Accusée de tous les maux, l’huile de palme peine encore à trouver sa place sur le marché mondial, en dépit des certifications

(Ecofin Hebdo) - Alors qu’elle demeure sans rival pour sa productivité et ses nombreuses propriétés très prisées, l’huile de palme est décriée par de nombreuses ONG, en raison des déforestations massives qui ont été pratiquées dans ce secteur, particulièrement en Asie. Si la Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO) a permis d’impulser un mouvement de durabilité dans la filière, elle reste confrontée à de nombreux vents contraires. Décryptage.

Lorsqu’elle a été créée en 2004, la Table ronde sur l’huile de palme (RSPO) tenait d’un pari. Celui de promouvoir la production, l’échange et la consommation d’huile de palme durable sur le marché mondial. Il s’agissait surtout, en arrière-plan, de prouver que si l’association des termes « développement durable » et « huile de palme » n’était pas évidente, elle ne relevait pas de facto de l’oxymore.

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Sur le plan foncier et social, l’huile de palme faisait aussi polémique.

 

Et pour cause, dans les années 90, l’industrie de l’huile de palme était sous le feu des critiques. Après plusieurs décennies de croissance fulgurante en Asie du Sud-Est, le palmier à l’huile est devenu la bête noire des ONG environnementales. L’Indonésie, qui possède le troisième bassin de forêts équatoriales du monde, cristallisait tout particulièrement l’attention des organisations.

Après plusieurs décennies de croissance fulgurante en Asie du Sud-Est, le palmier à l’huile est devenu la bête noire des ONG environnementales. L’Indonésie, qui possède le troisième bassin de forêts équatoriales du monde, cristallisait tout particulièrement l’attention des organisations.

Dans le pays, l’utilisation du feu pour préparer le terrain, avant l’installation des palmeraies, a entraîné de nombreuses organisations comme Greenpeace, l’UICN ou Les Amis de la Terre, à se pencher sur l’influence de l’expansion du palmier à huile sur la disparition de la biodiversité.

Sur le plan foncier et social, l’huile de palme faisait aussi polémique avec des accusations allant de la négation des droits coutumiers traditionnels, à l’accaparement de terres en passant par les mauvaises conditions de travail.

Dans ce contexte, la RSPO se voulait une plateforme basée sur la coopération et le dialogue entre les différentes catégories d’acteurs de l’industrie (producteurs, transformateurs, négociants, détaillants, ONG/environnement-nature, ONG/social).

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La RSPO revendique aujourd’hui 4000 membres provenant de 93 pays.

 

Avec une charte reposant sur un ensemble de 8 principes et 39 critères, depuis novembre 2005, la RSPO conçoit l’huile de palme durable comme celle n’étant pas issue de la déforestation ; n’engendre pas d’impacts sociaux négatifs (respect des droits des exploitations familiales) et ne participe pas au changement climatique.  

La RSPO conçoit l’huile de palme durable comme celle n’étant pas issue de la déforestation ; n’engendre pas d’impacts sociaux négatifs et ne participe pas au changement climatique. 

Comprenant 485 membres en 2010, la RSPO revendique aujourd’hui, pas moins de 4000 membres provenant de 93 pays, à travers le monde. 

Du côté de la certification, les chiffres ont aussi beaucoup évolué. Actuellement, 14,5 millions de tonnes d’huile de palme sont certifiées durables par la RSPO, soit environ 19% du volume mondial contre 620 000 tonnes en 2008.

La superficie certifiée est passée de 106 000 hectares (2008) à 2,63 millions d’hectares en 2014 pour plafonner à 2,91 millions d’hectares en 2019. Aussi flatteurs qu’ils soient, ces chiffres ne devraient pas entretenir l’illusion d’une bonne santé de l’industrie. Loin de là. La machine de commercialisation connaît de réelles difficultés de fonctionnement.   

 

Un engouement mondial qui se fait attendre

Comme l’analysent nombre d’observateurs, les acheteurs de l’huile de palme durable ne se bousculent pas sur le marché mondial. Symbole de cette situation, actuellement, seulement la moitié de l’huile de palme certifiée est vendue sur le marché. Pas en raison de la méconnaissance des acteurs des avantages qu’elle offre, notamment en ce qui concerne l'amélioration de la réputation vis-à-vis de la clientèle plus sensible aux questions environnementales, l’ouverture de nouveaux segments de marchés, etc. « C’est parce qu’il est plus cher de la produire et que presque personne ne veut payer de prime à la durabilité », résument les responsables du groupe malaisien Sime Darby Plantation qui dispose de la plus vaste superficie de palmeraies au monde.

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Les acheteurs de l’huile de palme durable ne se bousculent pas sur le marché mondial.

 

En effet, pour prétendre à la certification, les producteurs peuvent dépenser jusqu’à 20-25 $ par hectare ; des montants dissuasifs pour les exploitants qui ne sont pas ou peu organisés. Mais les coûts ne s’arrêtent pas là. Il s’agit, en outre, de prendre en charge les frais d’audits, les coûts logistiques et de renseigner les études d’impact environnemental. Résultat, sur le marché, l’huile certifiée coûte environ 30-40 $ plus cher que son équivalent non certifié, en raison de la prime à la qualité payée.

Résultat, sur le marché, l’huile certifiée coûte environ 30-40 $ plus cher que son équivalent non certifié, en raison de la prime à la qualité payée.

« Certaines compagnies font déjà des pertes, en raison du coût élevé de production et des coûts supplémentaires de la certification », indique Oscar Tjakra, analyste en céréales et oléagineux chez Rabobank International. 

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Les producteurs sont poussés vers plus de durabilité, mais les autres acteurs de la chaîne ne suivent pas.

 

Cette situation est révélatrice du paradoxe qui règne dans le circuit de l’huile de palme durable. D’un côté, les consommateurs restent sensibles aux images d’espèces emblématiques comme les orangs-outans et gibbons, dont la disparition des habitats est associée à l’huile de palme. De l’autre, les producteurs sont poussés vers plus de durabilité, mais les autres acteurs de la chaîne ne suivent pas. Au milieu, les engagements « zéro déforestation » ou « zéro feu de forêts » des compagnies comme Unilever, Nestlé ou McDonald’s ne se reflètent que très lentement dans les pratiques des transformateurs et les distributeurs.

Au milieu, les engagements « zéro déforestation » ou « zéro feu de forêts » des compagnies comme Unilever, Nestlé ou McDonald’s ne se reflètent que très lentement dans les pratiques des transformateurs et les distributeurs.

D’après le Fonds mondial pour la nature (WWF), la demande des gros consommateurs comme l’Inde, la Chine, la Malaisie et l’Indonésie reste faible. Du côté de l’Union européenne, qui reste en première ligne dans la lutte contre la déforestation liée aux produits tropicaux, les résultats restent mitigés. « Il faut que les industriels européens aient le courage de s'engager, car le manque de soutien décourage les cultivateurs », confie au Monde, Darrel Webber, le secrétaire général de la RSPO en Malaisie.  

 

De nombreuses insuffisances

En dehors des questions de coûts élevés, mises en avant par plusieurs observateurs, la démarche liée à la RSPO souffre de nombreux maux.

Se voulant consensuels et applicables au plan mondial, les principes de la RSPO ne peuvent pas s’appliquer aisément dans certains pays africains où la propriété foncière reste toujours coutumière, même en présence de régimes fonciers modernes.

Se voulant consensuels et applicables au plan mondial, les principes de la RSPO ne peuvent pas s’appliquer aisément dans certains pays africains où la propriété foncière reste toujours coutumière, même en présence de régimes fonciers modernes.

Cette adaptation au contexte est d’autant plus difficile que les enjeux de développement économique priment sur les questions de durabilité dans certains cas.

La RSPO apparaît ainsi pour ses détracteurs comme une initiative répondant à la logique des « pays développés », dont les discours sur la durabilité - s’ils étaient appliqués à la lettre - pourraient mettre en danger la filière sur le continent africain.

Hormis ces critiques, d’autres considèrent que la RSPO est trop peu contraignante et insuffisante, car ces critères reposent sur une base de volontariat. Cette bonne volonté qui n’est pas acquise en raison des enjeux du marché mondial de l’huile de palme, peut conduire à des rapports de force dans les négociations et nuire à la crédibilité de l'ensemble du processus de certification.  

 

Une refonte nécessaire

L’avenir de l’huile de palme durable dépendra de nombreuses réformes pouvant lui permettre de capter une place sur le marché global, mais aussi de consolider dans la durée ses acquis. Au-delà des difficultés de mise en œuvre, c’est le modèle économique même du processus qui doit être revu.

En effet, si les objectifs restent vertueux, il y a encore du chemin pour permettre notamment aux petits ou moyens producteurs d’être enrôlés dans le processus. Avec les coûts actuels, un soutien financier et la négociation de meilleurs prix d’écoulement seraient salutaires. 

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Il faudrait une meilleure implication des investisseurs et des gouvernements dans la certification.

 

Même si les avantages liés à la certification durable vont au-delà de l’aspect financier, certains analystes font remarquer que « la réussite du système de certification dépend en partie de la capacité des parties prenantes à parvenir à des prix finaux plus élevés, afin de compenser les coûts engendrés par la certification ».

Certains analystes font remarquer que « la réussite du système de certification dépend en partie de la capacité des parties prenantes à parvenir à des prix finaux plus élevés, afin de compenser les coûts engendrés par la certification ».

D’autres observateurs soulignent la nécessité d’une meilleure implication des investisseurs et des gouvernements dans la certification. Cette dernière dimension reste cruciale, dans la mesure où il revient aux acteurs étatiques de statuer sur les lois relatives à la durabilité et de mettre la pression sur les entreprises privées.   

Des changements ont été observés, ces dernières années, de la part de la RSPO qui a révisé ses statuts pour faire taire les critiques d’organisations environnementales.

« En 2018, après de longs débats et beaucoup de pression, la  RSPO a amélioré son cadre de travail, relevé ses ambitions, révisé son statut et entrepris une meilleure mise en œuvre. Le problème, jusqu’à présent, n’a pas été le prix de l’huile de palme certifiée. Le problème c’était que le système de certification était extrêmement médiocre », confie à l’Agence Ecofin, Etelle Higonnet, directrice de campagne de l’ONG environnementale Mighty Earth.  

« Le problème, jusqu’à présent, n’a pas été le prix de l’huile de palme certifiée. Le problème c’était que le système de certification était extrêmement médiocre »

D’après la responsable, ce changement doit beaucoup aux actions de nombreuses organisations comme Greenpeace qui ont poussé certaines compagnies à renforcer la transparence sur leur traçabilité et leur approvisionnement, cartes à l’appui. 

De son côté, la RSPO a aussi pris des mesures afin de sanctionner certains de ses membres qui ne respectaient pas ses règlements. Elle a notamment suspendu, en juin 2018, Nestlé pour ne pas avoir présenté son plan d’utilisation d’huile de palme certifiée durable. Celle-ci a retrouvé son statut, un mois plus tard, après avoir renouvelé son objectif d’approvisionnement en huile de palme 100% durable, d’ici 2023.

 

Les enjeux de l’huile de palme durable pour l’Afrique

Souvent décrite comme la « prochaine » terre d’élection de l’huile de palme, le continent africain n’a pas été en marge des questions de durabilité de l’oléagineux. Il est devenu le terrain de jeu de nombreuses compagnies qui tentent d’y implanter des palmeraies avec plus ou moins de succès. Si la vague de critiques touche aussi l’industrie régionale, de nombreux acteurs soulignent que l’avenir de l’huile de palme ne doit pas être hypothéqué à cause de ces controverses.

Et pour cause, la réalité africaine est différente de celle de l’Asie du Sud-Est. Sur le continent, sa terre d’origine, l’huile de palme contribue depuis des millénaires au régime alimentaire de nombreux pays où elle est utilisée sous sa forme brute (huile rouge).

Sur le continent, sa terre d’origine, l’huile de palme contribue depuis des millénaires au régime alimentaire de nombreux pays où elle est utilisée sous sa forme brute (huile rouge).

Leader de l’offre mondiale d’huile de palme durant l’entre-deux-guerres, le continent représente aujourd’hui moins de 10% de l’approvisionnement. En outre, les rendements à l’hectare, encore loin des standards observés en Asie, laissent des marges de progression considérable et offrent des opportunités commerciales immenses. Cela, d’autant plus que la consommation d’huile du continent progresse à grands pas et que le marché mondial ne devrait pas s’essouffler. D’après une étude de Zion Market Research, publiée en 2017, la valeur du marché mondial de l’huile de palme devrait atteindre 92,84 milliards $, d’ici 2021, contre 65,73 milliards $ en 2015. 

La valeur du marché mondial de l’huile de palme devrait atteindre 92,84 milliards $, d’ici 2021, contre 65,73 milliards $ en 2015. 

Dans ce contexte, de nombreux acteurs soulignent la nécessité d’articuler les nécessités de développement et de sécurité alimentaire et la durabilité écologique. Les institutions de développement pourraient jouer un rôle clé en s’assurant de l’élaboration de plans d’action veillant à la mise en œuvre de meilleures options environnementales et sociales.  

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La valeur du marché mondial de l’huile de palme devrait atteindre 92,84 milliards $ d’ici 2021.

 

« La durabilité de la production est une responsabilité partagée et requiert la collaboration entre toutes les parties prenantes. Les compagnies, les petits agriculteurs, les gouvernements en Afrique ont besoin de travailler ensemble pour inciter la production plus durable à travers les marchés et les régulations, et agir avec la plus grande urgence pour permettre au secteur d’aller de l’avant », a confié à l’Agence Ecofin, M. Tjakra.   

« Le système africain d’huile de palme pourrait apprendre des leçons de l’Asie, et aller directement au meilleur de ce que l’Asie a réussi à faire pour l’huile de palme durable.

Pour Etelle Higonnet, il faudra notamment tirer le meilleur profit de l’expérience de l’Asie. « Le système africain d’huile de palme pourrait apprendre des leçons de l’Asie, et aller directement au meilleur de ce que l’Asie a réussi à faire pour l’huile de palme durable. Cela est la meilleure option possible », souligne-t-elle.

 

Espoir Olodo

Espoir Olodo 

Ndeye Khady Gueye

 

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