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Tanzanie : laissé pour mort, criblé de balles, Tundu Lissu se relève et affronte John Magufuli dans les urnes

  • Date de création: 23 octobre 2020 18:54

(Agence Ecofin) - Avoir survécu à 16 balles lors d’un attentat suffit amplement pour faire face à John Rambo Magufuli. C’est en tout cas ce que laisse penser Tundu Lissu et sa campagne présidentielle. Revenu d’exil après avoir miraculeusement survécu à un attentat en 2017, le miraculé de Dodoma veut briguer la présidence, faisant ainsi tomber son adversaire de ces dernières années.

En Tanzanie, alors que l'élection présidentielle du 28 octobre se rapproche, un calme étonnant semble avoir remplacé le rythme effréné des premiers jours de campagne. C’est un peu normal en soi. Pour le moment, le président sortant John Magufuli semble sillonner le pays seul. Effectivement, à partir du 2 octobre, la commission électorale tanzanienne a suspendu la campagne présidentielle de son principal adversaire, l’opposant Tundu Lissu pendant 7 jours. On lui reproche des violations de l'éthique, à la suite de ses accusations de complot du président en place pour remporter le scrutin de manière frauduleuse.

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 Une voix crie alors « Tuez-le, et assurez-vous-en ».

Après sa sanction, l’opposant a su capitaliser sur le sentiment d’injustice généralisé. Si on y ajoute le fait qu’en 2017 il a survécu à 16 balles lors d’un attentat après lequel il a quitté le pays, l’histoire de Tundu Lissu a tout pour fédérer autour du candidat tous les détracteurs du régime en place.

Le miraculé

7 septembre 2017. A 11 heures, le député Tundu Lissu rentre dans sa résidence de Dodoma à la pause déjeuner. Son chauffeur remarque que deux véhicules les suivent. Chaque fois qu'il bifurque, les voitures le font également.

A 11 heures, le député Tundu Lissu rentre dans sa résidence de Dodoma à la pause déjeuner. Son chauffeur remarque que deux véhicules les suivent. Chaque fois qu'il bifurque, les voitures le font également.

Habitué aux filatures et aux « accrochages » à cause de ses prises de positions contre le régime en place, Tundu Lissu semble avoir fini par intégrer les filatures à son quotidien. Seulement, cet après-midi n’aura rien de normal. Coutumier des déclarations sulfureuses sur le président John Magufuli et son régime, il se repasse en quelques secondes ses sorties publiques des deux semaines précédant ce 7 septembre 2017. Rien, il n’a rien dit de trop agressif. « J'avais été très calme, selon mes critères. Je n'arrêtais pas de me demander. Qu'est-ce que j'ai fait cette fois-ci ? Mais je n'étais pas inquiet. Je pensais que c'était la police, parce que c'est toujours la police qui vient m'arrêter », confie l’homme politique tanzanien.

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3 années à l’étranger pour se soigner.

Les véhicules continuent de le suivre jusqu'à l'enceinte de sa résidence. « Je vis dans un complexe de logements du gouvernement. C'est un endroit où vivent les ministres et tous les gros bonnets. L'endroit est toujours sécurisé en principe », explique Tundu Lissu. Etonnamment, ce jour-là, la porte principale est ouverte et il n'y a pas de gardes en vue. « Au début, cela ne m'a pas semblé bizarre. Ce n'est qu'après que tout cela soit arrivé que nous avons commencé à nous demander pourquoi il n'y avait pas de sécurité dans l'enceinte », confie-t-il. Le parking, généralement vide, est plein de voitures. Il ne restait qu'une seule place de parking, dans laquelle le chauffeur se gare rapidement.

Deux hommes en jaillissent alors avec des mitraillettes et ouvrent le feu. Une voix crie alors « Tuez-le, et assurez-vous-en ».

C'est peut-être ce qui a sauvé la vie au député tanzanien. « Ils espéraient probablement trouver une place juste à côté de moi pour avoir une ligne de tir dégagée, mais il n'y avait plus de place », raconte Tundu Lissu. Les voitures s’arrêtent après des discussions entre leurs occupants. Deux hommes en jaillissent alors avec des mitraillettes et ouvrent le feu. Une voix crie alors « Tuez-le, et assurez-vous-en ». On n’entendra plus jamais parler du chauffeur. Il en aurait pu être de même pour Tundu Lissu. Il reçoit 16 balles. A ce moment, sa vie défile devant ses yeux…

L’homme qui ne voulait pas se taire

Né le 20 janvier 1968 dans le district d'Ikungi, plus précisément dans le village de Mahambe, Tundu Lissu vit une enfance classique. Après ses études à l'école secondaire d'Ilboru, il décide de faire des études de droit. Après un parcours universitaire commun, il commence à exercer ses talents d’orateur pour défendre les territoires. Tundu Lissu rejoint en effet la Lawyers Environmental Action Team (LEAT) et le World Resources Institute, en tant qu'avocat. Il travaille sur diverses questions de droit foncier concernant les zones protégées et l'exploitation minière. Au fil des années, il devient populaire, notamment dans son village natal et sa région. Cette popularité grandissante lui permet de se lancer en politique. En 2010, il entre à l’Assemblée en remportant le siège de député de Singida East. Les années qui suivent, il se forge, en plus d’une réputation d'avocat de premier plan, une image de figure d'opposition farouche. N’hésitant pas à critiquer à chaque fois que l’occasion se présente l’action gouvernementale, il devient le visage de l’opposition au président John Magufuli. Il dénonce l'implication de hauts fonctionnaires de l'Etat dans le pillage des fonds publics dans un document passé à la postérité en Tanzanie sous le nom de « Liste de la honte ».

Il dénonce l'implication de hauts fonctionnaires de l'Etat dans le pillage des fonds publics dans un document passé à la postérité en Tanzanie sous le nom de « Liste de la honte ».

Intimidé et arrêté à plusieurs reprises, Tundu Lissu dérange l’administration en place qui ne se gêne pas pour tenter de lui imposer le silence. Il devient définitivement l’ennemi du régime en place lorsqu’il révèle qu'un avion acheté pour Air Tanzania avait été mis en fourrière au Canada, en raison de dettes publiques impayées. Le mois suivant, il est attaqué et reçoit 16 balles.

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« Ceux qui me veulent mort sont toujours en liberté. Il est donc tout simplement raisonnable de craindre pour ma sécurité »

Lorsque l’évènement est annoncé au journal du soir, pour beaucoup, les heures de Tundu Lissu à l’hôpital sont ses dernières. Il part à l’étranger les 3 années suivantes pour se soigner.

Retour gagnant ?

Hospitalisé pendant plusieurs mois au Kenya, Tundu Lissu est ensuite transféré en Belgique pour des opérations chirurgicales. Il y vit pendant trois ans, le temps de se refaire une santé, mais peut-être aussi de retrouver sa résolution et sa pugnacité. Quoi qu’il en soit, le 27 juillet dernier, le miraculé rentre à Dodoma. « Ceux qui m'ont tiré dessus à 16 reprises à Dodoma en 2017 n'ont pas été arrêtés, pas une seule arrestation n'a été effectuée par la police. En réalité, les forces de police tanzaniennes ont répété qu'elles ne savent pas qui a fait cela. Elles n'ont aucun suspect, n'ont jamais procédé à la moindre interpellation, n'ont jamais publié aucun rapport d'enquête. Ceux qui me veulent mort sont toujours en liberté. Il est donc tout simplement raisonnable de craindre pour ma sécurité », ironise-t-il.

« Ceux qui m'ont tiré dessus à 16 reprises à Dodoma en 2017 n'ont pas été arrêtés, pas une seule arrestation n'a été effectuée par la police ».

Quelques semaines plus tard, alors que le Parti pour la démocratie et le progrès (Chadema), sa formation politique, est déchiré par des guerres intestines pour désigner son candidat, Tundu Lissu décide de se lancer.

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« J'ai de bonnes chances de gagner ».

« Je crois, compte tenu de mon histoire dans le parti, compte tenu de mon histoire dans le pays, mon dévouement pour ce dernier, mon expérience, ma connaissance, mes contacts et le soutien général dont je bénéficie, que j'ai de bonnes chances de gagner ».

Convaincu de pouvoir terminer dans les urnes la lutte qui l’oppose au président sortant John Magufuli, Tundu Lissu ne craint donc que très peu de choses. Lorsqu’on a survécu à 16 balles, ce ne sont pas quelques jours de campagne en moins qui vont vous abattre.

Servan Ahougnon

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Servan AHOUGNON


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