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Pour Me Charles Bourgeois, en Afrique comme ailleurs, l’investissement le plus sécurisé, c’est l’investissement « gagnant-gagnant »

  • Date de création: 10 septembre 2017 04:49

(Agence Ecofin) - Malgré une nette amélioration de la réglementation des affaires, l'édition 2017 du rapport "Doing business" de la Banque mondiale continue de pointer du doigt les insuffisances d'un certain nombre de pays africains en matière de protection des investisseurs internationaux. Une pratique juridique responsable montre qu'il est cependant possible, pour un investisseur prévoyant, de sécuriser dans une large mesure son investissement en Afrique. Quelques réflexions pratiques à l'usage des investisseurs souhaitant investir sur le continent.

Une décision d'investissement longuement réfléchie

En Afrique comme ailleurs, un investissement réussi est avant tout un investissement bien réfléchi. Chaque décision d'investissement sur le continent africain devrait ainsi être précédée d'une analyse détaillée des risques politiques et économiques encourus par l'investisseur. A l'instar des "due diligence" menées pour l'acquisition de sociétés privés, l'investisseur doit être capable d'obtenir la garantie que les différents risques qu'il prend sont suffisamment maitrisés pour engager ou non un investissement.

Dans le cadre de ces "due diligences" africaine, une grande attention devra tout d'abord être portée sur l'existence ou non de traités internationaux portant sur la protection des investissements étrangers. Ces traités garantissent en effet la plus part du temps aux investisseurs un traitement juste et équitable par rapport aux ressortissants du pays hôte, une garantie d'indemnisation en cas d'expropriation ou encore la liberté des transferts de fond entre les deux pays.

Il s'agit ensuite de vérifier dans quelle mesure la réglementation du pays hôte protège ces mêmes investissements notamment concernant la fiscalité des entreprises ou la possibilité de recourir à l'arbitrage international. La stabilité de la législation est aussi très importante et une place privilégiée doit être accordée dans la décision d'investissement au pays intégrés dans des ensembles régionaux tels que l'UEMOA, l'OHADA, ou encore la CEA.

Enfin, et c'est peut-être le plus important, il faut conseiller aux investisseurs de vérifier très attentivement la légalité des différents titres de propriété, contrats, permis, statuts des sociétés et autres documents qui vont être transférés lors de la décision d'investissement. A titre d'exemple de la haute nécessité de ces vérifications, il suffit de rappeler la trop fréquente remise en cause des titres fonciers en Afrique, due notamment à la coexistence du droit écrit et des droits coutumiers dans bon nombre de pays africains.

La négociation de contrat socialement et économiquement équilibré

La sécurisation des investissements internationaux en Afrique passe ensuite par la négociation de contrat socialement et économiquement équilibré. La pratique des affaires montre en effet, que la meilleure garantie contre la remise en cause future d'un contrat, passe souvent par la recherche commune d'une solution gagnant-gagnant pour les parties.

Cette approche contractuelle, initiée en grande partie par les pays du sud comme la Chine ou encore le Brésil, est en opposition avec les anciennes recommandations prises par le FMI et la Banque Mondiale qui poussaient les pays en voie de développement à mettre en place des politiques d'incitation aux investissements directs étranger (IDE).

Adoption de régimes fiscaux ultra compétitifs, libéralisation du contrôle des changes, facilité pour le rapatriement des dividendes, la recherche des IDE passait ainsi par l'octroi de privilèges contractuels aux dépens du cocontractant africain. C'était la justification macro-économique du déséquilibre contractuel qui existait entre l'investisseur étranger et son co-contractant africain. Les évènements de ces dernières années ont cependant démontré que ce sont les contrats les plus déséquilibrés qui ont été les premiers remis en cause par les parties contractantes africaines.

Comme Fisher et Ury l'expliquent dans leur ouvrage « comment réussir une négociation », (éditions du Seuil, 2003) ce sont bien avant tout des accords justes et qui répondent aux intérêts de chacune des parties qui permettent d'obtenir des contrats stables dans l'avenir. Il faut donc sortir de ce mécanisme de "gagnant perdant" issu des anciennes prescriptions de la Banque Mondiale et du FMI pour rentrer dans un dialogue "gagnant-gagnant" permettant de se concentrer sur les intérêts partagés des investisseurs étrangers et de leur contractant africain. En pratique, l'investisseur international devra donc non plus seulement prendre en compte son propre intérêt dans la négociation du contrat, mais aussi celui de son co-contractant afin de sécuriser à long terme son investissement.

Au-delà de l'aspect purement économique, cet intérêt que doit avoir tout investisseur à l'endroit de son co-contractant se matérialise tout d'abord par la volonté d'associer au maximum la partie africaine dans la négociation du contrat. Dans son rapport sur les ressources minérales et le développement de l'Afrique, le groupe d'étude international sur les régimes miniers de l'Afrique fait ainsi le constat que la grande majorité des négociations sont généralement extrêmement asymétriques puisque les investisseurs internationaux sont souvent dotés en ressources et compétences alors que les Etats africains en sont faiblement pourvus. C'est précisément de cette asymétrie dans les négociations que naîtront potentiellement des situations d'incompréhension et de remise en cause futur des contrats.

Il s'agit dès lors pour les investisseurs de pousser leurs homologues africains à sollicité si besoin, une aide juridique extérieure comme par exemple celle apportée par la Facilité Africaine de soutien juridique créée par la Banque Africaine de Développement (BAD) en 2008.

L'investisseur doit enfin s'intéresser à l'impact social de son investissement sur les populations locales en termes d'emploi et de respect des droits de l'homme. Une attention toute particulière doit ainsi être portée sur la nécessité pour les investisseurs internationaux d'assurer une part locale de leurs investissements en Afrique. La part locale d'un investissement étant un moyen de favoriser le développement des capacités industrielles et les transferts de compétences en assurant un recrutement local des employés, ou encore par l'achat de biens et de services locaux.

Cette part "africaine" de l'investissement international constitue sans aucun doute le ciment de la construction d'une relation durable entre les parties puisqu'elle permet de promouvoir le développement social et communautaire des populations locales et abaisse donc mécaniquement le risque de voir arriver des troubles civils sur les lieux de l'investissement. Un contrat socialement équilibré est un véritable "permis social d'investissement" avec les populations locales, ce qui participe à la sécurisation du contrat.

Un autre aspect non moins déterminant pour la sécurisation d'un contrat en Afrique est la responsabilité des entreprises à s'engager à respecter les droits de l’homme. Les principes directeurs de John Ruggie relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés par l'Assemblée Générale des Nations-Unies doivent servir aux investisseurs internationaux de véritable guide dans la conduite de leurs investissements en Afrique. Là encore, cet effort volontaire de la part des investisseurs sera récompensé par le maintien d'une bonne relation entre toutes les parties prenantes au projet d'investissement.

Une anticipation des difficultés à venir

1160, c'est le nombre de jours qu'il faut actuellement compter pour la résolution d'un litige commercial devant le Tribunal de première instance de Libreville, selon le dernier rapport de la Banque Mondiale "doing business dans les Etats de l'OHADA". Malgré de sérieux progrès en la matière notamment en Côte d’Ivoire et au Niger, les investisseurs internationaux doivent ainsi s'attendre à être confrontés devant les juridictions africaines à d'importants délais de procédure.

Sur le fond, la pratique judiciaire montre que l'impartialité des tribunaux locaux n'est souvent pas garantie à l'investisseur étranger lorsque celui-ci contracte avec des Etats ou des entreprises à capitaux publics, notamment concernant des litiges portant sur des nationalisations, sur le retrait anticipé d'une concession, ou encore tout simplement sur le non-paiement des sommes dues au titre de l'investissement.

Afin d'éviter ces écueils, il doit être conseillé aux investisseurs internationaux de recourir à l'arbitrage international par le biais d'une clause compromissoire lors de la signature du contrat. Différentes instances d'arbitrage peuvent ainsi être désignées comme compétentes (CIRDI, CCI, CNUDCI, Règlement d'arbitrage OHADA etc..).

Grâce à la ratification par la majorité des pays africains de la convention de New-York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, les jugements arbitraux sont exécutables dans bon nombre de pays africains, ce qui rend d'autant plus attractif le recours à l'arbitrage international.

En définitive, si un investissement peut être en grande partie sécurisé par une pratique juridique responsable, il faut se souvenir que cela passe toujours par la recherche d'un consensus, et que dans ce consensus, les parties doivent se rappeler ce que disait un éminent homme politique français comme Edgar Faure, "avoir toujours raison est un tort".

Charles Bourgeois

Avocat aux Barreaux de Paris et du Québec

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