(Agence Ecofin) - Ces dernières années, dans les conversations congolaises, son nom a souvent rimé avec corruption. Lui, c’est Dan Gertler, milliardaire israélien ayant fait fortune dans ce grand pays d’Afrique centrale si vulnérable, et dont la richesse du sous-sol fait tourner bien des têtes. Accusé de pillages facilités par sa proximité avec le régime défunt de Joseph Kabila, il paye sans doute aujourd’hui les conséquences du divorce politique de Félix Tshisekedi avec son « ami intime ».
Dans une lettre datée du 16 juin et rendue publique il y a moins de trois semaines, le ministère congolais du Pétrole a informé Oil of DRCongo, propriété du milliardaire Dan Gertler, que ses permis d’explorations sur les réserves pétrolifères du lac Albert ne seront pas renouvelés. C’est le dernier revers d’importance pour l’homme d’affaires israélien qui, après des décennies d’enrichissement en RDC, subit depuis quelques années les assauts de la justice américaine et de la nouvelle administration de Kinshasa.
En 1997, à moins de 24 ans, il s’installe dans les arcanes du pouvoir congolais.
A l’aune des récents développements politiques en RDC – fin de la coalition Tshisekedi-Kabila, nouveau gouvernement de « l'union sacrée » – on mesure à quel point Dan Gertler n’est plus en odeur de sainteté à Kinshasa, particulièrement auprès de l’homme fort de la capitale, Félix Tshisekedi.
Montée en puissance
Daniel Gertler est né en décembre 1973 dans une prestigieuse famille juive d’Israël, puisqu’il n’est rien de moins que le petit-fils de Moshe Schnitzer, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’industrie israélienne du diamant, dont la notoriété aujourd’hui dans le monde n’est plus à démontrer.
Il n’est rien de moins que le petit-fils de Moshe Schnitzer, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’industrie israélienne du diamant, dont la notoriété aujourd’hui dans le monde n’est plus à démontrer.
Le patriarche Schnitzer a en effet cofondé la Bourse des diamants d’Israël et en fut même le premier président. L’un de ses enfants, Shmuel Schnitzer, oncle de Dan, a également dirigé l'Israël Diamond Exchange et a été président de la World Federation of Diamond Bourses. Avec ces illustres devanciers, le jeune Dan aurait tout à fait pu rêver d’une carrière dans les hautes sphères de ce monde assez secret de l’industrie du diamant. Il se trouve néanmoins que l’homme d’affaires en devenir a d’autres ambitions, qui l’emmènent en Afrique bien loin de son pays natal.
Son grand père, Moshe Schnitzer, pionnier de l’industrie israélienne du diamant.
La majorité à peine atteinte, Dan Gertler se lance en effet en 1994 dans le commerce de diamants bruts en Afrique centrale et de l’Ouest, s’approvisionnant notamment en Angola et au Liberia, avant de revendre son trésor en Inde, aux Etats-Unis et même en Israël. Mais très vite, les premières accusations apparaissent. Selon un rapport publié en 2001 par l’ONU, et relayé par Le Monde, Dan Gertler aurait utilisé des moyens illégaux pour se procurer les pierres en question. Alors que la guerre civile fait rage au Liberia, Dan Gertler est accusé d’avoir vendu des armes à différents belligérants en échange des diamants, en violation de l’embargo international. Des allégations que réfutent encore aujourd’hui Dan Gertler et son entourage.
Alors que la guerre civile fait rage au Liberia, Dan Gertler est accusé d’avoir vendu des armes à différents belligérants en échange des diamants, en violation de l’embargo international.
« Notre client nie catégoriquement toute implication dans les échanges présumés d’armes contre des diamants au Congo à la fin des années 1990 », assurait en 2015 le cabinet d’avocats londonien Mishcon de Reya, dans une lettre adressée au Consortium international de journalistes d’investigation.
Dan Gertler se fait octroyer des permis miniers et pétroliers qu’il revend jusqu’à 10 fois plus cher.
Toujours est-il que c’est également à cette époque que le futur milliardaire commence ses activités en RDC, à la faveur là aussi du conflit qui déchire le pays. En 1997, à moins de 24 ans, il s’installe dans les arcanes du pouvoir congolais grâce aux promesses faites à Laurent-Désiré Kabila. En échange de fournitures d’armes et d’argent pour financer la guerre, Dan Gertler obtient du chef de l'Etat l’octroi de plusieurs concessions de diamants à des prix dérisoires. En 2000 notamment, il détiendra, pour une période de 18 mois, les droits exclusifs pour acheter et exporter toute la production artisanale congolaise de diamants. Quand le président meurt assassiné à Kinshasa en 2001, c’est peut-être la débandade dans le rang d’autres hommes d’affaires étrangers, mais pour Dan Gertler, rien ne change vraiment. Prévoyant qu’il est, il a en effet tissé des liens avec Joseph Kabila qui prend la succession de son père à la tête du pays. A partir de ce moment, c’est le jackpot.
Deux décennies de profits et de controverse
Profitant de sa proximité avec le pouvoir de Joseph Kabila, Dan Gertler enchaîne les obtentions de permis miniers et pétroliers. Il exploite certains gisements mais, dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’acquérir les propriétés à des prix ridiculement bas, en complicité avec les hommes politiques et certains hauts fonctionnaires, pour ensuite les revendre à des prix largement supérieurs. C’est un système qui a fait ses preuves puisqu’un autre milliardaire israélien, Beny Steinmetz, l’a utilisé en Guinée pour s’enrichir grâce au géant gisement de fer du mont Simandou. Dan Gertler a appliqué la même méthode, mais à grande échelle.
C’est un système qui a fait ses preuves puisqu’un autre milliardaire israélien, Beny Steinmetz, l’a utilisé en Guinée pour s’enrichir grâce au géant gisement de fer du mont Simandou. Dan Gertler a appliqué la même méthode, mais à grande échelle.
En 2010 par exemple, il rachète pour 60 millions $ la mine de cuivre-cobalt Metalkol, arrachée par l’Etat à First Quantum Minerals. Quelques mois plus tard, il revend l’actif à 685 millions $ à Eurasian Natural Resources Corporation (contrôlé par Eurasian Resources Group depuis 2013), soit une plus-value de plus de 600 millions de dollars pour lui et ses partenaires. En 2017, il fera à nouveau des bénéfices grâce à ce même projet, en acquérant les droits sur les redevances versées à l’Etat à travers la Gécamines pour 55 millions $. Inutile de rappeler le caractère ridicule de cette somme quand on considère les prix de la tonne de cuivre ou de cobalt ou encore les années de redevances qui ne profiteront plus au peuple congolais. La même année, il faut souligner que Glencore a acquis les parts minoritaires de Dan Gertler dans les mines de Mutanda et du Katanga pour 960 millions $. Là encore, la méthode utilisée en amont par Dan Gertler pour s’approprier ces intérêts suscite de la polémique.
En 2010 par exemple, il rachète pour 60 millions $ la mine de cuivre-cobalt Metalkol, arrachée par l’Etat à First Quantum Minerals. Quelques mois plus tard, il revend l’actif à 685 millions $ à Eurasian Natural Resources Corporation
Tous ces contrats opaques conduisent en 2017 l’administration Trump à imposer des sanctions économiques à Dan Gertler et ses entreprises. Ses avoirs dépendant de la juridiction américaine sont bloqués, car Washington l’accuse d’avoir trempé dans plusieurs affaires de corruption, faisant notamment perdre plus d’un milliard $ au trésor congolais. « Le partenariat corrompu de Dan Gertler avec l’ancien président Joseph Kabila a coûté cher à la RDC en termes de ressources perdues », assène John Prendergast, cofondateur de l’ONG anticorruption The Sentry.
Un véritable caméléon
A bientôt 48 ans, Dan Gertler n’a pas eu que des amis et des soutiens en amassant une fortune qui s’élève aujourd’hui à 1,2 milliard $ selon Forbes. Face aux attaques de la justice et désormais du pouvoir congolais, l’homme d’affaires fait depuis quelques mois ce qu’il sait faire le mieux : parer aux coups. Quelques mois après la mise en place des sanctions américaines, Dan Gertler a en effet réorganisé son empire avec la création de plusieurs sociétés-écrans et l’utilisation de prête-noms afin de poursuivre ses activités à Kinshasa. C’est du moins ce qu’a révélé un rapport rendu public l’année dernière par Global Witness et la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF).
Washington l’accuse d’avoir fait perdre plus d’un milliard $ au trésor congolais.
Si, depuis le rétablissement des sanctions par Washington en mars dernier, certains doutent de son influence, il peut toujours leur rappeler qu’il a déjà obtenu une première fois (à la fin du mandat de Trump) leur levée. De plus, en RDC, celui qui se revendique philanthrope et acteur déterminant dans la création d’emplois et l’investissement dans le pays, a aussi des cartes à jouer. Dans une vidéo publiée en novembre dernier, il invitait le peuple congolais à partager avec lui la richesse de son sous-sol. Rien de plus.
« C’est la première fois que vous, frères et sœurs, allez profiter de la richesse de ce pays. […] Sur chaque tonne de cuivre ou de cobalt qui va être extraite […] chaque Congolais sera partenaire et payé pour chaque tonne exportée », explique-t-il, grand seigneur.
Seulement, cette fois, tous les artifices et les déclarations pleines de belles promesses risquent bien de ne pas suffire à le maintenir en RDC. Alors que Félix Tshisekedi a dénoncé il y a quelques semaines le pillage des richesses minières congolaises et annoncé son intention de revoir les contrats miniers, les actifs de Dan Gertler dans ce secteur pourraient devenir bientôt la cible de l’homme fort de Kinshasa. C’est sans doute le moment de rappeler que la chute de Beny Steinmetz a justement débuté d’une façon similaire, quand le président guinéen Alpha Condé, fraîchement élu en 2010, a entamé la révision des codes miniers. L’histoire a parfois tendance à se répéter.
Emiliano Tossou
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Accra, Ghana