Russie-Afrique : Moscou, cet ami qui nous veut du bien

(Ecofin Hebdo) - En septembre dernier, lors d’une rencontre avec le président guinéen Alpha Condé, le chef d’Etat russe Vladimir Poutine a annoncé l’annulation de plus de 20 milliards $ dettes de différentes nations africaines «dans le cadre de l'initiative visant à aider les pays les plus pauvres et en état de fort endettement». Si les noms des pays concernés n’ont pas été précisés, l’annonce en elle-même est un excellent indicateur de l’état actuel des rapports entre Moscou et l’Afrique, un continent redevenu une priorité pour la diplomatie russe depuis le début des années 2000.

 

De gros chiffres

Presse, politiciens, experts et observateurs s’accordent à dire qu’il y a un véritable regain d’intérêt «géopolitique, économique et sécuritaire» de la Russie pour l’Afrique. Moscou a pris d’assaut le continent et cette offensive se traduit par d’énormes investissements dans tous les secteurs stratégiques de développement.

Décembre 2017, la compagnie russe Geoservice Ltd annonce son intention d’investir 12,5 milliards $ dans le secteur ferroviaire au Ghana. Ce montant représente 29% du PIB de l’ex Gold Coast qui était de 49,69 milliards $ en 2016.

Décembre 2017, la compagnie russe Geoservice Ltd annonce son intention d’investir 12,5 milliards $ dans le secteur ferroviaire au Ghana. Ce montant représente 29% du PIB de l’ex Gold Coast

Un mois plus tôt, c’est le russe Rosneft qui a annoncé la clôture de sa transaction d’acquisition de 30% de parts dans le «super géant» champ gazier Zohr en Egypte pour 450 millions $. Zohr est la plus grande découverte de gaz naturel jamais effectuée en Méditerranée.

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En 2016 déjà, le gouvernement Poutine a accordé un prêt de 25 milliards $ à l’Egypte pour financer sa première centrale nucléaire.

Mais les investissements russes en Afrique ne datent pas de cette année puisqu’en 2016 déjà, le gouvernement Poutine a accordé un prêt de 25 milliards $ à l’Egypte pour financer sa première centrale nucléaire. La construction de la centrale, d’une capacité de 4800MW, devrait s’achever en 2022.
Il faut ajouter à tout cela les fonds alloués par la banque publique russe Ruseximbank pour financer le premier satellite national angolais AngoSat-1, d’autres grands investissements effectués par les Russes dans les secteurs comme les Hydrocarbures et les Mines, et la reprise de l’assistance militaire à plusieurs Etats africains.

 

Pourquoi ce regain d’intérêt ?

«Il s’agit pour la Russie, à partir de 2008, de renouer avec un statut de puissance internationale. Il s’agit de trouver des ressources rares pour une Russie qui produit peu ce qu’elle consomme. Il s’agit de trouver des débouchés pour les deux grandes industries exportatrices de la Russie actuellement, c’est-à-dire le nucléaire civil et les industries de Défense.», expliquait en mars dernier, Cyrille Bret, maître de conférence en géopolitique à Sciences Po, pour RFI.

« Il s’agit de trouver des ressources rares pour une Russie qui produit peu ce qu’elle consomme. Il s’agit de trouver des débouchés pour les deux grandes industries exportatrices de la Russie actuellement, c’est-à-dire le nucléaire civil et les industries de Défense. »

Avant l’effondrement de l’URSS en 1991, coopérer avec les Etats du tiers monde figurait parmi les priorités de cette grande puissance internationale, au même titre que les Etats Unis. Durant la période de la guerre froide notamment, l’Afrique était divisée entre les pays soutenus par les Etats-Unis et ceux soutenus par l’URSS. Moscou apportait même un soutien de choix aux nations africaines dans leurs luttes contre les colons européens.

Cependant, après la dissolution de l’Union soviétique, la Russie s’est engluée dans des problèmes économiques qui l’ont poussée à stopper toute coopération avec l’Afrique. Son statut de «puissance internationale» était même devenue contestable. Elle était dépassée par des pays émergents comme la Chine ou encore l’Inde et largement distancée par le géant américain.

 

L’offensive de la Russie en Afrique aujourd’hui…

Avec la montée en puissance de Vladimir Poutine au début du XXIe siècle, les bons rapports entre Moscou et l’Afrique ont progressivement repris. Si la Russie s’appuie davantage sur la Chine ou l’Inde dans sa lutte à distance avec les Etats Unis, le continent africain peut s’avérer un allié indispensable, en raison notamment de son potentiel agricole et minier.

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Vladimir Poutine en Afrique du Sud.

Moscou s’implique même dans l’humanitaire en Afrique : Poutine a récemment rappelé, lors de la rencontre avec Alpha Condé, évoquée plus haut, les 5 millions $ accordés par son gouvernement à plusieurs pays africains à travers le Programme alimentaire mondial (PAM). Les nations concernées par ces donations, qui datent de 2011, sont l’Ethiopie, la Somalie, la Guinée, le Kenya et Djibouti. La Côte d’Ivoire a quant à elle obtenu une aide alimentaire de la Russie par le biais de l’Organisation internationale de protection civile. 

En dehors de ces pays, il faut également citer l’Algérie, avec laquelle Moscou entretient une coopération de longue date.

 Ouyahia MEDVEDEV

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev et son homologue algérien Ahmed Ouyahia.

Lors de la visite officielle en Algérie du Premier ministre russe Dmitri Medvedev le 10 octobre 2017, les deux nations ont conclu plusieurs accords de partenariat et de coopération ainsi que des mémorandums d’entente. Les domaines concernés comprennent notamment la justice (coopération dans domaine pénal), la santé, les secteurs pharmaceutique, de la formation professionnelle, des hydrocarbures et de l’énergie nucléaire.

Par ailleurs, notons également les bonnes relations qu’entretient la Russie avec le Cameroun. En octobre 2016 s’est tenue à Moscou la première édition des Journées économiques camerounaises en Russie, dont l’objectif était de «permettre aux opérateurs économiques camerounais de conquérir de nouveaux débouchés». Début novembre 2017, Nicolay Ratsiborinsky, l’ambassadeur sortant de la Russie au Cameroun a annoncé la tenue en 2018 à Moscou, la tenue d’un sommet visant à renforcer les liens de coopération entre les deux pays. La Russie est, faut-il le rappeler, la première destination du café camerounais.

 

La Défense : un secteur clé dans les relations entre l’Afrique et la Russie

Parmi les secteurs dans lesquels les services de la Russie sont le plus prisés se trouve celui de la Défense. Le pays est le deuxième plus grand exportateur d’armements au monde, d’après un classement du britannique Jane’s, et compte parmi ses clients plusieurs pays africains.

Cette vocation russe de «soutien militaire» à l’Afrique n’est pas nouvelle quand on sait l’aide apportée par l’ex-URSS aux pays du continent dans leur lutte pour l’indépendance. Historiquement, c’est également l’empire russe qui avait aidé l’Ethiopie, seule nation africaine à n’avoir jamais été colonisée et avec laquelle elle partage le christianisme orthodoxe, à remporter la guerre contre l’Italie (1895-1896).

Historiquement, c’est également l’empire russe qui avait aidé l’Ethiopie, seule nation africaine à n’avoir jamais été colonisée et avec laquelle elle partage le christianisme orthodoxe, à remporter la guerre contre l’Italie.

C’est également l’aide militaire russe, avec celle de Cuba, qui a permis la proclamation de l’indépendance l’Angola en 1975. Le pays bénéficie encore à ce jour du soutien de la Russie qui l’approvisionne en avions de combats multi rôles et l’aide dans l’entretien des anciens équipements militaires acquis durant l’ère soviétique.

Aujourd’hui, parmi les plus gros clients de la Russie en matière d’armements se trouve l’Algérie, classé 3e en 2016 avec des achats de 924 millions $, derrière de grandes puissances comme l’Inde et la Chine. Cette coopération va des avions aux hélicoptères de combat modernes, aux systèmes anti-missiles et aux sous-marins. L’Algérie est la deuxième plus puissante armée en Afrique derrière l’Egypte et la 26e au monde selon Global Firepower.

En dehors de l’Algérie et de l’Angola, mentionnons également l’Ouganda, qui a récemment commandé des dizaines de chars T-90 et huit classeurs Soukhoi Su-30. Dans cette liste de pays africains qui font appel à la Russie en matière de défense, on retrouve encore le Soudan dont le président Omar el-Béchir a récemment commandé des équipements militaires russes pour dit-il, «protéger» son pays «des actions agressives de Washington».

 Omar el Béchir

Omar el-Béchir veut se protéger «des actions agressives de Washington».

S’y ajoutent des pays comme le Zimbabwe, l’Afrique du Sud, le Burundi ou le Burkina Faso, qui essaient de renforcer leurs liens militaires avec la nation russe.

 

Reprise de la coopération militaire avec l’Egypte

La Russie et l’Egypte, première puissance militaire africaine, ont relancé depuis 2013 leur coopération qui a vécu ses plus beaux moments dans les années 70. En août 2017, le ministère russe de la défense annonce que les deux pays organiseront les premières manœuvres militaires conjointes de l’histoire, en Russie.

L’objectif est d’élaborer des approches conjointes concernant les assauts aéroportés, la formation pour les entraînements et les combats.

Trois mois plus tard, en novembre, le premier ministre russe Dmitri Medvedev a signé un décret ordonnant à son ministre de la défense la négociation d’un accord final avec le Caire au sujet d’une utilisation commune des bases aériennes des deux pays. Dans le détail, si l’accord de 5 ans (renouvelables) est conclu, une nation pourrait utiliser les bases militaires de l’autre contre un avis donné cinq jours à l’avance.

 

Le climat des affaires : les autres secteurs à la loupe

L’énergie nucléaire

Dans sa marche progressive vers le nucléaire pour la production d’électricité, l’Afrique fait appel à plusieurs partenaires étrangers experts dans le domaine dont la Russie. L’ex-URSS fait partie des plus actifs sur le continent à travers sa société Rosatom. Hormis le prêt de 25 milliards $ octroyé à l’Egypte cité plus haut, la Russie aide plusieurs autres pays africains dans leurs ambitions nucléaires. Elle a par exemple conclu avec le Nigéria un mémorandum d’entente portant sur la construction d’un centre multifonctionnel de recherche scientifique sur le nucléaire. Le pays d’Afrique occidental envisage d’installer bientôt 4000 MW de centrales nucléaires pour satisfaire ses besoins énergétiques.

Rosatom Kenya

Rosatom a signé un mémorandum avec le Kenya.

Moscou, toujours par le biais de Rosatom, assiste également la Zambie dans la mise en œuvre de son programme nucléaire. Des accords ont été signés en décembre 2016, portant sur la construction d’un centre des sciences et des technologies nucléaires. A ces pays s’ajoutent l’Afrique du Sud, le Kenya, ou encore l’Ouganda.

 

Les hydrocarbures

Dans le secteur des hydrocarbures, à part son acquisition de 30% d’intérêts dans le projet Zohr en Egypte, la société russe Rosneft manifeste de plus en plus d’intérêt pour les nouveaux marchés émergents en Afrique. Elle a annoncé en février 2017 qu’elle se prépare à investir dans le secteur du pétrole en Libye et a également, dans sa ligne de mire, le Mozambique. La société, qui est en partenariat avec l’américain Exxon Mobil sur plusieurs périmètres d’exploration de pétrole et de gaz dans le pays, compte y ouvrir un bureau. Le Mozambique détient, soulignons-le, les plus grandes ressources d’hydrocarbures d’Afrique subsaharienne.

A part Rosneft, l’autre géant russe des hydrocarbures Gazprom (leader mondial de la fourniture de gaz naturel liquéfié) a récemment conclu un accord avec le Ghana pour lui fournir quotidiennement 250 millions de mètres cubes de gaz sur 12 ans à partir de 2019. Ce volume devrait permettre à la nation ouest-africaine de générer 1000 MW de production électrique, et de réduire les délestages. Gazprom est également présente ailleurs en Afrique, notamment au Cameroun où elle détient des droits exclusifs sur le gaz produit sur les champs Sanaga Sud et Ebome.

Il faut également citer la compagnie russe ROSGEO, qui doit user de ses dizaines d’années d’expérience dans les études géologiques et sismiques pour aider PetroSA à développer un projet de 400 millions de dollars en Afrique du Sud. Citons aussi Zarubezhneft, la compagnie pétrolière russe qui aidera Gabon Oil Company à exploiter le site de Mboumba.

 

Les mines

Dans le secteur des mines, la Russie est présente dans plusieurs pays grâce à une multitude de compagnies. En 2014, le ministre des affaires étrangères russe Serguei Lavrov a signé avec le Zimbabwe un accord de 3 milliards $ pour le développement du gisement de platine de Darwendale, un des plus importants au monde. L’exploitation est confiée à une coentreprise détenue à 60% par une société zimbabwéenne et à 40% par un consortium russe. Ce partenariat est d’autant plus important quand on sait que la Russie est le deuxième plus grand producteur mondial du platine derrière l’Afrique du Sud et devant le Zimbabwe.

Dans le secteur des mines, la Russie est présente dans plusieurs pays grâce à une multitude de compagnies.

En outre, on retrouve le leader russe de la production de diamant, Alrosa, dans les secteurs miniers angolais, où il entretient des partenariats avec la compagnie nationale Endiama, et botswanais, où il travaille avec Botswana Diamonds. En Angola, des études menées par Alrosa et Endiama ont permis d’estimer à 1 milliard de carats les ressources diamantifères du pays.

Le russe Rosatom est également présent sur l’uranium en Angola.

Par ailleurs, Norilsk Nickel, le géant russe leader mondial de la production de nickel est actif sur des projets miniers au Botswana et en Afrique du Sud. On retrouve également des russes en Guinée dans les secteurs aurifère (Severstal sur la mine Lefa) et de la bauxite (Rusal sur le projet Dian-Dian). Citons aussi Norgold, qui opère sur les projets aurifères Bouly et Ronguen au Burkina Faso, l’un des plus grands producteurs d’or du continent.

 

Mais également…

Le Transport et les Infrastructures au Ghana

Le Ghana veut développer une série de projets portant sur la modernisation et l’expansion de son réseau de chemin de fer. Entre autres, il s’agit plus précisément de la ligne de chemin de fer de l’Est Tema-Kumasi pour Boankra, mais aussi de la construction du port de Boankra qui facilitera le transport des marchandises vers le nord du pays et les pays enclavés. Si l’exécution de ces projets, d’un coût total estimé à 2,4 milliards $, devrait être assurée par un partenariat public-privé, il se peut que le géant russe Geoservice Ltd y soit impliqué. Ce dernier a annoncé qu’elle participerait à l’appel d’offres et son intention d’injecter 12,5 milliards $ dans le projet. Avec ses 100 ans d’expériences dans les chemins de fer à travers le monde, Geoservice pourrait faire profiter du Ghana des meilleurs techniques en matière d’infrastructure ferroviaire.

 

Les TIC en Ouganda

L’offensive de la Russie en Afrique se manifeste aussi dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC). Le 17 octobre 2017, le vice-ministre russe des TIC, Alexey Volin, à la tête d’une délégation d’une trentaine de membres en visite en Ouganda, a discuté avec le président Yoweri Museveni. Il s’agissait d’une coopération des deux nations dans le secteur des TIC, notamment en matière de cybersécurité, de technologies de l’information et de villes intelligentes. L’objectif de la Russie qui veut accroître sa présence sur le continent est d’étendre son empreinte dans les TIC, un secteur en perpétuel développement. Le pays n’est actuellement lié qu’avec l’Afrique du Sud, les deux faisant partie du BRICS.

La reprise des bonnes relations d’amitié et de partenariat entre la Russie et l’Afrique n’est pas surprenante en soi, quand on sait qu’elles remontent très loin, notamment au règne du tsar Pierre 1er le Grand, empereur russe du XVIIe siècle au début du XVIIIe.

 Alexandre Pouchkine

Alexandre Pouchkine, arrière petit-fils d’Abraham Hannibal.

L’on raconte comment l’empereur prit sous son aile Abraham Hannibal, un noir vendu comme esclave, qui occupera de grandes fonctions dans les armées russes et comptera parmi ses descendants l’un des plus grands poètes de l’histoire russe, Alexandre Pouchkine dont il est l’arrière-grand-père maternel.

 

Aaron Akinocho et Louis-Nino Kansoun

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