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Niger : les défis qui attendent le successeur de Mahamadou Issoufou

  • Date de création: 18 décembre 2020 16:15

(Agence Ecofin) - En 2011, Mahamadou Issoufou est arrivé à la tête du Niger avec la promesse d’offrir la stabilité institutionnelle et la sécurité à ce pays marqué par de nombreux coups d’Etat. Pendant deux mandats le chef d’Etat aura donné son pli actuel au paysage économique, politique et social du pays sahélien. Aujourd’hui, alors que de nouveaux candidats s’apprêtent à concourir pour lui succéder, des chantiers importants attendent le futur président, avec leurs lots de difficultés mais aussi d’espoir.

Une économie résiliente, mais un déficit budgétaire difficile à contrôler

Il est clair que le prochain président du Niger aura fort à faire pour dépêtrer l’économie nationale du piège de la Covid-19. Cependant, il disposera pour cela de solides bases macroéconomiques, qui ont été renforcées tout au long des dix années de mandat du président sortant.

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La Capitale s’est modernisée.

En 2012, Mahamadou Issoufou avait réussi à quintupler la croissance économique qui avait atteint 10,5% du PIB selon le FMI. Même si elle redescend à 5,3% l’année suivante elle restera solide tout au long des deux mandats du président Mahamadou Issoufou, atteignant en moyenne 5,8% entre 2011 et 2015, puis 4,8% en moyenne au cours de son second mandat (2016-2020). Ainsi, malgré la pandémie de Covid-19, le Niger devrait faire partie des rares pays au monde à maintenir une croissance économique positive cette année, qui s’accélérera rapidement à partir de 2021.

Ainsi, malgré la pandémie de Covid-19, le Niger devrait faire partie des rares pays au monde à maintenir une croissance économique positive cette année, qui s’accélérera rapidement à partir de 2021.

Cette vigueur de la croissance économique, le Niger la doit non seulement à de solides performances dans les secteurs primaire et tertiaire, mais également aux nombreux investissements effectués par le gouvernement et qui ont stimulé l’activité économique. Selon la Banque mondiale, celle-ci a été portée, l’année dernière, « par les infrastructures construites pour accueillir le sommet de l'Union africaine de juillet 2019 et par les grands chantiers soutenus par les bailleurs […] malgré divers obstacles comme les prix défavorables des matières premières, le ralentissement du commerce causé par la fermeture des frontières du Nigeria, depuis mi-août 2019, et les problèmes croissants de sécurité ».

Dans cette même dynamique positive, les pressions inflationnistes ont été plutôt bien contenues, ces dernières années (1,5% en 2019, selon la Banque mondiale). La dette publique a également augmenté, mais reste globalement modérée et ne devrait pas particulièrement entraver les politiques économiques du prochain gouvernement.

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L’agriculture représente 40% du PIB et occupe près de 80 % de la population active.

Toutefois, malgré cette bonne tenue de l’économie, les premiers défis seront aussi macroéconomiques. En effet les prochaines autorités du Niger devront améliorer le déficit du compte courant qui s’est creusé sous le président sortant. D’après les chiffres du FMI, il est passé de 11,3% en 2017 à 12,5% en 2019 et est maintenant projeté à 16,8% en 2020. De plus, le Niger reste l’un des trois pays de l’UEMOA à ne pas respecter le critère de convergence de 3% de déficit budgétaire fixé pour l’Union, avec un chiffre de 3,2% estimé par la BAD pour le pays en 2019. Et avec l’arrivée de la pandémie de Covid-19 qui a augmenté les dépenses alors que les ressources restent faibles, il faudra composer avec une hausse de ce déficit à partir de la fin de cette année.

A ces trois défis, s’ajoute le problème de la diversification de l’économie. L’agriculture qui reste très vulnérable aux changements climatiques représente plus de 40% du PIB et occupe près de 80 % de la population active. Le pays reste également très dépendant des financements extérieurs pour ses projets de développement, et le lancement de ses projets pétroliers devrait encore plus exposer l’économie aux fluctuations des cours des matières premières.

Poursuivre les investissements sociaux et infrastructurels

L’un des points forts du régime sortant aura été sa politique d’investissements publics dans les secteurs clés de l’économie. Grâce à son programme dit de « Renaissance », complété en 2016, par un acte II, le Niger a réalisé des progrès importants dans plusieurs secteurs clés de l’économie nationale.

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Le linéaire des routes bitumées est passé de 3952 km en 2010 à 5066 km en 2019.  

Dans le secteur des infrastructures par exemple, l’extension du réseau routier du Niger a connu une amélioration visible. D’après un rapport de la Cellule d’analyse des politiques publiques et d’évaluation de l’action gouvernementale (CAPEG) du Niger, les « 9 ans de mise en œuvre du programme Renaissance ont permis d’augmenter le linéaire des routes bitumées de 1114 km, le passant de 3952 km en 2010 à 5 066 km en 2019 ». De plus, on estime que 729 km de routes bitumées ont été réhabilités depuis 2011 tandis que 2147 km de routes rurales ont été construits. Ces investissements ont coïncidé avec une baisse de 15% du nombre d’accidents de la route au Niger, entre 2011 et 2018.

De plus, les actions entreprises pour améliorer le climat des affaires dans le pays ont permis au Niger d’obtenir la 32e place africaine (132e mondial) au classement Doing Business 2020.

Dans le secteur de l’éducation, les nombreux investissements du gouvernement actuel ont augmenté l’accès aux écoles dans le pays. Selon les autorités, les effectifs des élèves sont passés de 1,7 million en 2010 à 2,6 millions en 2019 au niveau de l’éducation primaire et le taux brut de scolarisation est passé de 63,5% à 69,8% sur la même période (+6%).

Selon les autorités, les effectifs des élèves sont passés de 1,7 million en 2010 à 2,6 millions en 2019 au niveau de l’éducation primaire et le taux brut de scolarisation est passé de 63,5% à 69,8% sur la même période (+6%).

Enfin, les investissements sociaux ont également permis d’améliorer l’accès à l’eau potable, notamment dans les villes, qui est passé de 73,75% en 2010 à 95,62% en 2019.

Des acquis énergétiques importants

Si ces dernières années, le secteur de l’énergie s’est beaucoup développé au Niger, d’importants chantiers attendent tout de même le futur gouvernement, notamment dans les hydrocarbures et l’électricité. On estime qu’entre 2011 et 2019, le secteur pétrolier a rapporté 818 milliards FCFA (1,5 milliard $) de recettes, auxquels s’ajoutent 117 milliards FCFA (216 millions $) de réalisations sociétales. D’après le gouvernement, le secteur a « largement contribué au développement de l’économie nigérienne, représentant 4% du PIB, 19% des recettes fiscales,16% des exports et 5% des emplois salariés formels du Pays ».

Cependant, c’est surtout le lancement du projet de pipeline Niger-Bénin qui constitue le principal legs du président Mahamadou Issoufou dans le secteur énergétique.

Cependant, c’est surtout le lancement du projet de pipeline Niger-Bénin qui constitue le principal legs du président Mahamadou Issoufou dans le secteur énergétique.

Longue de 1982 km, cette infrastructure dont les travaux de construction ont été officiellement lancés en septembre 2019, et qui devraient être poursuivis par le prochain dirigeant du pays, vise à permettre au Niger d’exporter son pétrole, en passant par le Bénin. Non seulement l’ouvrage permettra de multiplier la production pétrolière du pays par cinq (de 20 000 barils/jour à 100 000 barils/jour), mais il fera du secteur le principal levier de l’économie nigérienne représentant jusqu’à 24% du PIB, 45% des recettes fiscales et 68% des exportations, d’ici 2022. D’après le FMI, ce programme qui inscrira le Niger sur la liste des grands producteurs de pétrole d’Afrique, devrait permettre d'accélérer la croissance économique à 9% du PIB à moyen terme.

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Le projet de pipeline Niger-Bénin devrait accélérer la croissance économique à 9%.

Afin d’accroître l’indépendance énergétique du pays, le chef d’Etat a également relancé le projet du complexe minier et énergétique de Salkadamna. Annoncé dès les années 80, celui-ci a été longtemps retardé, en raison de son coût important (740 milliards FCFA). Désormais, sa livraison est attendue pour 2023, quitte au prochain dirigeant d’accélérer les travaux de sa mise en service afin d’éviter de nouveaux retards. On estime que sa capacité devrait atteindre les 600 mégawatts.

Ombre au tableau, en dépit de ces avancées, seulement 14% des ménages avaient accès à l’électricité en 2019, un taux encore plus faible en milieu rural.

Des défis sociaux persistants

Les acquis positifs n’ont pas réussi à gommer les importants défis sociaux auxquels le Niger est confronté depuis son accession à l’indépendance. Malgré une baisse du taux de pauvreté, de 48% en 2011 à un peu plus de 41% en 2019, selon des chiffres de la BAD et de la Banque mondiale, de nombreux Nigériens se battent encore pour survivre avec moins de 1,9 $ par jour dans le pays. D’après l’institution de Bretton Woods, plus de 9,5 millions de Nigériens végétaient encore dans l’extrême pauvreté, en 2019.

Une fois élu, le prochain président devra également composer avec une inquiétante progression de la faim dans le pays. Malgré l’initiative 3N qui a pour objectif l’autosuffisance alimentaire du Niger, la FAO a indiqué, en avril 2020, que 2,7 millions de personnes étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 2,4 millions dans les zones rurales. Une situation aggravée par les effets du changement climatique et de la pandémie de Covid-19.

Malgré l’initiative 3N qui a pour objectif l’autosuffisance alimentaire du Niger, la FAO a indiqué, en avril 2020, que 2,7 millions de personnes étaient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.

Nonobstant les bons chiffres de la croissance économique, la croissance du PIB/habitant, elle, reste faible à 1,5%.

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Sur le front de l’éducation, les défis restent immenses.

Sur le front de l’éducation, les défis restent immenses. D’après la Banque mondiale, « environ sept Nigériens sur 10 sont analphabètes, à l'école primaire, seules quatre filles sur 10 atteignent la sixième année et les résultats d'apprentissage sont parmi les plus faibles de la région ».

Conséquence de l’analphabétisme et de la pauvreté, le Niger possède le taux de fécondité le plus élevé au monde, avec une forte prévalence de mariages d’enfants et de grossesses précoces. Depuis plusieurs années, il est le pays au monde le plus faible en matière d’indice de développement humain, en occupant la 189e place sur 189 pays.

Notons également que le « taux de chômage, qui est plus marqué chez les jeunes, est passé de 13 % en 2011 à 17 % en 2017 » (BAD).

L’épineux problème de l’insécurité

Mais le secteur qui devrait poser le plus de difficultés au successeur de Mahamadou Issoufou est indéniablement la sécurité. En effet, l’essor des groupes djihadistes dans le Sahel, à partir des années 2010, a tout de suite mis le Niger sur le devant de la scène en matière de lutte contre le terrorisme. Depuis 2015, le pays essuie des attaques, dont la plus récente est celle du 12 décembre 2020 qui a entraîné la mort de 27 civils. Ces attaques ont créé plus de 221 671 réfugiés et 196 717 personnes déplacées, principalement à Diffa et Maradi, selon des chiffres de l’ONU. Ni la création du G5 Sahel, ni la mise en place de la force française Barkhane n’ont permis au Niger de vaincre ce fléau, jusque-là.

Ni la création du G5 Sahel, ni la mise en place de la force française Barkhane n’ont permis au Niger de vaincre ce fléau, jusque-là.

Et même si le ministre de la Défense a annoncé son intention de doubler l’effectif de l’armée, d’ici les cinq prochaines années, les perspectives sécuritaires du Niger ne sont pas rassurantes.

S’il a réussi à doper les investissements du pays dans plusieurs secteurs, et à consolider ses performances macroéconomiques, c’est en revanche tout un chantier sécuritaire et social que le président Mahamadou Issoufou laisse à son successeur.

Mohamed Bazoum, son dauphin désigné, a d’ores et déjà annoncé qu’il poursuivrait la politique de son prédécesseur et on peut supposer que son expérience à la tête du ministère de l’Intérieur depuis 2016, est un atout qui plaide en sa faveur. Il en aura grandement besoin, s’il est élu. Aucun chef d’Etat au Sahel n’a encore trouvé la solution miracle aux problèmes du djihadisme et de la pauvreté qui minent cette région du monde depuis bien trop longtemps.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

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