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Ethiopie : les 5 clés pour comprendre la guerre au Tigré

  • Date de création: 04 décembre 2020 15:50

(Agence Ecofin) - Depuis plusieurs semaines, la région du Tigré en Ethiopie est le théâtre d’un conflit sanglant entre le gouvernement central siégeant à Addis-Abeba et le Front pour la libération du peuple du Tigré (TPLF). Au cœur de ce nouvel épisode de guerre civile, des revendications indépendantistes du TPLF qui ne reconnaît plus l’autorité du pouvoir central. Mais les racines de ce conflit sont plus profondes. Il est en réalité le résultat de frustrations et de tensions accumulées, dues au passé politique de l’Ethiopie et à son système de gouvernance. Décryptage.

  1. Le Tigré, un symbole plus qu’une mine d’or

L’histoire des guerres civiles contemporaines à travers le monde a souvent démontré que les querelles intestines pour le contrôle d’un territoire ont souvent été très proches des questions liées aux ressources ou à la répartition des richesses. Si ce principe s’est souvent vérifié en Afrique (Guerre du Biafra, sécession du Katanga, etc.), la guerre au Tigré semble plutôt s’inscrire sur la liste des exceptions.

1Etiopia map

En effet, la région du Tigré est loin d’être la plus importante de l’Ethiopie, du moins en ce qui concerne les ressources économiques. Avec une superficie de 50 079 km² (l’Ethiopie s’étend sur 1,1 million km²), elle ne dispose d’aucune ressource naturelle exploitée à ce jour, et est plutôt montagneuse. En raison de son climat semi-aride, la région est confrontée à d’importants défis, en ce qui concerne l’approvisionnement en eau.

Ainsi, le Tigré ne semble pas avoir de valeur économique particulière, mais pourtant il est aujourd’hui ardemment disputé entre les parties en conflit. Rien de bien étonnant, puisque sa véritable valeur est surtout militaire, politique et symbolique.

Ainsi, le Tigré ne semble pas avoir de valeur économique particulière, mais pourtant il est aujourd’hui ardemment disputé entre les parties en conflit. Rien de bien étonnant, puisque sa véritable valeur est surtout militaire, politique et symbolique.

En effet, la région est située à la frontière avec l’Erythrée, ancien ennemi de longue date de l’Ethiopie. Selon un rapport du centre de réflexion International Crisis Group (ICG) publié fin octobre 2020, plus de la moitié de l’ensemble du personnel des forces armées et des divisions mécanisées du pays dans le Commandement du nord y est basée.

2tigray mountain

Une région montagneuse et un climat semi-aride.

Tout ceci contribue à conférer au Tigré une grande importance militaire et géostratégique pour l’Etat éthiopien, dans ses rapports avec les autres pays de la corne de l’Afrique. De plus, comme pour tout pays, l’unité nationale est l’un des socles de l’Etat éthiopien. De ce fait, perdre l’un de ses territoires, quel qu’il soit, serait le symbole d’un échec du système politique déjà fortement ébranlé du pays des négus.

  1. Le TPLF, le « petit » ogre de la politique éthiopienne

Un autre point essentiel est celui concernant le TPLF, l’un des deux protagonistes de la crise. En effet, la place occupée par le parti, dans l’histoire politique de l’Ethiopie, depuis sa constitution en un Etat fédéral, est ce qui donne à cette guerre une dimension particulière.

3Meles Zenawi1

Méles Zenawi, ancien membre de la guérilla tigréenne, a dirigé le pays de 1995 jusqu’à sa mort en 2012.

Créé en 1975, le TPLF a été très tôt impliqué dans la lutte armée contre le régime militaire dictatorial du Derg (Gouvernement militaire provisoire de l'Éthiopie socialiste), dont il est devenu l’un des principaux acteurs du renversement. A la libération du pays du joug de la junte marxiste, le 28 mai 1991, le parti s’impose en tant que principale force politique de l’Ethiopie, au sein de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).

A la libération du pays du joug de la junte marxiste, le 28 mai 1991, le parti s’impose en tant que principale force politique de l’Ethiopie, au sein de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF).

Dans un système politique basé sur le fédéralisme ethnique, le TPLF qui est issu de la minorité tigréenne (6% de la population), réussit à monopoliser le pouvoir en Ethiopie pendant plusieurs décennies. Cette domination politique débute à travers un homme, Méles Zenawi, ancien membre de la guérilla tigréenne, qui dirige le pays de 1995 jusqu’à sa mort en 2012.

Lire aussi : 28/06/2019 - Ethiopie : l’échec d’un système politique basé sur le fédéralisme ethnique

Etant à la tête de la coalition EPRDF, le parti tigréen obtient des sièges au parlement au cours des différentes élections législatives, qui lui permettent de garder la mainmise sur les différents postes clés du pays. Mais tout ceci change avec l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed.

  1. Abiy Ahmed, les réformes et le coronavirus

Le 15 février 2018, l’histoire politique de l’Ethiopie prend un tournant majeur. Haile Mariam Desalegn, successeur de Méles Zenawi, démissionne à la surprise générale. Il faisait alors face à d’importantes contestations sociales. Un mois plus tard, il est remplacé par Abiy Ahmed, issu de l’ethnie majoritaire Oromo, une première dans l’histoire du pays.

Dès qu’il arrive au pouvoir, le nouveau Premier ministre prend de nouvelles décisions qui marquent la rupture avec l’ancien régime dominé par le TPLF. D’abord il décide de libéraliser l’économie. Après avoir réduit de près d’un tiers le gouvernement, il nomme une nouvelle équipe entièrement paritaire.

Mais au-delà de l’économie ou de la gouvernance, ce sont surtout les décisions politiques d’Abiy Ahmed qui font parler de lui. La première année de son mandat, le dirigeant fait libérer plusieurs centaines de prisonniers politiques. Signe de son attitude conciliante envers l’opposition, il nomme l’une de ses dirigeantes Birtukan Mideksa à la tête de la commission électorale.

4Isaias abiy peace

2018 : Abiy Ahmed et le président érythréen Isaias Afwerki font la paix.

Le 9 juillet 2018, il déclare, avec le président érythréen Isaias Afwerki, la fin de l’état de guerre entre leurs deux pays et la normalisation de leurs relations ; ce qui met fin aux années de conflit entre Addis-Abeba et Asmara. Si cette action lui vaut un prix Nobel de la paix, elle ne plaît pas forcément aux dirigeants tigréens qui ont toujours une dent contre ce voisin érythréen qui leur a fait la guerre à la fin des années 90.

Lire aussi : 19/10/2018 - Abiy Ahmed, l’homme qui libère l’Éthiopie de ses vieux démons

Face à ces décisions, le TPLF qui a longtemps été le chef d’orchestre de la politique éthiopienne s’estime de plus en plus exclu. C’est dans ce contexte qu’Abiy Ahmed décide d’unir tous les partis « ethno-politiques » regroupés au sein de la coalition EPRDF, en une seule entité : le Parti de la prospérité. A ce moment-là, le TPLF commence à s’éloigner officiellement du pouvoir d’Addis-Abeba en se retirant de la coalition. Désormais, le parti compte sur les élections générales du 29 août 2020, pour désavouer le dirigeant en obtenant de nombreux sièges au parlement. Hélas, l’élection n’aura pas lieu, en raison de la pandémie de Covid-19.

Les élections sont donc reportées pour des raisons (a priori) sanitaires, mais le TPLF ne l’entend pas de cette oreille. Il décide d’organiser ses propres élections le 09 septembre 2020, malgré les avertissements du pouvoir central, dont il ne reconnaît plus l’autorité.

Les élections sont donc reportées pour des raisons (a priori) sanitaires, mais le TPLF ne l’entend pas de cette oreille. Il décide d’organiser ses propres élections le 09 septembre 2020, malgré les avertissements du pouvoir central, dont il ne reconnaît plus l’autorité.

A partir de ce moment, le parti est accusé de velléités sécessionnistes et les fonds publics destinés à la région du Tigré sont gelés. Moins de deux mois plus tard, des attaques ont lieu contre une position de l’armée régulière éthiopienne au Tigré. La réponse à ce casus belli ne se fait pas longtemps attendre. Dès le 04 novembre, Abiy Ahmed ordonne une offensive militaire contre le TPLF pour répliquer contre l’attaque. L’Ethiopie a retrouvé le chemin de la guerre civile.

  1. La place de l’Erythrée dans le conflit

Sans officiellement participer à la guerre, l’Erythrée occupe pourtant une place non négligeable dans le conflit au Tigré. Avant l’indépendance obtenue en 1993, le Front populaire de libération de l'Erythrée (FPLE) a été avec le TPLF l’un des principaux acteurs de la chute du régime dictatorial de Mengistu Haile Mariam. Cinq ans plus tard, le président Isaias Afwerki entame contre le pouvoir éthiopien incarné par le TPLF, une guerre à la frontière avec le Tigré qui fait des dizaines de milliers de morts. Malgré la fin officielle du conflit en 2000, les deux parties restent opposées sur des questions territoriales, aucune entente n’ayant été conclue concernant les revendications de plusieurs régions frontalières, dont Tsorona-Zalambessa et Badme.

5Debretsion Gebremichael

Debretsion Gebremichael, le chef du TPLF, n’adhère pas à l’accord de paix avec Asmara.

Ainsi, avec le rapprochement qui a eu lieu entre l’Erythrée et le Premier ministre Abiy Ahmed ces deux dernières années, certains observateurs estiment que cette nouvelle crise pourrait bien servir les intérêts d’Asmara qui reste en froid avec la région tigréenne.

Ainsi, avec le rapprochement qui a eu lieu entre l’Erythrée et le Premier ministre Abiy Ahmed ces deux dernières années, certains observateurs estiment que cette nouvelle crise pourrait bien servir les intérêts d’Asmara qui reste en froid avec la région tigréenne.

D’ailleurs, les soupçons d’ingérence dans le conflit n’ont pas tardé à voir le jour. Début novembre, Debretsion Gebremichael, le chef du TPLF, a accusé l'Erythrée d'avoir engagé ses forces dans le conflit en cours, des accusations rejetées par le pays. Selon lui, les forces érythréennes auraient utilisé l’artillerie lourde contre la ville de Humera, dans l'ouest du Tigré. Quelques jours plus tard, le TPLF « réplique » avec des tirs de roquettes sur l’aéroport d’Asmara.

  1. Vers une sortie de crise rapide ?

Au vu de la situation actuelle, rien n’est moins sûr. Même si Abiy Ahmed déclare que le TPLF a été vaincu et que la guerre est terminée, Debretsion Gebremichael dément ces informations. Selon le dirigeant rebelle, ses troupes continuent toujours le combat et ne comptent pas céder « avant d’avoir gagné ». Pendant ce temps, les populations continuent de fuir les violences et on estime que 43 000 réfugiés éthiopiens sont déjà arrivés au Soudan depuis le début du conflit. D’après l’ONU, leur nombre pourrait d’ailleurs passer à 300 000, d’ici les prochains mois.

Lire aussi : 06/11/2020 - Debretsion Gebremichael, le tribaliste qui pousse un prix Nobel de la paix à déclencher une guerre

Quoi qu’il en soit, l’Ethiopie est un pays au passé politique fortement rythmé par les guerres civiles. Rien n’indique qu’une victoire militaire de l’une ou l’autre des parties permettra de sortir rapidement de la crise. Au contraire, on pourrait craindre que cette guerre ne sème les futures graines de la déstabilisation d’un système de fédéralisme ethnique déjà bien fragilisé.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi



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