João Lourenço, l’affranchi

(Agence Ecofin) - Lorsque José Eduardo dos Santos, président de l’Angola pendant 38 ans, se prépare à céder le pouvoir, sa fille Isabel et son fils José Filoméno ne sont pas encore prêts à prendre la suite de leur père. Heureusement, le président sortant a pensé à tout. Son héritier temporaire sera un collaborateur de longue date au sein de son parti : João Lourenço. Le plan semble parfait jusqu’à ce que le nouveau président décide de se libérer totalement de l’influence de son prédécesseur. Aujourd’hui, l’ex-régent et l’héritière naturelle se livrent une guerre, presque fratricide, à un an des élections présidentielles.

Devant un tribunal londonien, Isabel dos Santos, la fille de l’ancien président, accuse João Lourenço l’actuel président de l’Angola de conspirer pour usurper ses biens. La femme la plus riche d’Afrique a accusé le successeur de son père d’avoir un « agenda politique et une vendetta personnelle » contre elle.

La politique a toujours été présente dans sa vie.

Grâce à des enregistrements audio et vidéo collectés par Black Cube, une agence de renseignement privée israélienne, Isabel dos Santos essaie de prouver l'existence d'un groupe de travail gouvernemental chargé de détruire l’empire commercial de sa famille « en utilisant les ressources de l'Etat angolais et le pouvoir institutionnel ». Pourtant, il y a quelques années, João Lourenço et les dos Santos semblaient si proches.

Le dauphin idéal

Ce n’est pas par hasard si, à l’époque, le choix de João Lourenço a suscité beaucoup de scepticisme quant à la volonté de José Eduardo dos Santos de réellement « quitter les affaires ». Effectivement, le profil du dauphin désigné par l’ancien président angolais semblait être celui du prête-nom parfait, et ce jusque dans les plus petits détails de son parcours.

Né à Lobito le 5 mars 1954, João Lourenço étudie en Angola avant de rallier, comme José Eduardo dos Santos, l’ex-URSS pour faire ses études supérieures. Il rentrera en 1974 pour participer à la guerre contre les colons portugais jusqu’en 1975.

João Lourenço étudie en Angola avant de rallier, comme José Eduardo dos Santos, l’ex-URSS pour faire ses études supérieures. Il rentrera en 1974 pour participer à la guerre contre les colons portugais jusqu’en 1975.

La politique a toujours été présente dans sa vie. Sa famille est très engagée politiquement. Son père, infirmier, a par exemple purgé trois ans de prison pour activité politique illégale. Rempli d’idéaux marxistes léninistes, il occupe, au fur et à mesure de ses promotions dans l’armée angolaise, plusieurs postes au sein du Mouvement populaire de libération de l'Angola (MPLA).

« Je ferai tout pour honorer la confiance ainsi placée en moi.»

Elu gouverneur, il est ensuite chef de la section politique de l'ancienne branche armée du parti, puis président de groupe au sein du Parlement avant de devenir secrétaire général du MPLA. Il a de très bonnes relations avec le président José Eduardo dos Santos qui voit en lui un collaborateur fidèle, et ce jusqu’au début des années 2000, notamment à la fin de la guerre civile angolaise, lorsque le président laisse entendre qu’il pourrait bientôt passer la main.

A ce moment, le patriarche dos Santos commence à le voir comme un danger, notamment pour son fils José Filoméno. Lourenço est alors éloigné du secrétariat général du parti pendant quelques années.

João Lourenço est alors le seul à lui avouer qu’il aimerait lui succéder. A ce moment, le patriarche dos Santos commence à le voir comme un danger, notamment pour son fils José Filoméno. Lourenço est alors éloigné du secrétariat général du parti pendant quelques années.

Le passage de témoin

Personne ne peut dire exactement ce qui traverse l’esprit du président José Eduardo dos Santos lorsqu’il ramène João Lourenço sur le devant de la scène en 2014. S’est-il rendu compte que son compagnon d’armes, de luttes pour l'indépendance, avait simplement péché par honnêteté ? Le président a-t-il compris que ses enfants étaient loin d’être prêts à prendre sa suite ?

Il le choisit en 2016 pour le remplacer à la tête de l’Angola.

De son côté João Lourenço, vice-président de l’Assemblée nationale, écarté du premier cercle du pouvoir, a-t-il voué une haine secrète au chef de l'Etat pour l’avoir traité de la sorte ? Le futur peut le laisser croire. Malgré tout, on n’en devine rien lorsqu’en 2014, José Eduardo dos Santos nomme celui qu’il avait éloigné, ministre de la Défense. Les autres caciques du parti ont plaidé sa cause auprès du président. Finalement le chef de l’Etat ne fait pas que ramener le natif de Lobito dans le premier cercle du pouvoir. Il le choisit en 2016 pour le remplacer à la tête de l’Angola.

« Cela fait longtemps que je me prépare à cette fonction et que l'on m'y prépare. Ce qui est arrivé aujourd'hui n'est que la confirmation de quelque chose qui en interne et au niveau de la direction du parti était déjà acquis. Je suis donc tout à fait prêt à accepter ce défi que le camarade président et le parti ont bien voulu me demander de relever. Je ferai tout pour honorer la confiance ainsi placée en moi. Ma priorité sera désormais de travailler pour gagner ces élections », déclare João Lourenço lorsque la décision est révélée au grand public.

« Cela fait longtemps que je me prépare à cette fonction et que l'on m'y prépare. Ce qui est arrivé aujourd'hui n'est que la confirmation de quelque chose qui en interne et au niveau de la direction du parti était déjà acquis.»

Hors des premiers cercles de décision au sein du parti et hors du MPLA, beaucoup sont sceptiques et voient le dauphin comme une marionnette du président sortant. « En toute modestie, je ne pense pas être un inconnu aux yeux des Angolais. Je suis un cadre du parti depuis des années. J'ai occupé différentes fonctions, j'ai même été à un moment secrétaire général du parti. A ce titre j'ai sillonné l'Angola. Je crois donc que mon nom est connu et que 7 mois me suffiront pour l'emporter », répond l’intéressé. Au final, il est élu président de la République et prête serment le 26 septembre 2017.

L’affranchissement

Seulement 6 mois après son arrivée au pouvoir, João Lourenço fait mentir tous ceux qui voyaient en lui une marionnette des dos Santos. Il limoge Isabel dos Santos de la Sonangol, la société nationale d’exploitation pétrolière. Il évince ensuite Sindika Dokolo, le mari d’Isabel, impliqué dans le commerce de diamants, et enfin il retire au fils dos Santos, José Filoméno, la présidence du Fonds souverain angolais. Puis en 2018, il remplace le chef des services de renseignement et le chef d'état-major de l'armée, coupant ainsi tous les liens avec José Eduardo dos Santos.

Puis en 2018, il remplace le chef des services de renseignement et le chef d'état-major de l'armée, coupant ainsi tous les liens avec José Eduardo dos Santos.

Lors du congrès de septembre 2018 convoqué par José Eduardo dos Santos, toujours président du MPLA, pour annoncer sa retraite politique, João Lourenço est élu président du parti. Il lance une vaste opération de lutte contre la corruption. Depuis plusieurs années, il est opposé à Isabel dos Santos dans de nombreuses affaires judiciaires dans lesquelles il l’accuse de s’être enrichie aux frais de l’Etat. Mais, si la pression était dans le camp de la fille de l’ancien président angolais, elle semble de plus en plus se rapprocher de son successeur à un an des élections présidentielles.

2018 : il lance une vaste opération de lutte contre la corruption.

En effet, accusé d’avoir produit de faux documents pour faire geler les avoirs angolais de la fille d’Eduardo dos Santos, João Lourenço doit également faire face à la menace que représenterait cette dernière si elle se présente aux prochaines élections sachant que les dos Santos ont encore des amis au sein du MPLA. Le président angolais se trouve à un carrefour de sa carrière politique. Le futur nous dira s’il réussira à vaincre définitivement les dos Santos ou si le clan fera un retour triomphal à Luanda renvoyant à nouveau João Lourenço loin du pouvoir, rien n'est moins sûr.

Servan Ahougnon