Trafic de faune: une compétition macabre entre l’Occident et l’Asie dans les savanes africaines

(Ecofin Hebdo) - Rhinocéros, éléphants, otaries à fourrure, crocodiles, perroquets, tortues à éperons, pythons… Le trafic de petites bêtes vivantes, de peaux, de fourrures, de défenses naturelles d’animaux et de viandes issues des savanes africaines n’épargne aucune espèce, même celles en voie d’extinction. Ce commerce illicite, qui pèse 20 milliards de dollars par an, est plus que jamais au cœur d’une compétition macabre entre l’Asie émergente et l’Occident civilisé.

Sudan, le dernier rhinocéros blanc du Nord mâle, a rendu l’âme le 19 mars. Une équipe de vétérinaires de la réserve kenyane d’Ol Pejeta (200 km au nord de Nairobi) l’a euthanasié pour écourter ses souffrances. Sa disparition marque l’extinction de cette sous-espèce, dont il ne reste aujourd'hui que deux femelles survivantes, sa fille Najin et sa petite-fille Fatu. Seules des techniques de fécondation in vitro utilisant les deux femelles encore en vie et le sperme conservé d’autres mâles permettraient désormais de perpétuer la sous-espèce de ces mammifères cornus.

rhinoceros blancs

Sa disparition marque l’extinction de cette sous-espèce, dont il ne reste aujourd'hui que
deux femelles survivantes.

Les rhinocéros blancs du Nord, dont l’habitat naturel se situait entre le Soudan, le Tchad, la Centrafrique et la République démocratique du Congo, ont été décimés par un braconnage massif qui alimente un trafic extrêmement lucratif. Réduites en poudre, les cornes de rhinocéros sont très prisées en Chine et au Vietnam, où les habitants leur attribuent des vertus thérapeutiques et aphrodisiaques qui n'ont jamais été prouvées scientifiquement. Selon les croyances, elles permettraient, entre autres, de guérir le cancer, le sida, le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) et de donner un coup de fouet à la libido. Résultat: le kilo de corne oscille entre 60 000 et 85 000 dollars, un prix bien plus élevé que celui de l’or ou de la cocaïne !

Le kilo de corne oscille entre 60 000 et 85 000 dollars, un prix bien plus élevé que celui de l’or ou de la cocaïne !

La mort de Sudan, qui a déclenché des salves de dénonciations à travers le monde, remet au devant de la scène l’explosion du trafic illégal de la faune sauvage africaine, une inestimable richesse du continent dont le pillage est souvent passé sous silence.

Dans les savanes et les forêts africaines, le braconnage n’est plus pratiqué uniquement à petite échelle par des riverains cherchant à s'approvisionner en viande de brousse ou par des fermiers pauvres qui tirent avec des fusils rouillés. Il s’agit plus que jamais d’un braconnage vorace perpétré à une échelle industrielle pour capturer des millions d’animaux et les vendre comme bibelots de luxe, ingrédients entrant dans les pharmacopées traditionnelles, mets alimentaires, ornements, amulettes, intrants pour la maroquinerie ou encore animaux de compagnie.

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Un lézard sud-africain menacé de disparaître à cause son aspect de dragon miniature.

Réseaux mafieux asiatiques et occidentaux

Le commerce illicite de la faune africaine met désormais en compétition de nombreux réseaux mafieux occidentaux avec des groupes criminels en provenance de plusieurs pays asiatiques. Les uns et les autres sont toujours mieux organisés et agissent en puissantes factions armées. Ils utilisent un arsenal de guerre comme les fusils d’assaut sophistiqués, les systèmes GPS, les jumelles de vision nocturne et même les hélicoptères, ce qui sous-entend des financements et une logistique considérables.

Fin janvier dernier, un Vietnamien qui dirigeait un réseau criminel transnational spécialisé dans le trafic de la faune sauvage a été arrêté en Côte d’Ivoire.

L’arrivée massive des entreprises chinoises en Afrique au début des années 2000 a entraîné dans son sillage les réseaux chinois du crime organisé, les fameuses triades, dont les activités habituelles de trafics d’armes, de drogue et de prostitution se sont assorties des trafics d’ivoire et de cornes de rhinocéros, entre autres. Les triades ont été rapidement suivies par la mafia vietnamienne et des groupes criminels indiens, singapouriens et sud-coréens.

Fin janvier dernier, un Vietnamien qui dirigeait un réseau criminel transnational spécialisé dans le trafic de la faune sauvage a été arrêté en Côte d’Ivoire grâce à l’appui technique d’Eagle Network (Eco Activists For Gouvernance and Law Enforcement), une ONG spécialisée dans la protection de la faune. 578 kg d'ivoire, plus de 500 kg d'écailles de pangolins, des peaux de panthères et des fusils d’assaut ont été saisis auprès des membres de ce réseau qui opérait dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.

pangolin

500 kg d'écailles de pangolins ont été saisies en janvier dernier.

Ces réseaux asiatiques bénéficient souvent de complicités au plus haut sommet des Etats africains. Au terme de plusieurs années d’enquête, le journaliste sud-africain Julian Rademeyer a décrit dans un livre trépidant les filières asiatiques responsables du massacre des rhinocéros dans son pays. «Des réseaux mafieux basés au Vietnam et au Laos tiennent le trafic de corne de rhinocéros. Et, à leur tête, des personnalités locales bien connectées politiquement, au point de s’avérer intouchables. Ces criminels achètent toutes sortes de complicités en Afrique, petits trafiquants et braconniers, blancs et noirs Un exemple: ils paient des Mozambicains pour passer la frontière sud-africaine, et s’introduire dans des régions à rhinocéros comme le parc Kruger et ramener de la corne. Le voyage est dangereux mais il est susceptible de rapporter en un jour ce que ces gens gagnent normalement en une année», témoigne l’auteur de «Tuer pour le profit – Dénonciation du commerce illégal de cornes de rhinocéros» (Killing for Profit-Exposing the Illegal Rhino Horn Trade).

 

975 espèces différentes partent vers l’Asie

Une enquête dévoilée en septembre 2017 par l’ONG Traffic, une association spécialisée dans l’étude des circuits commerciaux légaux et illégaux concernant la faune et la flore sauvage, a révélé que des réseaux criminels d'origine chinoise opérant en Afrique du Sud transforment localement la corne de rhinocéros en perles, bracelets et poudre pour échapper aux contrôles des douaniers et fournir des produits finis aux consommateurs en Asie.

Cette même ONG a consacré cette année son rapport annuel au commerce de la faune sauvage entre l’Afrique et l’Asie. Le rapport rendu public le 5 mars dernier montre que «l’importation» d’espèces protégées en provenance d’Afrique a été multipliée par dix dans les pays de l’Asie de l’Est et d’Asie du Sud-est entre 2006 et 2015.

Une quarantaine de pays africains exportent plus ou moins légalement des produits issus d’espèces sauvages en direction de 17 pays d’Asie. 51 types de produits différents ont été répertoriés, mais trois dominent le marché : le commerce de spécimens vivants, celui de peaux et celui de la chair animale.

En dix ans, plus de 1,3 million d’animaux vivants, 1,5 million de peaux et 2 000 tonnes de viande ont en effet quitté l’Afrique pour atterrir dans des pays asiatiques.

En dix ans, plus de 1,3 million d’animaux vivants, 1,5 million de peaux et 2 000 tonnes de viande ont en effet quitté l’Afrique pour atterrir dans des pays asiatiques. Près de 100 000 perroquets gris du Gabon, une espèce classée comme étant en danger, se sont ainsi envolés vers ces pays où le pouvoir d’achat augmente rapidement.

 perroquets gris du Gabon

En 10 ans, près de 100 000 perroquets gris du Gabon ont été soustraits à l’Afrique.

Le commerce de peaux de mammifères, en particulier les otaries à fourrure, chassées en Afrique australe pour permettre aux Asiatiques s’habiller «bête», est passé de 1972 unités en 2007 à un pic de 20 651 en 2015. Des dizaines de milliers d’outardes et de gazelles chassées dans les étendues désertiques de l’Afrique du Nord ont été aussi expédiés plus ou moins clandestinement vers les monarchies pétrolières du Golfe, où leurs viandes sont parées de présumées vertus aphrodisiaques.
Au total, Traffic a recensé 975 espèces différentes dans les circuits commerciaux entre l’Asie et l’Afrique, toutes énumérées dans les annexes 1 et 2 de la Convention sur le commerce international des espèces de flore et de faune sauvages menacées d’extinction (CITES).

 

La chasse en «boîte» fait fureur auprès des Occidentaux

Outre les gangs mafieux corrupteurs et cupides, des milliers de touristes fortunés venant d’Europe et des États-Unis s’adonnent chaque année à la chasse en boîte, une pratique cruelle répandue dans plusieurs pays africains. Appelée également chasse close ou chasse en cage, cette pratique repose sur un principe simple : on garde enfermé dans un enclos un animal, souvent un grand félin comme le lion ou le léopard, pour qu’un chasseur l’abatte à bout portant et ramène chez lui un trophée à accrocher au-dessus de sa cheminée.

L'iconique Cecil, lion à la crinière noire, abattu lâchement en 2015 par le dentiste américain Walter Palmer, est la plus célèbre victime de ce «tueries de luxe». Tandis que ce félin, qui était une attraction touristique du parc national Hwange au Zimbabwe, a agonisé pendant dix heures, son tueur a pu reprendre tranquillement le cours de sa vie. La ministre de l'Environnement zimbabwéenne, Oppah Muchinguri, avait alors estimé que Walter Palmer ne savait pas qu'il commettait une infraction et que «ses papiers étaient en règle», ajoutant que le dentiste était toujours le bienvenu au Zimbabwe !

walter palmer

Walter Palmer (à gauche) est toujours le bienvenu au Zimbabwe.

Les dirigeants occidentaux s’avèrent, eux aussi, indifférents aux intérêts futurs de l’humanité. Début mars, l’administration Trump a rétabli le droit d'importer sur le territoire américain des trophées de chasse en provenance d'Afrique, mettant fin à une interdiction prise par Barack Obama en 2014. Ce cadeau offert par le locataire de la maison Blanche aux lobbies des chasseurs et des armes à feu fait craindre une explosion du braconnage en Afrique. «Suite à l’entrée en vigueur de l’interdiction d’importation des trophées de chasse, nous avons vu des organisateurs stopper leurs opérations au Zimbabwe et en Tanzanie parce qu’elles ne sont plus économiquement viables. Mais la nouvelle décision de l'organisme fédéral chargé de la conservation de la faune risque au contraire de les relancer», s’inquiète Masha Kalinina, spécialiste du commerce international à l’ONG Humane Society International.

Par ailleurs, l’Union européenne fait encore la sourde oreille à l’appel à l’interdiction commerce de l’ivoire lancé par une trentaine de pays africains. Le Vieux continent demeure la zone la plus exportatrice de cet «or blanc», au monde, avec 1258 défenses d'éléphants commercialisées en 2014 et 2015.

 

Les petits animaux rapportent gros

Le frénétique trafic de la faune africaine menace déjà plusieurs espèces d’extinction. Dans une étude publiée le 23 mars dernier, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a estimé que le continent «risque de perdre la moitié des espèces d’oiseaux et de mammifères d’ici 2100».
L'exemple du rhinocéros est glaçant. Entre 1960 et 2016, le nombre de ces mammifères vivant en Afrique, toutes sous-espèces confondues, est passé de 200 000 à environ 20 000.

«Outre les rhinocéros, nous devons être vigilants, l’éléphant est une autre espèce menacée: depuis 20 ans, nous avons perdu la moitié de sa population, l’Afrique en perd en moyenne 30 000 par an et il en reste juste un demi-million. Nous avons moins de 25 000 lions sur le continent. Il y a aussi une autre espèce qui peut totalement disparaître de la carte : la girafe qui vient d’être ajoutée à notre liste d’espèces menacées en raison de l’habitat», alarme le président de la Fondation pour la Protection de la Faune africaine, Kaddu Sebunya.

 éléphant

En 20 ans, l’Afrique a perdu la moitié de sa population d’éléphants.

Selon le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), le trafic de la faune sauvage est évalué à 20 milliards de dollars par an, ce qui en fait le quatrième commerce illégal sur la planète après celui des armes, de la contrefaçon et des êtres humains.

En Afrique plus qu’ailleurs, l’éradication de ce fléau passe par la lutte contre une corruption corrosive, d’après l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

«La corruption a plusieurs facettes et peut se produire à chaque étape de la chaîne de valeur du commerce des espèces sauvages. Elle peut inclure des pots-de-vin pour obtenir des informations sur les déplacements des animaux ou des patrouilles, ou pour obtenir des droits ou des quotas, ou bien encore pour graisser les rouages des expéditions de cargaisons, pour s'assurer qu'elles ne soient pas inspectées ou saisies», explique le directeur exécutif de l'ONUDC, Yury Fedotov.
L’enquête ouverte tout récemment contre l’ex-première dame du Zimbabwe, Grace Mugabe, pour «trafic d’ivoire» corrobore ses dires. Selon le journal gouvernemental local The Sunday Mail du 25 mars, les services de protection de la nature et de la faune ont établi que Mme Mugabe avait «collaboré avec un réseau de braconniers pour faire sortir de grandes quantités d’ivoire vers la Chine, les Emirats arabes unis et les Etats-Unis». Selon le journal, elle aurait couvert son trafic en ordonnant à l’administration d’émettre des permis d’exportation de défenses d’éléphants pour faire des «cadeaux» à des dirigeants étrangers.

Walid Kéfi

 

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