Séverine Laurent : « Ils veulent tous bosser avec les télévisions d’Afrique ! »

(Ecofin Hebdo) - Animatrice des conférences du Discop Abidjan 2019, Séverine Laurent a vécu de manière particulière le changement du regard des acheteurs internationaux sur le contenu africain. Actrice du marché africain des médias, de la communication et de l’audiovisuel depuis les années 90, elle revient en évoquant son expérience sur le continent, et les différents changements subis par le secteur africain de l’audiovisuel et de la communication.

 

Agence Ecofin : Vous êtes présente sur le continent depuis les années 90. Qu’est-ce-qui vous a attiré en Afrique ?

Séverine Laurent : Gamine je me rêvais déjà sur les routes du monde. A 20 ans, le hasard a voulu, si tant est que le hasard existe puisque je crois davantage au destin, que j’intègre la structure londonienne Advanced Satellite Systems. Je vendais des antennes paraboliques en Afrique. A l’autre bout du fil et des fax, mes interlocuteurs me demandaient des nouvelles de ma famille qu’ils ne connaissaient pas, me faisaient des blagues, m’envoyaient des cadeaux. Coup de foudre immédiat : je suis une villageoise, amoureuse des rapports humains. Je n’ai jamais su travailler sans passion et sans amitié. Et la passion et l’amitié sont l’essence même des rapports d’affaires que l’on entretient en Afrique.

 

AE : A votre arrivée, sur le continent, les secteurs de l’audiovisuel et de la communication étaient encore embryonnaires. Qu’est-ce-qui vous a donné envie de vous y investir malgré tout ?

SL : J’y croyais ! Le potentiel était là, vivant, bouillonnant. Toutes les opportunités du monde s’offraient à ceux qui avaient la foi, aux travailleurs du secteur des premières heures.

 

AE : Quels obstacles avez-vous rencontré à cette époque ?

SL : Mes préjugés de villageoise… Ils furent atouts mais également freins. Et puis, j’ai cru que parce que je parlais français mes interlocuteurs me comprenaient. Mais tous les mots n’ont pas le même sens dans l’espace francophone.

1Emmanuel Chatué Président de Canal2 Cameroun 2017

Avec Emmanuel Chatué Président de Canal2 Cameroun.

 

Et puis, mon tempérament rebelle et utopiste m’interdisait de me soumettre aux chefs si je pensais qu’ils n’étaient pas dans la raison. J’ai commis beaucoup d’erreurs culturelles grâce auxquelles, avec le temps et l’expérience, j’ai appris. Maintenant je suis devenue un peu plus diplomate.

 

AE : Qu’est ce qui a changé par rapport à maintenant ?

SL : Tout ! Jusqu’en 2005 – 2007 aucun industriel international des médias, à l’exception des groupes français Canal+ et, plus timidement, AB Sat (devenu Mediawan; ndlr), ne s’intéressait au continent. Il existait très peu de chaînes locales.

Jusqu’en 2005 – 2007 aucun industriel international des médias, à l’exception des groupes français Canal+ et, plus timidement, AB Sat, ne s’intéressait au continent. 

Aujourd’hui, on vient encore de le constater au dernier Discop à Abidjan, l’Afrique subsaharienne francophone présente des opportunités de croissance extraordinaires dans les secteurs médias. Les Chinois, les Indiens, les Israéliens, les Turcs… Ils veulent tous bosser avec les télévisions d’Afrique. Côté communication, la professionnalisation du secteur est indéniable. Tout se transforme, le potentiel est formidable.

 

AE : En 2014, vous avez publié un livre sur les clés de la communication en Afrique et vous accompagnez des institutions comme la Banque Mondiale dans ce domaine. En quoi est-ce différent de communiquer en Afrique, par rapport au reste du monde ?

SL : La communication, alliée aux vecteurs médias, constitue l’outil de formation, de manipulation numéro un des opinions. Ici nous évoluons dans des environnements complexes dans lesquels les peuples et les leaders font face à des préoccupations spécifiques. Illettrisme, ruralité, traditionalisme ou modernité mais aussi traumatismes historiques des populations, obligations sociales et velléités de développement personnel constituent autant de facteurs, dont la liste est non exhaustive, à considérer dans toute approche communicationnelle.

Illettrisme, ruralité, traditionalisme ou modernité mais aussi traumatismes historiques des populations, obligations sociales et velléités de développement personnel constituent autant de facteurs, dont la liste est non exhaustive, à considérer dans toute approche communicationnelle.

Il m’est avis que nous autres, professionnels des médias et de la communication, devons élaborer nos stratégies en gardant à l’esprit la responsabilité sociale qui nous incombe. L’approche que je propose est différente puisqu’elle mélange techniques de développement personnel et techniques de communication persuasive. Ces techniques se rencontrent au carrefour des croyances des individus. En bref, je propose des messages et contenus qui valorisent les identités africaines tout en faisant la promotion d’une idée, d’un projet, d’un produit ou d’un politique.

2FHM Ministre des cultes et maire de Siby Mali 2015

Avec Thierno Hass Diallo, ministre des affaires religieuses et du culte du Mali.

 

En véhiculant des concepts puissants comme la confiance en nos propres capacités, la mise en valeur des héros du continent, on participe non seulement à mieux faire connaître un concept ou un produit mais également à accroître les potentialités de développement personnel des individus. On participe au changement des comportements.

 

AE : Au Discop Abidjan, où vous avez animé la plupart des conférences, la récente attraction pour le contenu africain s’est confirmée. Selon vous, quels sont les différents facteurs qui expliquent cette tendance ?

SL : On peut passer des heures à débattre des différents facteurs identitaires et culturels qui expliquent ce phénomène. Il peut pourtant être résumé en une seule phrase. En 2050 une personne sur 4 dans le monde sera d’origine africaine. Le reste du monde est en train de le comprendre. Enfin.

En 2050 une personne sur 4 dans le monde sera d’origine africaine. Le reste du monde est en train de le comprendre. Enfin.

 

AE : Selon vous, quels sont les obstacles qui empêchent le secteur de réaliser son plein potentiel ?

SL : Vous l’avez évoqué dans un récent article Ecofin : c’est évidemment le financement de la production. Les banques sont encore trop craintives, les Etats peinent à réunir les conditions pour la création de fonds permettant de participer, voire d’impulser, des productions de qualité. Mais je suis confiante : les choses sont est en train d’évoluer. 

 

AE : Est-il possible de convaincre les institutions financières de miser davantage sur le contenu audiovisuel africain ?

SL : Il en existe plusieurs, mais l’une des voies probables serait de former les porteurs d’idées aux techniques de pitch. Apprendre à présenter un dossier et à convaincre ses interlocuteurs me semble être un savoir indispensable à tous les niveaux dans le secteur.

 

AE : Que pensez-vous de la représentation du continent dans les grands évènements internationaux du secteur de l’audiovisuel ?

Elle reste timide, à l’exception de rares groupes tels que la RTI, par exemple, que l’on rencontre régulièrement au MIP TV à Cannes.

Partir à la conquête du monde, bien sûr, il le faut, mais conquérir d’abord l’Afrique me semble prioritaire. Cette étape franchie, c’est le reste du monde qui viendra frapper aux portes du continent. D’ailleurs, c’est déjà le cas.

Mais franchement, à l’heure où cette industrie est en train de se construire, il m’est avis que la première étape de leur représentation doit rester en Afrique en participant à des rencontres telles que le Discop ou le Fespaco. Le secteur a encore besoin d’un peu de temps pour renforcer ses capacités. Partir à la conquête du monde, bien sûr, il le faut, mais conquérir d’abord l’Afrique me semble prioritaire. Cette étape franchie, c’est le reste du monde qui viendra frapper aux portes du continent. D’ailleurs, c’est déjà le cas.

 

AE : Si vous pouviez changer quelque chose dans le secteur, qu’est-ce que ce serait?

SL : La visibilité et les responsabilités des femmes dans les secteurs médias ! L’enquête récente menée par Basic Lead a mis en exergue le fait que peu de dames sont les invitées d’émissions de société, à l’exclusion de sujets tels que mode, coiffure ou éducation des enfants.

3DISCOP 2018 CIV Conférence Femmes et médias

Discop 2018 à Abidjan :  Conférence Femmes et médias.

 

Peu d’entre nous occupons des postes à haute responsabilité. Pourtant, l’enquête témoigne également du fait que les hommes semblent globalement avoir confiance dans les femmes dirigeantes. Mais aussi que les femmes ne se sentent pas soutenues par les femmes. A propos de changer l’ordre établi, une dizaine de femmes dirigeantes ont décidé de contribuer à faire évoluer ce préjugé en s’engageant, avec le programme #GenerationDiscop, à accompagner une jeune femme en début de carrière pendant une année entière. Et on attend d’autres mentors féminins, pour conclure et faire évoluer les mentalités. C’est possible. Il faut y croire, travailler, s’impliquer. Donner pour recevoir. Et surtout transmettre !

 

Bio Express

4severine laurent

Présidente de la commission francophonie de l'Observatoire de la Transformation audiovisuelle, membre de l'Union des médias et de la publicité francophone, ancienne secrétaire générale du réseau des médias francophones, Séverine Laurent est présente dans le secteur de la communication et des médias depuis ses 23 ans, lorsqu’elle a commencé à travailler sur le continent. Elle conseille ou a conseillé d’importants acteurs des médias présents en Afrique francophone subsaharienne (Mediawan - chaînes RTL9, Mangas, Action...-, Africable TV, Turner Broadcasting -chaînes CNN, Boing, Boomerang-, Deezer, Videorama, Pixagility, Free Africa, Intelsat, Discop,  Satcon, Télésat Djibouti...). Aujourd’hui, au sein de son agence Afrikakom, elle accompagne les entreprises souhaitant se développer dans les activités liées à la communication et aux médias. Elle s’occupe notamment de la mise en œuvre de stratégies de communication panafricaines incluant lobbying, organisation d’évènements et campagnes mass médias. Elle milite au quotidien pour l’implication des acteurs et experts africains dans le secteur. « Dans mon travail, je constitue des équipes de consultants indépendants pour chaque client en fonction de ses objectifs, et 90% des experts avec lesquels je travaille sont issus du continent africain », nous a-t-elle confié.

 

Servan Ahougnon

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Ndeye Khady Gueye

 

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