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Mathieu Kérékou, le Caméléon qui a changé la couleur du Bénin

  • Date de création: 24 juillet 2020 17:26

(Agence Ecofin) - L’histoire regorge de présidents passés d’idéaux nobles à une application dictatoriale de leur vision. Dans le cas de Mathieu Kérékou, c’est plutôt l’inverse. C’est sous sa direction que le Bénin est passé d’un pouvoir militaire à la démocratie, alors qu’à l’origine, celui que la postérité retient sous le surnom de Caméléon est l’un des principaux acteurs de la période trouble du pays. Son volte face idéologique a métamorphosé un pays qui le considère aujourd’hui comme l’une des personnalités les plus importantes de son histoire.

Alors que le 1er août, date de l’accession du pays à l’indépendance, se profile, comme souvent, au Bénin, un pays tout entier pense à son histoire. Premier pays d’Afrique francophone à avoir adopté la démocratie, la nation aura également une forte pensée pour l’homme ayant conduit sa transition : le président Mathieu Kérékou. Véritable terreur pour une partie du peuple, pendant presque deux décennies, l’homme a su se métamorphoser au moment où son pays en avait le plus besoin, pour le mettre sur un chemin qu’il tente de suivre depuis plusieurs années.

1 MathieuLa figure politique la plus emblématique de l’histoire du pays

Cela n’absout certainement pas l’ancien putschiste, d’actes qui continuent d’entacher son image jusqu’à ce jour. Malgré tout, au Bénin, au moment où les drapeaux toucheront les sommets des mâts pour célébrer l’accession à l’indépendance, beaucoup rendront certainement hommage à celui qui demeure, à ce jour, la figure politique la plus emblématique de l’histoire du pays.

Le général rouge

L’histoire de Mathieu Kérékou commence en 1933, année durant laquelle il nait à Kouarfa, dans une modeste famille d’agriculteurs du nord-ouest du Bénin, à l’époque Dahomey. Ses premières années sont plutôt classiques pour un enfant de cette région, jusqu’à ses 14 ans. C’est à ce moment qu’il rejoint l’Ecole des enfants de troupe pour apprendre le maniement des armes et recevoir une formation militaire des officiers coloniaux français. Cette dernière le conduit au Mali, au Sénégal puis en France. Il y rallie la commune de Fréjus, où se trouvait un camp d’infanterie de la marine française. Il part ensuite pour Saint-Maixent. A son retour, sa formation lui permet de gravir rapidement les échelons au sein de l’armée béninoise.

2 armee beninoiseSa formation lui permet de gravir rapidement les échelons au sein de l’armée béninoise.

En 1960, au moment de l’accession de son pays à l’indépendance, Mathieu Kérékou est sous-lieutenant, puis aide de camp d’Hubert Maga, premier président de l’histoire du pays. L’éviction, de ce dernier, en 1963, marque le début d'une série de coups d'Etat qui font du pays une des nations les plus instables du continent africain. Certains médias surnomment même le pays « l’enfant malade de l’Afrique ». En mai 1970, le pouvoir est assuré par un conseil présidentiel dont les trois membres, les anciens présidents Hubert Maga, Justin Ahomadegbé et Sourou Migan Apithy, assurent la présidence à tour de rôle.

La situation du pays finit par exaspérer les militaires et notamment le commandant Mathieu Kérékou. En 1972, avec d’autres officiers, il participe à un putsch qui le porte à la présidence du pays.

La situation du pays finit par exaspérer les militaires et notamment le commandant Mathieu Kérékou. En 1972, avec d’autres officiers, il participe à un putsch qui le porte à la présidence du pays.

Dès sa prise de pouvoir, il prononce une phrase qui passera à la postérité. « La branche ne se cassera pas dans la main du Caméléon ». Laissant entendre que le pays ne se briserait jamais entre ses mains, le tout nouveau chef d’Etat va pourtant installer un régime dirigé d’une main de fer.

3 cameleon« La branche ne se cassera pas dans la main du Caméléon ».

Après plusieurs mois de transition, il choisit de mettre le pays sous pavillon communiste et impose le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’Etat. En 1975, le gouvernement nationalise les grandes entreprises et rebaptise le pays République populaire du Bénin.

Après plusieurs mois de transition, il choisit de mettre le pays sous pavillon communiste et impose le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’Etat. En 1975, le gouvernement nationalise les grandes entreprises et rebaptise le pays République populaire du Bénin.

En 1977, une tentative de coup d’Etat perpétrée avec l’aide du mercenaire français Bob Denard n’arrive pas à déloger Mathieu Kérékou du fauteuil présidentiel. Le caméléon est de plus en plus décrié par le peuple qui se met à scander dans la rue des appels à la lutte contre le régime « laxiste béniniste ». Le régime de Mathieu Kérékou va alors réprimer violemment le mouvement de contestation. La police politique sème la terreur et torture les membres de l’opposition dans la célèbre prison de Ségbana, située dans le nord du pays.

Le régime de Mathieu Kérékou va alors réprimer violemment le mouvement de contestation. La police politique sème la terreur et torture les membres de l’opposition dans la célèbre prison de Ségbana, située dans le nord du pays.

Le cycle « désapprobation-répression » se poursuit pendant des années. En 1987, Amnesty International recense une centaine de prisonniers politiques et de nombreuses exactions. A ce moment de l’histoire, Mathieu Kérékou, promu entre-temps au grade de général, est loin d’avoir l’image qu’il conserve aujourd’hui et l’importance qui lui est conférée dans l’histoire du Bénin.

Le changement de couleur du caméléon

L’interrogation sur ce qui provoque le changement total du président Mathieu Kérékou tourmente, jusqu’à ce jour, de nombreux observateurs de l’histoire politique du Bénin. Au final, de nombreuses hypothèses ont été émises pour expliquer ce qu’on peut appeler le revirement des années 90 du Caméléon. Pour certains, la motivation est essentiellement économique. En effet, le pays traverse une crise économique importante. Malgré la mise en place de programmes de développement, le régime communiste échoue sur le plan économique. La corruption et le népotisme forcent le gouvernement communiste à courber l’échine devant le FMI. L’organisation aurait obtenu du président les changements politiques qui ont suivi.

Pour d’autres, en bon analyste politique, Mathieu Kérékou aurait senti le vent tourner avec la chute du mur de Berlin et compris que le régime devait évoluer pour survivre.

4 KerekouMathieu Kérékou aurait senti le vent tourner avec la chute du mur de Berlin.

Certains avancent plutôt que ce sont les troublantes images de la chute et de l’exécution en Roumanie du « dictateur rouge » Nicolae Ceausescu, qui auraient ému le président, craignant de connaître un futur similaire.

Certains avancent plutôt que ce sont les troublantes images de la chute et de l’exécution en Roumanie du « dictateur rouge » Nicolae Ceausescu, qui auraient ému le président, craignant de connaître un futur similaire.

Quoi qu’il en soit, Mathieu Kérékou commence, à partir de 1988, année durant laquelle le pays est placé sous la tutelle du FMI, à mettre en œuvre des changements dans sa gestion du pays en instaurant notamment le multipartisme. En 1989, il convoque une Conférence des forces vives de la nation, destinée à établir de nouvelles institutions. A la fin de cette dernière, il accepte que les décisions de la conférence s’imposent à lui. « J’ai honte de moi », confesse-t-il à la conférence.

A la fin de cette dernière, il accepte que les décisions de la conférence s’imposent à lui. « J’ai honte de moi », confesse-t-il à la conférence.

Après 18 années de dictature, il accepte la création d'un poste de Premier ministre. La référence communiste « populaire » disparait de la dénomination du pays qui devient la République du Bénin. L’âge des candidats à l'élection présidentielle est limité à 70 ans. Des élections sont programmées pour l’année suivante. Elles seront remportées par Nicéphore Soglo. Alors que tout le monde craint de voir le général Mathieu Kérékou balayer d’un revers de la main les conclusions de la conférence et les résultats des élections, ce dernier s’y plie et quitte le pouvoir. Sa décision est acclamée par le peuple.

5 dernier mandatIl sera élu, puis réélu en 2001 pour son dernier mandat de 5 ans.

Exit le général rouge, le Caméléon vient de changer de couleur. Le peuple ne l’oubliera d’ailleurs pas lors des élections qui auront lieu 5 années plus tard. En 1996, Mathieu Kérékou se présente comme un homme qui ne s’est pas enrichi pendant ses dix-huit années de pouvoir. Il affiche une ouverture contrastant avec ses années de présidence dictatoriale. Il sera élu, puis réélu en 2001 pour son dernier mandat de 5 ans.

Durant cette période, il montre un visage d’homme d’Etat à l’écoute de tous les camps en « bon père de famille », comme il est décrit plus tard par plusieurs personnalités politiques. Ne s’offusquant pas des attaques de la presse et ne répondant plus aux critiques, l’ancien putschiste devient le meilleur joueur de l’échiquier politique que son attitude participe à conserver. Sous sa présidence, le Bénin devient le premier pays africain en matière de liberté de la presse.

A quelques mois de son départ en 2006, des rumeurs font état d’une envie du président de modifier la constitution pour rester au pouvoir. Finalement, il n’en sera rien. Mathieu Kérékou n’a définitivement plus rien du dictateur communiste de la période des années 80. Il quitte le pouvoir en paix avec toutes les formations politiques et bénéficiera pendant plusieurs années d’un statut de sage au Bénin, ainsi que dans la sous-région. Il décède à l’âge de 82 ans. Des hommages fusent du monde entier pour saluer son héritage démocratique, mais aussi son changement de cap des années 90. Au Bénin, il est considéré, jusqu’à ce jour, comme la personnalité politique la plus emblématique du pays.

Servan Ahougnon

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