Légaliser le cannabis en Afrique : bon pour les agriculteurs et pour les caisses publiques

(Ecofin Hebdo) - Alors que la consommation du cannabis est progressivement dépénalisée un peu partout dans le monde, l’Afrique est l’un des derniers bastions de la résistance à sa légalisation. Plusieurs facteurs sont à la base de cette situation, dont le plus important est religieux. Mais bien qu’il soit illégal, le produit a, depuis des lustres, été cultivé et consommé notamment dans le cadre du traitement d’une large palette de maladies. Selon une étude de Prohibition Partners, une société britannique spécialisée dans le consulting pour le marché du cannabis, d’ici les quatre prochaines années, le marché africain du cannabis aura une valeur marchande de 7,1 milliards de dollars.

Introduit en Afrique orientale au début des années 1500, à partir de l’Asie du Sud, le cannabis s’est très vite propagé à travers le continent pendant le XVIe siècle. Les Africains subsahariens le fumaient alors dans des pipes, une pratique locale qui s’est répandue partout dans le monde et qui est encore en vigueur aujourd’hui. Outre son usage récréatif, il était initialement utilisé dans la guérison de plusieurs maladies. Cependant, dans les années 1920, la plante de cannabis a été interdite sur tout le continent, en raison principalement de ses effets psychoactifs.

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Dans les années 1920, la plante de cannabis a été interdite sur tout le continent, en raison principalement de ses effets psychoactifs.

 

Mais dans l’intervalle, la consommation du cannabis via des canaux illégaux n’a jamais régressé à travers le continent, ni dans le reste du monde. Certains pays ayant compris les opportunités que le secteur peut offrir, ont tôt fait de le dépénaliser. Ainsi, L’Uruguay est devenu, en 2013, le premier pays au monde à légaliser la production et la distribution du cannabis. Ces cinq dernières années ont vu une vague d'assouplissement de la législation en Belgique, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas, au Canada, aux Etats-Unis, etc. Ces pays perçoivent des recettes publiques supplémentaires en encadrant la chaîne de valeur du cannabis. Un autre type de tourisme lié à la légalisation du cannabis a également vu le jour dans ces pays.

 Ces cinq dernières années ont vu une vague d'assouplissement de la législation en Belgique, en Allemagne, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas, au Canada, aux Etats-Unis, etc. Ces pays perçoivent des recettes publiques supplémentaires en encadrant la chaîne de valeur du cannabis.

En juin dernier, 70 personnalités françaises : médecins, élus et économistes ont signé une déclaration dans laquelle elles évoquent l’échec de la politique d’interdiction du cannabis. Elles ont appelé le pouvoir à légaliser la marie-jeanne et exhorté l’Etat à créer un « monopole public de production et de distribution ».

 

L’Afrique produit au moins 38 000 tonnes de cannabis par an

Aujourd’hui, on estime à au moins 38 000 tonnes, la production annuelle de cannabis en Afrique. Un rendement a priori improbable dans un contexte marqué par une grande répression de l’activité de production en amont jusqu’à la consommation en aval.

Selon un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), les zones de forte production sont marquées par des taux de chômage élevés. Les principaux producteurs africains sont le Nigeria, le Ghana, l’Eswatini, le Mozambique, le Zimbabwe, le Malawi, l’Afrique du Sud et le Lesotho. 

Les principaux producteurs africains sont le Nigeria, le Ghana, l’Eswatini, le Mozambique, le Zimbabwe, le Malawi, l’Afrique du Sud et le Lesotho.

La production est généralement assurée par des paysans qui ont trouvé dans le cannabis le seul moyen de gagner suffisamment d'argent pour subvenir aux besoins fondamentaux de leur famille. La culture du cannabis, qui a profité de la baisse de la demande de tabac, s’est avérée beaucoup plus lucrative que d'autres cultures comme le maïs et la canne à sucre, selon l’ONUDC. Il faut souligner que la plante est généralement cultivée dans les champs de maïs pour détourner l’attention.

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Dans les pays africains en général, la production interne est quasiment consommée au niveau local.

 

Une opportunité pour dynamiser les économies africaines

Selon une estimation du cabinet spécialisé Arcview, en partenariat avec BDS Analytics, le marché américain du cannabis légal devrait générer 40 milliards de dollars et plus de 400 000 emplois, d’ici 2021. Cela correspond à des recettes fiscales de 4 milliards de dollars. Au Canada voisin, la région d’Ottawa s’attend à des recettes fiscales de 186 millions de dollars, à la fin de cette année, dans le secteur. Les pays ayant légalisé la chaîne de valeur du cannabis ont gonflé leurs recettes publiques, ces dernières années. Les entrées enregistrées permettent de développer de nouveaux projets socio-communautaires.

Pour certains analystes, l’Afrique qui a un potentiel plus important que ces pays, dans ce domaine, devrait songer à changer de paradigme. Pour les pays africains qui manquent de ressources pour financer leurs projets de développement, le cannabis se présente désormais comme une opportunité, tant pour les travailleurs agricoles que pour les caisses publiques.

Pour les pays africains qui manquent de ressources pour financer leurs projets de développement, le cannabis se présente désormais comme une opportunité, tant pour les travailleurs agricoles que pour les caisses publiques.

D’après une étude de l’agence de presse Inter Press Service datant de 2008, alors que les cultures vivrières ne génèrent qu’entre 25 et 30 dollars l’acre, une récolte de cannabis peut rapporter jusqu’à 200 dollars par saison. Cela devrait permettre d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs qui, un peu partout en Afrique, vivent sous le seuil de la pauvreté. Les perspectives dans le secteur sont telles qu’en cas de légalisation du cannabis, les Etats africains pourraient profiter d’une manne précieuse qui représentera une importante bouffée d’oxygène dans les projets de diversification économique. Prohibition Partners ajoute que « le cannabis serait une importante culture de rente pour l’Afrique ».

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A l’horizon 2023, le continent comptera 76 millions de consommateurs.

 

Des données de l'ONUDC datant de 2016, montrent que l'Afrique compte cinq des trente premiers pays du monde pour la prévalence de consommation du cannabis. Cela parmi les populations adultes de la tranche d’âge comprise entre 15 et 64 ans. Il s’agit du Nigeria (14,3 millions de consommateurs), l’Egypte (3,8 millions), Madagascar (1,3 million), la Zambie (880 000) et la Sierra Leone (222 000). A l’horizon 2023, le continent comptera 76 millions de consommateurs, ce qui générera 7,1 milliards de dollars dont 6,3 milliards $ pour l’usage récréatif et 800 millions pour la consommation à usage médical.

 

Le Nigeria comme moteur de la croissance du cannabis à usage médical

Parallèlement à ces données, le marché des produits pharmaceutiques en Afrique devrait atteindre une opportunité commerciale de 45 milliards de dollars en 2020, stimulé par l'urbanisation rapide, l'augmentation des dépenses de santé et l'incidence croissante des maladies chroniques. D’après l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), le Nigéria a le potentiel pour devenir un pays clé pour le cannabis à usage médical, en raison de sa forte dépendance à l'égard des produits pharmaceutiques importés. Le pays compte environ 120 fabricants locaux de médicaments et la capacité du secteur manufacturier est gravement sous-utilisée à seulement 40%.

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L’Afrique peut produire du cannabis d’excellente qualité

 

Selon Nathan Emery, PDG de Precision Cannabis Therapeutics Zimbabwe (PCT-Z), le cannabis en tant que médicament est très bien accepté en Afrique australe et orientale et son usage médical se répandra rapidement s'il démontre son succès thérapeutique. Emery soutient qu'avec un marketing suffisamment ciblé, le cannabis pourrait connaître un énorme succès, mais seulement si les prix sont conformes aux dépenses de santé des pays africains.

 

Un potentiel agricole immense, en cas de légalisation

Pour Prohibition Partners, grâce à sa géographie et à la qualité toute particulière de ses sols, l’Afrique peut produire du cannabis d’excellente qualité. Au Lesotho, où seule la production à usage personnel est tolérée, la culture dans les régions montagneuses de haute altitude bénéficie d’une source d’eau abondante ainsi que d'un sol riche et fertile. Le pays travaille actuellement à dépénaliser totalement la chaîne de valeur du cannabis et compte développer une industrie du cannabis capable de doper les recettes publiques. Une politique agricole spéciale sera mise en branle à cet effet, assurent les autorités. Elles ont déclaré vouloir attirer des investissements pour industrialiser la production de cannabis. Des terres seront aménagées à cet effet pour favoriser une production massive.

Inspirés par l'exemple du petit royaume, d'autres pays de la région prépareraient des politiques publiques dans ce sens. Avec une demande internationale en plein essor, les pays africains pourraient récolter les fruits de la légalisation du cannabis, en commençant par offrir les outils adéquats aux travailleurs agricoles. Mais cela ne sera possible que si le cannabis en provenance d'Afrique peut répondre aux normes internationales, tempère la société britannique.

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Près de la moitié des oncologues nigérians ont révélé qu’ils recommanderaient le cannabis à leurs patients.

 

En outre, à cause des mauvaises conditions économiques auxquelles sont confrontés de nombreux pays africains, toute légalisation du cannabis dans la région aura le devoir de sauvegarder les intérêts locaux, avertit l'ONUDC.

A cet égard, le Zimbabwe pourrait devenir un modèle régional. Depuis quelques mois, les autorités travaillent sur les conditions d’attribution de licences de production.

A cet égard, le Zimbabwe pourrait devenir un modèle régional. Depuis quelques mois, les autorités travaillent sur les conditions d’attribution de licences de production. Selon des sources législatives, les licences ne seront offertes qu’à ceux qui auront prouvé leur citoyenneté ou leur résidence. Toutefois, le ministre de la Santé se réservera le droit d'accorder des exemptions.

 

« Legalize It »

Si le plus important blocage à l’éclosion de ce secteur est la légalisation, des voix s’élèvent de plus en plus à travers le continent pour soutenir la dépénalisation du cannabis.

Au Ghana, l'Agence de sécurité sanitaire des aliments et la Standards Authority (GSA), organisme d’Etat chargé du respect des normes acceptables pour les produits et services, font campagne pour la légalisation du cannabis. Les deux organisations suggèrent que la culture du cannabis pourrait générer des revenus importants pour les caisses publiques et permettre de mieux contrôler la consommation du produit.

En Eswatini, le parlement a récemment mis en place un comité chargé d’étudier les mécanismes de la dépénalisation du cannabis. Le royaume espère en tirer jusqu’à 1,63 milliard de dollars par an de recettes publiques.

En mars 2018, Harsheth Kaur Virk, chef de projet à l’UNODC, a exhorté le Nigeria à envisager la légalisation du cannabis à usage médical. Plus tard, en septembre 2018, le journal local The Guardian a rapporté que près de la moitié des oncologues nigérians ont révélé qu’ils recommanderaient le cannabis à leurs patients.

En mars 2018, Harsheth Kaur Virk, chef de projet à l’UNODC, a exhorté le Nigeria à envisager la légalisation du cannabis à usage médical.

Mais dans certains pays comme la Zambie ou l'Ouganda, le secteur souffre d’un manque de clarté du droit positif, ce qui permet la production sans l’attribution de licence préalable.

Ailleurs, la pauvreté pourrait être le moteur de la légalisation du cannabis. La baisse de la demande pour les principales cultures commerciales, comme le tabac, pousse les gouvernements à rechercher d'autres sources de revenus. Etant donné que le cannabis est déjà cultivé illégalement en grandes quantités, une législation et une réglementation complètes pourraient libérer le potentiel de revenus. Ceci, en particulier dans les principaux pays producteurs de tabac comme le Zimbabwe et le Malawi.

Quoi qu'il en soit, de nombreux acteurs pro-légalisation du cannabis craignent une réticence des consommateurs subsahariens à en adopter les dérivés en cas de légalisation. La région compte plus de 60% de chrétiens, dont plus de la moitié sont catholiques. Or, l’Eglise catholique estime que « l'usage du cannabis est un péché ».

 

Le Maroc reste le pilier du marché africain du cannabis

 

Si en Afrique au Sud du Sahara, le secteur est en plein essor avec des perspectives flatteuses, le Maroc en est, dans ce secteur, depuis plusieurs décennies, un acteur de premier plan. La production et la consommation ont débuté au milieu du VIIe siècle avec l'arrivée des immigrants arabes. En 1932, la culture du cannabis devient illégale, en vertu d'un accord international sur les stupéfiants. Mais face au caractère traditionnel du cannabis, et les risques que peuvent comporter une interdicition aussi brusque, les autorités tolèrent un mélange de tabac et de haschich, qui est de la résine de cannabis.

Plus tard en 1954, la production du cannabis est interdite. Mais dans les faits, elle se poursuit et atteint de tels niveaux que le pays devient, dans les années 1950, la terre promise pour les consommateurs européens.

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Aujourd'hui, le Maroc est le premier exportateur mondial de haschich devant le Liban, l’Inde et le Népal, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime qui admet néanmoins que la production globale est peu étudiée et mal connue. Les superficies de production sont estimées à près de 100 000 hectares, soit environ 2% des terres cultivables du pays.

Selon des chiffres du département d'Etat américain, en 2016  la production s'est élevée à 700 tonnes métriques, ce qui équivaudrait, en valeur à la vente, à 23% du PIB marocain.

Mais ce succès n'est pas sans revers. Il y a trois ans, le département d'Etat américain a révélé que le pays est devenu un important pays de transit de cocaïne et d'héroïne, provenant de l'Amérique du sud en direction de l'Europe. En 2016, les autorités en ont saisi plus de 1600 kg de stupéfiants et 19 000 personnes sont en détention dans le pays pour trafic ou détention illégale de drogues. Le gouvernement a, alors reconnu ses limites dans la lutte contre le trafic de drogues.

 

OdS

 

Olivier de Souza

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