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60 années d’indépendance en Afrique francophone (2e partie) : le cas de la RDC

  • Date de création: 31 juillet 2020 17:49

(Agence Ecofin) - Il y a soixante ans, la Belgique reconnaissait l’indépendance de la République démocratique du Congo, au terme d’un processus compliqué. A l’époque, pour des millions de Congolais opprimés par le joug colonial, le départ des colons belges était synonyme de victoire et d’un avenir radieux. Malheureusement, six décennies après le fameux discours de Léopoldville de Patrice Lumumba, force est de constater que la RDC d’aujourd’hui reste très loin de l’idéal rêvé par ses pères fondateurs. Retour sur 60 années d’indépendance d’un pays, toujours en quête de stabilité.

Une histoire politique mouvementée

Lorsque le roi belge Baudouin Ier se rend dans sa colonie congolaise pour y proclamer l’indépendance le 30 juin 1960, 75 ans d’exploitation cruelle et meurtrière ont laissé de vives blessures dans les cœurs des populations locales. Comme le rappelle Patrice Lumumba dans son discours d’indépendance, « c’est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire ».

« Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire ».

Pour la population congolaise qui réclamait, depuis quelques années, une indépendance immédiate, l’accès à la souveraineté devait donc symboliser une véritable libération et le début d’une marche vers la prospérité. Hélas, dès les premières années suivant cette indépendance, il faudra très vite déchanter, le pays devenant le nid de crises répétitives qui ont façonné son paysage politique, économique et sécuritaire actuel.

En effet, deux mois seulement après la proclamation de son indépendance, la RDC doit faire face à la sécession de ses deux principales provinces minières, le Katanga (11 juillet) et le Sud-Kasaï (20 août). Un an plus tard, soit le 17 janvier 1961, le Premier ministre Patrice Lumumba est assassiné (grâce à l’appui de gouvernements étrangers) et le maréchal Joseph Mobutu s’empare du pouvoir en 1965, renversant le président Joseph Kasa-Vubu. Sous son règne qui dure jusqu’en 1997, le pays, rebaptisé dans la foulée République du Zaïre, subit une véritable dictature meurtrière qui ne prend fin qu’avec la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, lui-même assassiné en 2001 et remplacé par son fils Joseph Kabila.

 

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Sous Mobutu, le corruption se généralise et l’économie d’effondre.

Malgré l’élection de ce dernier au suffrage universel en 2006 (une première depuis l’indépendance), après une période de transition, le pays reste marqué par de terribles violences, devenues tristement banales dans un paysage politique tumultueux.

Lire aussi : 15/06/2018 - Crise électorale en RDC : les intrigues d’un piège sans fin

Et aujourd’hui, la présidence de Félix Tshisekedi, dont l’arrivée au pouvoir, quoique contestée, a suscité un grand espoir au sein de la classe populaire, peine à s’éloigner de l’aura lugubre de ses prédécesseurs, tant les défis sont immenses.

Une économie à la dérive

Au-delà du climat politique et sécuritaire délétère, généralement dépeint lorsqu’on parle de la RDC, c’est également et surtout sur le plan économique que le pays fait face à une véritable crise qui date de plusieurs décennies.

A la veille des indépendances, la RDC est un pays disposant d’industries spécialisées dans la production de matières premières et attirant les investissements étrangers, mais pourtant son économie est exsangue. Le processus d’indépendance qui s’est fait dans la précipitation, a entraîné un départ massif des colons qui contrôlaient jusque-là, seuls, les leviers de l’économie. L’absence de véritables cadres capables de reprendre en main l’économie du pays a engendré une crise de ressources humaines qui a fortement affecté les performances de la RDC, en matière de production de richesses. Sous Mobutu Sese Seko, l’économie du nouveau Congo indépendant entame alors une véritable descente aux enfers.

L’absence de véritables cadres capables de reprendre en main l’économie du pays a engendré une crise de ressources humaines qui a fortement affecté les performances de la RDC, en matière de production de richesses.

En effet, dès les premières années suivant sa prise de pouvoir en 1965, le léopard zaïrois s’engage (du moins verbalement) à renforcer une économie marquée par des crises successives. Après la reconquête des riches provinces minières du Katanga et du Kasaï, le chef d’Etat lance une politique de zaïrisation, dont l’un des principaux objectifs est la nationalisation de plusieurs entreprises autrefois gérées par des étrangers. Malheureusement, la corruption généralisée et l’inflation galopante, induites par cette politique, exacerbées par la crise mondiale due au choc pétrolier des années 70, contribuent à mettre à terre l’économie congolaise.

Les nouveaux dirigeants des entreprises nationalisées par Mobutu (des proches pour la plupart) se révèlent singulièrement incompétents. Par contre, à l’image du chef d’Etat, on assiste à des détournements massifs de deniers publics qui appauvrissent le pays. D’ailleurs, à ce niveau, les chiffres de la croissance de l’ancien Zaïre sont assez éloquents.

Selon le FMI, la RDC a enregistré une croissance moyenne de -2% au cours des 18 dernières années de la présidence Mobutu, soit entre 1980 et 1997.

Selon le FMI, la RDC a enregistré une croissance moyenne de -2% au cours des 18 dernières années de la présidence Mobutu, soit entre 1980 et 1997.

A partir de 1989, le pays cumule six années de récession économique avec un pic à -13,4% en 1993. Entre 1980 et 1997, la balance des comptes courants du pays n'est positive qu’une seule fois, en 1995, à 0,06% du produit intérieur brut (PIB), alors que la monnaie locale subit de fortes dévaluations. C’est seulement à partir de 2002, sous la présidence de Joseph Kabila que le pays renoue avec une croissance économique positive et stable, même si là encore subsistent de nombreuses difficultés.

La malédiction des ressources naturelles

Aujourd’hui, comme il y a un siècle, la République démocratique du Congo est l’un des pays les plus riches du monde au regard des ressources que renferme son sous-sol. Or, uranium, diamant, cuivre, cobalt… le pays est un véritable trésor géologique qui aurait pu assurer pleinement sa prospérité. La RDC est considérée comme le premier producteur africain de cuivre et le leader mondial, en ce qui concerne le cobalt.

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A partir de 2002, sous la présidence de Joseph Kabila le pays renoue avec une croissance économique positive et stable.

Pourtant, malgré ces richesses, la RDC est considérée comme l’un des pays les plus pauvres au monde, en matière de revenus. Malgré une légère baisse du taux de pauvreté, ces dernières années, 72% de la population vivait toujours avec moins de 1,9 dollar par jour en 2018. En ce qui concerne le capital humain, le pays est classé 135e sur 157, avec un indice de capital humain de 0,37%, en dessous de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (0,40). D’après la Banque mondiale, « les enfants congolais restent en moyenne 9,2 ans sur les bancs de l’école et 43 % des enfants souffrent de malnutrition ». De plus, ajoute l’institution, seulement 43 % des ménages ont accès à l’eau potable (69 % en milieu urbain, 23 % en milieu rural) et 20 % d’entre eux, à l’assainissement.

Seulement 43 % des ménages ont accès à l’eau potable (69 % en milieu urbain, 23 % en milieu rural) et 20 % d’entre eux, à l’assainissement.

Pour certains observateurs, c’est justement cette abondance de richesses qui est à la base de l’appauvrissement du pays. Alain Foka, chroniqueur à Rfi, explique : « Le malheur de ce pays est d’avoir d’immenses richesses minières […] Je crois finalement à la malédiction de la richesse minière. Mais il y a eu beaucoup de choses qui ont contribué à faire que ce pays soit encore dans le désordre. Figurez-vous qu’il y a neuf voisins de la RDC, et les neuf sont à l’intérieur de la RDC, ont un pied à l’intérieur de la RDC […] Naturellement il y en a qui tirent les ficelles. Vous avez les Etats-Unis d’Amérique, vous avez la Belgique, vous avez beaucoup d’autres pays qui ont des intérêts à l’intérieur du territoire. Donc c’est un peu curieux, cette malédiction de la RDC ». Ainsi, de l’avis de plusieurs experts, plusieurs troubles sont fomentés par des pays ou groupes industriels étrangers pour continuer à exploiter les richesses du pays. Une situation qui fait écho à l’époque du roi belge Léopold II qui avait instauré dans un Congo devenu sa propriété privée, un véritable régime de terreur dont le seul but était l’exploitation des ressources naturelles, notamment le caoutchouc.

 

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Les enfants congolais restent en moyenne 9,2 ans sur les bancs de l’école et 43 % souffrent de malnutrition

Cependant, au-delà de ces conflits alimentés par des forces extérieures pour garder la mainmise sur les ressources de la RDC, plusieurs analystes estiment également que les richesses qui devraient être redistribuées à la population congolaise sont détournées soit par les dirigeants soit par les entreprises. Pour Jean-Claude Mputu, porte-parole de la plateforme de la société civile, « le Congo n’est pas à vendre », les richesses et actifs du pays continuent de disparaître au même rythme et au profit de sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux.

Enfin, pour certains experts, c’est surtout la structure de l'économie congolaise, héritage d’un passé où les richesses du sous-sol de la colonie étaient exportées de façon brute et sans valeur ajoutée vers la métropole, qu’il faut changer. Alors que les ressources minières représentent jusqu’à 90% des exportations du Congo, elles comptent à peine pour plus de 30% de son produit intérieur brut et de ses recettes fiscales.

Alors que les ressources minières représentent jusqu’à 90% des exportations du Congo, elles comptent à peine pour plus de 30% de son produit intérieur brut et de ses recettes fiscales.

« La structure de l’économie est la même qu’à l’époque coloniale au Congo, c’est ça qu’il faut changer », explique Jean-Pierre Okenda, expert congolais du secteur minier. « Qu’on arrive à extraire les matières premières, qu’on les transforme au niveau du pays, ça y ajoute de la valeur. Sans ça, on ne sortira pas de ce paradigme ».

Sortir de la spirale infernale

60 années après l’indépendance de la RDC, il est aujourd’hui difficile d’être optimiste pour ce pays, tellement les chantiers de développement sont herculéens. Aux crises politiques (opposant le président Tshisekedi au clan Kabila), sécuritaires (dues aux violences de groupes rebelles) et économiques, se sont ajoutées des crises sanitaires, dont les plus récentes sont celles de l’épidémie Ebola et de la pandémie du nouveau coronavirus.

 

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Félix Tshisekedi, décidé à sortir son pays de la malédiction des matières premières.

Si la source du mal de la RDC semble connue de tous, aucun leader n’a encore réussi à mettre en œuvre les solutions qui s’imposent pour sortir le pays de la spirale infernale dans laquelle il est englué depuis plus d’un demi-siècle. Félix Tshisekedi, lui, semble décidé à incarner l’homme providentiel qui fera enfin de la RDC la puissance économique et le havre de paix dont avait rêvé Patrice Lumumba.

Félix Tshisekedi, lui, semble décidé à incarner l’homme providentiel qui fera enfin de la RDC la puissance économique et le havre de paix dont avait rêvé Patrice Lumumba.

Dès son arrivée à la tête de l’Etat, il a annoncé son intention de sortir vingt millions de Congolais de la pauvreté ou de l’extrême pauvreté, d’ici les cinq prochaines années.

Les intentions du nouveau chef d’Etat sont certes nobles, mais leur réalisation compte déjà de nombreux obstacles, dont la difficile cohabitation entre la coalition au pouvoir et le FCC de Joseph Kabila, majoritaire à l’Assemblée.

Cependant tous s’accordent à le dire, la RDC a déjà les ressources matérielles nécessaires pour impulser son développement. Désormais, seules des ressources humaines qualifiées portées par un nouveau leadership permettront de conduire le pays vers le développement économique, politique et social tant attendu.

Moutiou Adjibi Nourou

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