Comment le Togo se prépare à (re)devenir un acteur mondial dans le secteur des phosphates

(Ecofin Hebdo) - En novembre dernier, le gouvernement togolais a conclu un accord de partenariat de 2 milliards de dollars avec le groupe Dangote pour transformer son phosphate en engrais. L’objectif annoncé est de profiter d’un secteur des fertilisants en pleine croissance en Afrique alors que le continent vise la sécurité alimentaire à travers un développement accru de son agriculture. Si ce mariage entre Lomé et l’Africain le plus riche réussit, cela pourrait marquer le retour au premier plan d’une matière première qui a longtemps fait la gloire du Togo, mais peine depuis à redécoller.

 

La détermination du gouvernement à redonner vie au phosphate

L’accord entre Dangote Industries et l’Etat togolais est destiné à satisfaire une grande partie des besoins en engrais phosphatés de l’Afrique de l’Ouest. Le Togo mettra à disposition du partenariat sa production et ses ressources minérales alors que Dangote apportera de l’ammoniac, un ingrédient essentiel dans la transformation du phosphate en engrais. Selon un communiqué de la Présidence togolaise, les travaux devaient débuter avant fin 2019.

1faure dangote

Dangote Industries et l’Etat togolais veulent satisfaire une grande partie des besoins en engrais phosphatés de l’Afrique de l’Ouest.

 

« En transformant notre phosphate, nous allons non seulement créer des emplois, mais nous pourrons également mettre à la disposition de nos agriculteurs des engrais de bonne qualité à un coût abordable », a indiqué le président togolais Faure Gnassingbé.

« En transformant notre phosphate, nous allons non seulement créer des emplois, mais nous pourrons également mettre à la disposition de nos agriculteurs des engrais de bonne qualité à un coût abordable ».

Toutefois, si le montant de l’investissement annoncé est important (2 milliards $) il faut souligner que ce n’est pas le seul gros deal qu’a conclu le Togo dans le secteur des phosphates. Lomé semble déterminé depuis quelques années à redonner vie à ce secteur qui a longtemps été un pilier de son économie. Rappelons qu’en 2018, les autorités ont attribué un permis d’exploration minière à TFC Sarl. La société locale déjà active sur trois concessions minières dans le pays (cuivre, cobalt et nickel, entre autres), a obtenu un permis de recherche de phosphate à Kara, dans le nord du Togo.

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Jacob Engel, l’autre gros investisseur dans le phosphate togolais.

 

Fin 2015, le gouvernement a également attribué à la société Elenilto, propriété du milliardaire israélien Jacob Engel, un permis pour développer le gigantesque projet de Kpémé qui hébergerait d'énormes ressources de phosphate. À son entrée en production, la mine de Kpémé devrait devenir l’un des plus grands projets d’exploitation de l’or gris en Afrique, marquant le retour sur le devant de la scène du Togo.

À son entrée en production, la mine de Kpémé devrait devenir l’un des plus grands projets d’exploitation de l’or gris en Afrique, marquant le retour sur le devant de la scène du Togo.

L’investissement total nécessaire à la réalisation de ce projet est estimé à 1,4 milliard de dollars. Pour y arriver, Elenilto s’est associé au chinois Wengfu, société internationale d’extraction et d’enrichissement de phosphate. Celle-ci doit apporter 40% des fonds nécessaires au démarrage de la production contre 60% pour Elenilto.

 

Redevenir un des grands acteurs mondiaux du phosphate

Cela fait déjà 10 ans que le gouvernement togolais a adopté un plan de plus de 200 milliards FCFA (330 millions $) pour permettre au phosphate de retrouver son importance dans l’économie nationale. Piloté par la Société nouvelle des phosphates du Togo (SNPT), le plan comprend une première phase de réhabilitation et remise à niveau des infrastructures de production vétustes, les deux autres phases portant sur la consolidation et l’industrialisation. Depuis lors, ce plan a permis de sortir peu à peu le secteur de sa torpeur, avec le lancement de deux nouvelles mines, celles de Dagbati et de Nyita, près de Lomé.

3Wharf de Kpémé 2

Le pays était le 5e producteur mondial de phosphates avant les années 2000.

 

S’il ne fait pas de doute que le plan de relance a porté des fruits et que les derniers accords sont destinés à poursuivre sur la lancée, les performances sont encore très loin des niveaux de la période faste du phosphate togolais. En effet, le Togo a produit son premier phosphate en 1961 et a très rapidement atteint (1968) plus d’un million de tonnes et plus de 2 millions de tonnes dès 1973. Selon plusieurs sources concordantes, la production a atteint son pic en 1989 avec un volume de 3,35 millions de tonnes.

Le Togo a produit son premier phosphate en 1961 et a très rapidement atteint (1968) plus d’un million de tonnes et plus de 2 millions de tonnes dès 1973. Selon plusieurs sources concordantes, la production a atteint son pic en 1989 avec un volume de 3,35 millions de tonnes.

Un niveau que le Togo n’a plus jamais atteint depuis. À partir de 1990, la production a périclité jusqu’en 2012 où elle a dépassé de nouveau la barre symbolique de 1 million de tonnes avec le plan susmentionné.

Preuve des bonnes performances passées du phosphate togolais, le pays était 5e producteur mondial avant les années 2000. En 2005, il ne comptait plus que pour moins de 1% de la production mondiale (14e place mondiale). Si aujourd’hui il y a peu de chiffres sur les volumes de phosphate produits par le Togo, les données du site planetoscope.com ne classent pas le pays dans les 20 premiers producteurs mondiaux. Alors que le classement est dominé par des nations comme la Chine, le Maroc, les Etats-Unis, plusieurs pays africains devancent le Togo, en l’occurrence la Tunisie, l’Algérie ou même le Sénégal.

Pire encore, si dans ses années fastes (les années 1980 et 1990) le phosphate était la principale source de recettes d’exportation, avec une contribution de plus de 40%, les dernières données de l’ITIE montrent qu’en 2013 cette part n’était plus que de 27%. 

 

Entre potentiel et défis : s’inspirer de l’exemple du Maroc…

Il sera difficile pour le secteur togolais du phosphate de rééditer les excellentes performances du passé. Les détracteurs du gouvernement togolais et plusieurs rapports de firmes internationales ont longtemps pointé du doigt des problèmes de gestion du secteur qui ne profiterait qu’à une minorité qui aurait entrainé son déclin. Toutefois, la mission que s’est donnée l’Etat togolais depuis quelques années et qui consiste à redorer le blason du secteur n’est pas impossible. En effet, malgré le fait que la production peine à véritablement décoller, le potentiel du sous-sol togolais reste intact. S’il existe, ici encore, peu de données à ce sujet, les rares sources qui se sont essayées à une estimation s’accordent sur des réserves de plusieurs dizaines de millions de tonnes. Si les accords conclus par le gouvernement ces dernières années venaient à se concrétiser, il est certain que le secteur pourra de nouveau peser lourd dans l’économie nationale.

S’il existe, ici encore, peu de données à ce sujet, les rares sources qui se sont essayées à une estimation s’accordent sur des réserves de plusieurs dizaines de millions de tonnes.

Pour relever les nombreux défis et atteindre son but, l’Etat togolais va probablement s’inspirer de l’exemple marocain. Le royaume chérifien a compris assez tôt les grands enjeux du secteur dont il a confié le développement à l’Office chérifien des phosphates (OCP), aujourd’hui l’un des principaux exportateurs de phosphate brut, d’acide phosphorique et d’engrais phosphaté au monde.

4elenilto

Le potentiel du sous-sol togolais reste intact.

 

Selon Planetoscope.com, le Maroc est le deuxième producteur mondial de phosphate derrière la Chine et devant les Etats-Unis. Le succès de l’OCP se traduit également par une très forte contribution du secteur à l’économie nationale. Dans une relative transparence (disponibilité d’un site web actualisé, publication de résultats de production et bilans financiers), le mastodonte des engrais dépasse même aujourd’hui le simple statut de compagnie minière, étant devenu le fer-de-lance de la diplomation marocaine en Afrique.

Si le Togo arrive à faire la même chose avec la SNPT, son économie en serait boostée et les Togolais pourront profiter des énormes richesses de leur sous-sol. L’Etat est sans doute sur la bonne voie, et il irait encore plus vite avec des mesures de réformes plus énergiques pour ce secteur au potentiel inouï. Tout compte fait, il sera question de patience et de méthode, car comme Paris, l’avenir « radieux » du phosphate togolais ne se fera certainement pas en un jour…

Louis-Nino Kansoun

Louis Nino Kansoun

 

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