Madagascar: un sinistre « Game of Throne » africain

(Ecofin Hebdo) - Café, vanille, pierres précieuses ou animaux exotiques ne sont plus désormais les seuls sujets qui font parler de Madagascar à l’international. Depuis plusieurs décennies maintenant, le « huitième continent » est l’objet d’une interminable série, marquée par une instabilité politique chronique et des luttes de pouvoir dont les derniers épisodes menacent le régime actuellement en place d’un destin semblable à celui de ses prédécesseurs.

 

Un paysage politique marqué par des éternels jeux de pouvoir

Avant d’entrer dans les méandres de la crise politique actuelle, il est important de dresser un bref tableau du paysage politique malgache, issu d’une série de crises continuelles depuis les indépendances.

58 ans après l’accession à la souveraineté internationale, l’île rouge reste un pays où l’alternance démocratique représente un véritable « accouchement dans la douleur » pour les régimes en place. De génération en génération, opposants et mouvances présidentielles se sont souvent adonnés à des luttes qui ont fait couler de l’encre, de la salive mais également du sang.

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Didier Ratsiraka, dit l’Amiral, président de 1975 à 1993, puis de 1997 à 2002.

Les véritables premières « tribulations démocratiques » à Madagascar commencent à partir des années 90 avec le duel politique entre l’inamovible président socialiste Didier Ratsiraka et le chirurgien Albert Zafy qui finira par renverser son rival et à gagner les élections.

Des tensions au sein de son gouvernement et la trahison de certains de ses alliés conduiront le président Zafy à la destitution. Puis au retour au pouvoir de l’amiral Ratsiraka, à la suite d’élections démocratiques.

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Albert Zafy, l’homme au chapeau de paille, élu en 1993, destitué en 1996.

En 2001, l’Amiral fera face à de nouvelles contestations menées cette fois-ci par le maire de la capitale à l’époque, l’industriel Marc Ravalomanana, dit le Laitier, qui deviendra président 18 mois plus tard, à la suite d’une élection présidentielle et d’un conflit post-électoral de plusieurs mois qui ira jusqu’au blocus de la capitale.

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Marc Ravalomanana, dit le Laitier, président de 2002 à 2009.

En 2009, Ravalomanana verra son second mandat de cinq ans écourté, à la suite d’une nouvelle crise politique, qui l’opposera au nouveau maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, dit le DJ.

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Andry Rajoelina, dit le DJ, président de 2009 à 2014.

A la suite de manifestations ayant fait plusieurs morts et de manœuvres politiques au sein de l’armée, le Laitier fuira le pays et le DJ sera hissé au pouvoir, avant de céder le fauteuil présidentiel au terme d’une « transition » de cinq ans, à l’actuel président élu Hery Rajaonarimampianina.

 

La présidence Rajaonarimampianina : chronologie d’une crise aux dénouements rocambolesques

A peine arrivé au pouvoir, le premier président démocratiquement élu de la IVe République, fait rapidement face à de nombreux problèmes dont les différents dénouements contribueront à positionner les principaux pions de l’échiquier politique actuel du pays.

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Hery Rajaonarimampianina, président depuis depuis 2014.

Le premier d’entre eux concerne le choix du Premier ministre qui ne deviendra effectif que deux mois après le début du nouveau mandat. Cette situation est due notamment au refus du nouveau président de permettre à son prédécesseur, leader de la majorité, de choisir le Premier ministre comme le permet la constitution. Souhaitant se départir de l’influence de l’ancien homme fort du pays, le président Rajaonarimampianina finira par faire venir à ce poste Roger Kolo, un médecin radiologue de l’Hopital cantonal de Genève.

Cependant les péripéties politiques du nouveau gouvernement sont loin de connaître leur épilogue car, quelques mois plus tard, le premier ministre Kolo démissionnera avec son gouvernement le 12 Janvier 2015, à la suite de nombreuses critiques notamment sur sa gestion de l'approvisionnement de Madagascar en électricité.

Le 12 février, le blocage par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) du processus de nomination d’un nouveau Premier ministre, initié par la toute nouvelle coalition parlementaire d’opposition « Alliance Ambodivona », poussera ces derniers à accuser le président d’avoir « forcé la main » à l’institution, violant ainsi le principe démocratique de séparation des pouvoirs. Cela lui vaudra, le 26 mai, un vote sur sa déchéance qui sera validé avec 121 voix, soit plus que la majorité des 101 voix requises. Pourtant, cette destitution ne sera pas effective, car la HCC, qui est chargée de se prononcer sur la légitimité de ce vote, rejettera la demande de destitution du président…

 

Les lois électorales de 2018 : le casus belli de la nouvelle crise

C’est le 21 avril 2018 que commence véritablement la toute nouvelle crise politique qui secoue Madagascar. Ce jour-là, plusieurs Malgaches manifestent dans la rue contre le président Rajaonarimampianina. La répression qui s’en suivra fera deux à cinq morts selon les sources (deux pour le gouvernement, cinq selon l’opposition) et une dizaine de blessés.

C’est le 21 avril 2018 que commence véritablement la toute nouvelle crise politique qui secoue Madagascar. Ce jour-là, plusieurs Malgaches manifestent dans la rue contre le président Rajaonarimampianina.

A l’origine de cette manifestation, l’adoption le mardi 03 avril 2018 par le parlement, de nouvelles lois électorales, réorganisant le processus électoral dans le pays, à travers la modification des règles de révision des listes électorales, de publication des résultats ou de candidature à la présidentielle.

Ces nouvelles lois sont jugées « beaucoup trop lourdes » par l’opposition, notamment en raison du durcissement des règles de révision des listes électorales, et de l’obligation faite aux candidats de présenter un extrait de leur casier judiciaire, mentionnant toutes leurs condamnations. L’opposition accuse le président de vouloir se tailler une élection présidentielle sur mesure et d’avoir corrompu certains membres de l’opposition pour obtenir la majorité lors des votes.

Le 23 avril, soit deux jours après la première marche de protestation, de nouvelles manifestations ont lieu. Cette fois-ci, deux personnages politiques bien connus des Malgaches se feront distinguer par leur présence. Il s’agit des anciens présidents Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, ennemis jurés qui enterreront la hache de guerre pour faire face à un ennemi commun… du moins pour l’instant.

Les anciens présidents Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, ennemis jurés, enterreront la hache de guerre pour faire face à un ennemi commun… du moins pour l’instant. 

Au début du mois de mai, la HCC annule l’adoption des nouvelles lois électorales, ce qui, bien qu’étant une victoire des manifestants, ne calme pas pour autant les tensions, l’opposition réclamant désormais la démission du président.

Entre temps, celui-ci échappe à une nouvelle tentative de destitution, après que la Haute Cour Constitutionnelle ait rejeté une nouvelle demande de destitution du président, initiée par l’opposition. Cependant, elle ordonne la démission dans les plus brefs délais, du Premier ministre en poste, Olivier Mahafaly Solonandrasana, et la nomination d’un Premier ministre de consensus, d’ici le 12 juin.

Le 4 juin 2018, le Premier ministre démissionne pour « faciliter » l’exécution de la décision de la HCC. Dans les heures qui suivent, le président nomme Christian Ntsay, 57 ans et ancien cadre à l’Organisation Internationale du Travail, pour lui succéder.

Celui, qui n’appartient donc officiellement à aucun des trois grands partis de l’île, a donc désormais la lourde tâche de former un gouvernement d’union nationale qui conduira le pays aux élections générales prévues dans les prochains mois.

 

Des luttes politiques acharnées sur fonds de crises économiques et sociales profondes

Considérer la crise malgache d’un point de vue purement politique reviendrait à prendre en compte un seul aspect du problème. Si, en surface, la situation politique est la plus médiatisée, il n’en est pas moins vrai que la crise est autant économique et sociale que politique.

«Un enfant sur deux (de moins de 5 ans) souffre d’un retard de croissance et Madagascar est le cinquième pays au monde avec le plus grand nombre d’enfants non scolarisés.»

Classé parmi les pays moins avancés, Madagascar, malgré une croissance économique prévue pour atteindre 5,1% en 2018 (selon le FMI) fait face à un taux pauvreté considérable (76,2% en 2017 selon la Banque mondiale).

«Un enfant sur deux (de moins de 5 ans) souffre d’un retard de croissance et Madagascar est le cinquième pays au monde avec le plus grand nombre d’enfants non scolarisés. Par ailleurs, le taux d'accès à l’électricité est de 13 %, soit l’un des plus bas de la planète » a indiqué un rapport de la Banque mondiale sur le pays.

L’île serait d’ailleurs « le seul pays qui s’appauvrit depuis soixante ans, sans avoir connu la guerre ».

Ces situations socio-économiques désastreuses dénotent d’une inadéquation des politiques menées par les gouvernements qui se sont succédés. Selon l’ouvrage L’Enigme et le paradoxe : Economie politique de Madagascar, réalisé par des chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), l’île serait d’ailleurs « le seul pays qui s’appauvrit depuis soixante ans, sans avoir connu la guerre ».

 

Une solution pour la sortie de crise ?

Au vu des récentes expériences du pays, et de la récurrence des mêmes crises politiques depuis quelques années, rien n’est moins sûr. Si le président en fonction n’a pas encore annoncé sa candidature pour un nouveau mandat, ses deux prédécesseurs, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, aujourd’hui ralliés contre lui, ont déjà annoncé leur intention de se présenter à une élection présidentielle qui promet de soulever beaucoup de remous.

L’espoir reste malgré tout permis… La cinquième plus grande île au monde devra décider de son sort dans les prochains mois. Les Malgaches finiront bien un jour par trouver le chemin de la sortie de ce cercle infernal qui les maintient dans la pauvreté extrême depuis déjà deux générations.

Moutiou Adjibi Nourou

 

 

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