(Agence Ecofin) - Au Bénin, l’ananas fait partie des principales filières d’exportation aux côtés du coton et de la noix de cajou. Si le pays occupe encore une place marginale dans la production mondiale, les qualités organoleptiques appréciées de son fruit lui fournissent un bon avantage comparatif, du côté de l’export. Jean Xavier Satola, président de l’Association nationale des exportateurs d’ananas du Bénin (ANEAB) s’est entretenu avec l’Agence Ecofin sur la situation de la filière, ses défis ainsi que ses forces sur un marché européen de plus en plus concurrentiel.
Agence Ecofin : Pouvez-vous présenter brièvement l’Association nationale des exportateurs d’ananas du Bénin (ANEAB) ?
Jean Xavier Satola : L’ANEAB est une association à but non lucratif, régie par la loi de 1901 et composée essentiellement des entreprises qui expédient leur produit sur le marché international en excluant la sous-région. Elle comprend une vingtaine de compagnies exportatrices. Elle a pour objectif de travailler à l’homogénéisation de la qualité de l’ananas exporté pour éviter d’avoir, sur les débouchés commerciaux, des qualités disparates. Elle se charge également de regrouper l’offre destinée à l’exportation et de faire du lobbying auprès des autorités afin d’obtenir des facilités pour l’ensemble des acteurs.
« Aujourd’hui, nous expédions environ 1000 tonnes d’ananas par an. »
L’ANEAB est en lien contractuel avec la famille des producteurs qui lui fournit des ananas exportables et fait partie de l’Association interprofessionnelle de l’ananas (AIAB) qui gère toute la filière ananas et comprend également les transformateurs et des commerçants qui écoulent leur production sur le marché local et sous-régional.
AE : Quels sont les chiffres d’exportation de la filière et les destinations principales ?
JXS : Aujourd’hui, nous expédions environ 1000 tonnes d’ananas par an. Il faut dire qu’on est encore loin du record de 2015 où nous avions exporté 4120 tonnes. Nous avons connu durant la campagne 2016/2017, une crise avec les résidus d’étéphon qui est un produit qui permet de colorer l’ananas. Les quantités du produit chimique ont dépassé les limites maximales résiduelles (LMR) autorisées notamment en Europe. Cette situation a conduit le gouvernement à imposer une interdiction d’exportation de l’ananas coloré qui constituait la majeure partie des volumes expédiés.
Les principales destinations de l’ananas du Bénin sont les pays européens, essentiellement la France, la Belgique, la Suisse, l’Espagne et d’autres pays du Maghreb (le Maroc essentiellement).
Cette auto-suspension a permis de ne pas être pénalisée par une éventuelle interdiction de la part de l’UE, qui aurait eu plus de dommages pour la filière qu’un retrait volontaire. L’exécutif a demandé à ce que des réformes soient faites au niveau de la filière d’exportation pour corriger les dysfonctionnements ayant conduit à la crise. Après l’application des mesures dans ce sens, le gouvernement a autorisé la reprise des exportations, il y a environ 8 mois.
Les principales destinations de l’ananas du Bénin sont les pays européens, essentiellement la France, la Belgique, la Suisse, l’Espagne et d’autres pays du Maghreb (le Maroc essentiellement).
AE : Quels sont les principaux concurrents du Bénin sur le marché européen ?
JXS : Le Costa-Rica constitue une menace pour tous les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) et pas uniquement pour le Bénin. Mais on essaie, avec le soutien du Comité de Liaison Europe Afrique-Caraïbes-Pacifique (COLEACP) de résister à la concurrence et même de la surmonter. En Afrique, nous avons également beaucoup de concurrents. Nous ne sommes pas le seul pays ACP sur le marché européen. Il y a aussi la Côte d’Ivoire et le Ghana, à l’export. Mais le concurrent sérieux du Bénin au niveau de l’ananas, c’est le Ghana. Il dispose d’un vaste réseau d’avions qui lui permet d’être sur tous les marchés, ce que nous n’avons pas.
Mais le concurrent sérieux du Bénin au niveau de l’ananas, c’est le Ghana. Il dispose d’un vaste réseau d’avions qui lui permet d’être sur tous les marchés, ce que nous n’avons pas.
Si les exportateurs béninois veulent aller conquérir le marché suisse par exemple, cela n’est pas possible en l’absence de vols directs vers cette destination. C’est ce qui limite d’abord la capacité de l’ananas du Bénin et l’empêche de se déployer sur la totalité des marchés européens. Il faut passer par des vols intermédiaires, ce qui est difficile sur le plan logistique. Nous sommes préférentiellement sur la France et la Belgique où nous avons tous les jours des avions qui vont vers ces deux destinations.
AE : Comment l’origine béninoise arrive-t-elle à se démarquer dans un tel contexte ?
JXS : L’ananas du Bénin possède une qualité organoleptique exceptionnelle qui force le respect et l’admiration des consommateurs européens qui exigent que ce type d’ananas puisse leur être fourni de façon régulière. C’est ce qui permet à l’ananas du Bénin de se positionner sur le marché de niche européen.
« On est en train de faire des procédures pour l’exportation du Pain de sucre avec l’indication géographique. »
D’ailleurs, on est en train de faire des procédures pour l’exportation du Pain de sucre avec l’indication géographique (IG). Nous sommes encore en phase procédurale, mais nous prospectons déjà de nouveaux débouchés sur le marché international. Dès qu’on aura fini toute la procédure, je pense que ce sera un atout supplémentaire pour le Bénin pour se positionner davantage sur les marchés internationaux et sous-régionaux.
AE : D’après certains observateurs, si les ananas du Bénin sont recherchés, l’origine peine toujours à établir une image de professionnalisme avec la plupart des ananas provenant d’achats bord champs. Quels sont les efforts déployés pour l’amélioration de la qualité des exportations en général ?
JXS : Par rapport à cela, nous avons établi des critères de sélection au niveau de la qualité sanitaire de l’ananas, qui sont respectés par toutes les entreprises exportatrices. Au cœur de ce processus se trouve l’Agence béninoise de sécurité sanitaire des aliments (ABSSA) qui s’occupe de contrôler les marchandises avant leur exportation vers l’Europe. Toutes les entreprises exportatrices doivent s’enregistrer auprès de cette agence avant d’être autorisées à opérer sur les marchés. Par ailleurs, chaque entreprise est en lien d’affaires avec un groupe de producteurs à qui elle applique les exigences du cahier des charges au niveau de production. Si à la récolte, les fruits répondent à ces exigences, ils sont acceptés. Dans le cas contraire, ils sont rejetés.
AE : Au-delà de cet épisode de l’étéphon, quelles sont les mesures sanitaires et phytosanitaires déployées pour répondre aux exigences des marchés européens comme les limites maximales résiduelles (LMR) ?
JXS : Je pense que si tout marche normalement, en principe on ne doit plus avoir des problèmes à l’international. Ceci en raison de l’ABSSA qui est une agence étatique qui contrôle, au-delà de l’ananas, presque tous les aliments. Concernant l’ananas, il faut d’abord lui envoyer un programme mensuel des exportations.
« Si à la récolte, les fruits répondent à ces exigences, ils sont acceptés. »
A partir de ce programme, l’agence envoie ses agents sur le terrain pour qu’ils viennent prendre des échantillons d’ananas, les amener au laboratoire central qui est accrédité. C’est quand le laboratoire donne un résultat positif qu’on vous donne un certificat d’exportation qui vous permet de récolter les fruits et de les amener à l’aéroport. Là-bas, l’ABSSA a un bureau de contrôle qui vérifie ce certificat. Quand il n’est pas conforme à celui que l’ABSSA a envoyé au producteur, l’ananas ne peut franchir cette barrière pour aller vers le quai fruitier.
AE : Le marché de l’ananas avion, en Europe, a été touché par la suspension des vols réguliers/ réduction des vols passagers, en raison du coronavirus. Comment la filière béninoise fait-elle face à cette situation ?
JXS : L’ananas avion a été le plus impacté par la fermeture des frontières aériennes et terrestres. Nous n’avions plus de possibilités pour exporter. En conséquence, les stocks destinés à l’exportation nous sont restés sur les bras et ont pourri.
Nous n’avions plus de possibilités pour exporter. En conséquence, les stocks destinés à l’exportation nous sont restés sur les bras et ont pourri.
Il n’y a pas encore d’étude sur les conséquences du coronavirus sur la filière. Mais je pense qu’actuellement le gouvernement est en train d’évaluer l’impact de la crise sanitaire sur la production agricole. La filière ananas a déjà été approchée et on attend les résultats.
AE : En 2019, l’ONG américaine Partners for Development (PfD) a octroyé une chambre froide d’une capacité de 18 tonnes à l’ANEAB. Quels sont les impacts de cette contribution sur la chaîne de l’exportation ?
JXS : Cette contribution a permis de limiter les pertes qu’enregistrent habituellement les exportateurs. Nous utilisons pour la plupart du temps des avions passagers. Les avions préfèrent les passagers au fret, pour des questions économiques. Lorsqu’à des moments donnés, il y a plus de passagers par exemple et que la capacité de fret est réduite, on doit débarquer les fruits. Si après débarquement, les fruits doivent partir le lendemain ou deux jours après, il n’y avait pas de lieu pour la conservation. Cette situation conduisait à un stockage à l’air libre et avait des conséquences puisqu’il s’agit d’une denrée périssable. Ce problème écornait l’image de la qualité de l’ananas du Bénin à l’exportation. Avec la disponibilité d’une chambre froide, les fruits qui ne pourront pas être embarqués sur le vol du jour par manque de place peuvent conserver leur fraicheur jusqu’à l'embarquement.
AE : De quelles mesures gouvernementales bénéficie le segment d’exportation, en matière d’incitations douanières ou d’appui logistique ?
JXS : Il faut dire que les droits de douane ne sont pas importants et ne menacent pas la compétitivité de l’ananas. Actuellement, il faut reconnaître que le gouvernement met en œuvre un projet capital qui devrait booster les exportations du fruit. Il est en train de doter l’aéroport d’un quai fruitier qui va coûter près d’une demi-dizaine de milliards FCFA. Cela veut dire qu’on pourra convoyer de gros volumes vers l’aéroport [international Cardinal Bernadin Gantin de Cotonou, NLDR] et donc traiter en temps record d’importantes cargaisons. Les premières enquêtes ont été faites, la décision a été prise et les fonds ont été mobilisés. Je pense que les travaux ont déjà commencé.
Interview réalisée par Espoir Olodo
Lomé, Togo - Organisé par la BIDC.