de projet à un prestataire, il recevrait de ce dernier 10% du montant décaissé. Ce schéma fonctionne longtemps et vaut depuis quelques années à Ace Magashule le surnom de « Monsieur 10% ».

A chaque attribution de projet à un prestataire, il recevrait de ce dernier 10% du montant décaissé. Ce schéma fonctionne longtemps et vaut depuis quelques années à Ace Magashule le surnom de « Monsieur 10% ».

En contrôlant les appels d'offres, directement ou par le biais de ses proches qui occupent presque tous les postes importants au sein de la province, il s’assujettit toutes les entreprises de l'Etat libre vivant des contrats publics.

3Ace Magashule5

En 2017, Ace Magashule devient secrétaire général de l’ANC.

D’autres montages lui permettent d’utiliser l’argent du contribuable pour, par exemple, rénover sa résidence de luxe ou s’acheter des voitures. Dans le même temps, il distribue des bourses aux étudiants, ce qui ravit ses partisans. Lorsque l’un des bénéficiaires des appels d’offres truqués, Ignatius Mpambani, est tué dans les rues de Sandton, quartier résidentiel de Johannesburg, et que ses mails sont envoyés au journaliste Pieter-Louis Myburgh, le voile commence à se lever sur les « deals » du chef de la province de l’Etat libre.

Quelques mois plus tard, en 2017, Ace Magashule devient secrétaire général de l’ANC. Là encore, la controverse n’est jamais loin. Son adversaire Senzo Mchunu, de la faction de Cyril Ramaphosa, pas encore président, partait favori. Chose étonnante, Ace Magashule remporte l’élection avec 2360 votes contre 2336 pour son adversaire. Il y a eu 8 abstentions et 4 bulletins nuls pour un total de 4708 votes alors que l’agence chargée des élections a dénombré 4776 votants. Les 68 votes fantômes ne seront jamais retrouvées. Pour de nombreux analystes de la politique sud-africaine, l’ANC vient de se tirer une balle dans le pied en choisissant pour secrétaire général le dernier baron de la corruption au sein du parti, alors que les scandales reprochés à Jacob Zuma ont sali l’image du parti. Les années suivantes ne tarderont pas à leur donner raison.

Crise à l’ANC

Les rumeurs sur les affaires sombres d’Ace vont bon train sans qu’il ne soit inquiété. Mais cette accalmie ne dure que quelques jours. Un mois après son élection, le secrétaire général de l’ANC reçoit la visite de la police anticorruption. On le soupçonne d’avoir détourné 13,5 millions d’euros qui auraient dû bénéficier à une centaine de fermiers noirs.

Un mois après son élection, le secrétaire général de l’ANC reçoit la visite de la police anticorruption. On le soupçonne d’avoir détourné 13,5 millions d’euros qui auraient dû bénéficier à une centaine de fermiers noirs.

La sortie du livre de Pieter-Louis Myburgh viendra rajouter de la pression sur le secrétaire général de l’ANC. Finalement, une des affaires de l’époque où il se trouvait à la tête de l’Etat libre le rattrape.

4Ace Magashule zuma

Ace Magashule et Jacob Zuma auront durablement sali l’image du parti de Nelson Mandela.

Ace Magashule est accusé avec 15 personnes d’avoir volé de l’argent public mis de côté en 2014 afin de désamianter des logements sociaux. Les travaux n’ont jamais eu lieu, mais près de 10 millions d’euros ont été empochés par les accusés.

Ace est libéré sous caution, mais doit faire face à son parti avant de faire face aux juges dans quelques mois. L’ANC lui donne 30 jours pour démissionner comme les règles de fonctionnement du parti l'exigent pour les cadres inculpés dans des affaires graves. Le natif de Parys refuse et tente même de suspendre Cyril Ramaphosa de son poste de président du parti. Finalement, la guerre du président sud-africain contre la corruption au sein même de son parti se mue en simple bataille de factions, sachant que de nombreux proches de Jacob Zuma soutiennent Ace Magashule.

Finalement, la guerre du président sud-africain contre la corruption au sein même de son parti se mue en simple bataille de factions, sachant que de nombreux proches de Jacob Zuma soutiennent Ace Magashule.

Remplacé par Jessie Duarte le 11 mai, il a déclaré ne pas reconnaître son autorité. L’ANC est de nouveau en crise, et cela grâce à un seul homme, dont la tentative de « jeter dehors » le président Ramaphosa rappelle les nombreux problèmes accumulés ces dernières années par le parti de Nelson Mandela qui semble désormais au bord de l’implosion.

Servan Ahougnon

servan ahougnon



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