En Afrique, face au blé russe, le blé français perd du terrain, mais tout n’est pas encore écrit…

(Ecofin Hebdo) - Autrefois opérateur historique du marché africain du blé, la France est aujourd’hui bousculée par la concurrence d’autres acteurs mondiaux comme la Russie. Quasi-inexistant au début des années 2000, le blé russe a vu sa part de marché grimpé à environ 40% en Afrique subsaharienne alors que celle du blé français a chuté de 33% à 10% actuellement.

Et, si face à cette emprise croissante de la Russie, la France peut toujours se réjouir de conserver dans son giron l’Algérie, certaines évolutions sur ce marché pourraient réduire considérablement ses marges de manœuvre. Zoom sur les forces, les défis ainsi que les perspectives d’amélioration de la situation du blé français sur le marché africain avec François Luguenot, analyste de marché.

François Luguenot

François Luguenot : « La filière française a du mal à s’ajuster à la conjoncture mondiale . »

 

Agence Ecofin : Quelle est actuellement la situation du blé français sur le continent africain en terme de marchés desservis et de chiffres d’exportation ?

François Luguenot : Il s’agit de distinguer le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. La première zone inclut quelques-uns des plus importants importateurs de blé de la planète. Il s’agit en particulier de l’Égypte qui importe entre 11 à 13 millions de tonnes (Mt) et l’Algérie (environ 8 Mt, plutôt 7 Mt en 2018 2019). De surcroît, toutes les importations algériennes et la moitié des achats égyptiens sont effectués par un organisme d’état (Direction générale des approvisionnements, ndlr). La seconde région, plus atomisée, est dominée par le Nigéria qui importe annuellement plus de 5 Mt.

 ble russe 2019 04 12 10 05 01

Le Maroc et la Tunisie se tournent plutôt vers le blé argentin ou des pays de la mer Noire.

 

La France est très diversement présente sur ces marchés. Historiquement, la France exportait beaucoup vers le Maroc, la Tunisie et l’Algérie. Depuis plusieurs années, les deux premiers pays se sont plutôt orientés vers l’Argentine et les pays de la mer Noire. Reste l’Algérie où le cahier des charges (en particulier le très faible taux de grains punaisés) exclut pour l’instant virtuellement la Russie et l’Ukraine. Vers l’Égypte, la France exporte de façon sporadique : la Russie domine complètement ce marché.

« Dans cette zone, ajoutons que depuis quelques années, de nombreux moulins ont été construits ce qui a contribué à une chute des importations de farine et à de nouveaux flux entre pays africains.»

En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, la France est à peu près absente du marché nigérian : le pays s’adresse traditionnellement aux États-Unis et plus récemment à la Russie. Jusqu’en 2016, les autres pays de l’Afrique de l’Ouest représentaient une sorte de zone réservée au blé français, pour quelque 2 Mt chaque année. Dans cette zone, ajoutons que depuis quelques années, de nombreux moulins ont été construits ce qui a contribué à une chute des importations de farine et à de nouveaux flux entre pays africains.

 

AE : D’après de nombreux observateurs, le blé français a perdu du terrain dans certains pays africains depuis la mauvaise récolte de 2016, ce qui a ouvert la voie de substitution avec le blé russe. Pensez-vous que le blé français doit s’inquiéter de la montée en force du blé russe sur le continent ?

FL : La récolte française catastrophique de 2016 a bouleversé la situation : elle a conduit les pays d’Afrique de l’Ouest à d’autres origines, en particulier au blé russe ; cette année-là, les exportations françaises ont chuté à un peu plus de 1 Mt et ne se sont pas redressées l’année suivante ; on peut s’attendre à une reprise en 2018 2019. Il est clair que, désormais, le blé français fait face au blé russe mais également au blé argentin sur toute l’Afrique, sauf en Algérie.

« Alors qu’avant 2016, les pays d’Afrique subsaharienne payaient une sorte de prime à l’origine française, celle-ci a disparu. »

Cela ne signifie pas qu’il ne s’en exportera plus mais qu’il doit être compétitif par rapport à celui des autres origines. Alors qu’avant 2016, les pays d’Afrique subsaharienne payaient une sorte de prime à l’origine française, celle-ci a disparu : il y a un manque à gagner pour l’origine française mais il n’y a pas de fatalité.

 

AE : Quels sont les avantages du blé français par rapport au blé russe du point de vue compétitivité et coûts logistiques et comment les exportateurs tricolores peuvent-il en tirer profit pour se repositionner ou mieux se positionner sur le marché africain ?

FL : En Afrique subsaharienne, meuniers et boulangers sont habitués au blé français, ce qui est un facteur très important : changer de blé, cela nécessite de dérégler les machines, de modifier les processus de fabrication, ce qui est toujours une source de pertes et occasionne des coûts supplémentaires.

pain algérien

Le pain algérien est adapté au blé français.

 

L’approvisionnement en blé français s’effectue également de façon efficace et souple tandis que quelques soucis sont apparus avec le blé russe. En revanche, à prix égal, le blé russe s’avère souvent plus riche en protéines, ce qui est un facteur important pour les meuniers et les boulangers.

 

AE : En octobre dernier, les exportateurs russes ont annoncé leur intention de pénétrer le marché algérien, troisième importateur mondial de blé et acheteur stratégique pour la France. Pensez-vous que l’Algérie va ouvrir son marché aux russes en modifiant son taux acceptable de grains punaisés en le faisant passer 0,1 % à 0,5% ?

FL : On sait qu’en Algérie, il existe une forte pression pour que le pays s’ouvre au blé russe. Régulièrement, la presse se fait l’écho des surcoûts qu’occasionne l’exclusion de cette origine. Or, nous l’avons dit, le pays ne jouit pas d’une situation économique florissante.

« On sait qu’en Algérie, il existe une forte pression pour que le pays s’ouvre au blé russe. Régulièrement, la presse se fait l’écho des surcoûts qu’occasionne l’exclusion de cette origine. »

Cela dit, il semble que la question dépasse la seule problématique du secteur du blé : elle implique peut-être des accords gouvernementaux de plus haut niveau. Il paraît probable que le pays s’ouvrira à d’autres origines, d’autant que les Russes savent assurer un taux de grains punaisés inférieur à 0,1 %. Mais il semble impossible de dire quand cette évolution se fera jour.

 

AE : D’après vous, quels sont les principaux défis rencontrés par le blé français sur le continent africain ?

FL : Le premier défi, c’est celui du prix : il s’agit que, à qualité égale, le blé français ne soit pas plus cher que celui d’autres origines. Or on sait que la filière française a du mal à s’ajuster à la conjoncture mondiale : tout le début de la campagne actuelle le montre une fois de plus.

Ensuite, il est important que la qualité de l’origine française satisfasse les clients ; et il semble que le taux de protéine soit un facteur particulièrement important, bien qu’il ne faille surtout pas oublier les autres critères relatifs aux propriétés mécaniques de la pâte, couramment employés par les meuniers et les boulangers, qui varient suivant les acheteurs (humidité, critères mécaniques, poussières, etc.) : on ne fabrique pas le même pain en Égypte, en Algérie et au Cameroun !

 blé poutine

« A prix égal, le blé russe s’avère souvent plus riche en protéines. »

 

Ces dernières années, les conditions météorologiques et l’évolution des pratiques culturales ont permis d’élever le contenu protéique moyen du blé français exporté. Cette tendance ne doit pas s’inverser !

 

AE : Quelles peuvent être les stratégies pour relever ces défis et placer plus de volume à l’export ?

FL : On répète chaque année que les tonnages qui ne sont pas exportés en début de campagne ne sont pas regagnés ensuite. Le blé français doit donc être compétitif dès la récolte : bien souvent, ce n’est pas le cas.

« Il est tout aussi important que les vendeurs comprennent toujours mieux les désirs et les contraintes de leurs acheteurs. Or, les producteurs et les organismes collecteurs français sont généralement coupés des clients étrangers.»

Il est tout aussi important que les vendeurs comprennent toujours mieux les désirs et les contraintes de leurs acheteurs. Or, les producteurs et les organismes collecteurs français sont généralement coupés des clients étrangers et ignorent largement ce que les débouchés à l’exportation exigent en termes de qualité. Il y a là un problème d’organisation, question incessamment soulevée depuis des années mais jamais résolue...

 Wheat harvest

« En Afrique, le blé français fait face au blé russe mais également au blé argentin. »

 

AE : Le groupe français Soufflet a annoncé en novembre dernier, l’ouverture d’un bureau pour l’Afrique de l’Ouest afin de développer ses activités dans ladite région qui abrite le Nigéria, l’un des principaux consommateurs de la céréale sur le continent. Que pensez-vous de cette implantation ? Sera-t-elle suffisante pour contrer l’offensive russe sur le continent ?

FL : Soufflet est l’entreprise française qui a le mieux intégré la problématique de filière, depuis la collecte jusqu’à l’exportation. Il est logique qu’elle vise à se rapprocher de ses clients afin de consolider et surtout développer ses parts de marchés, en adoptant une attitude proactive face à une concurrence extrêmement dynamique.

Propos recueillis par Espoir Olodo

Espoir Olodo

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