La lutte inégale des Etats africains contre les puissants prédateurs d’espèces sauvages

(Ecofin Hebdo) - Selon un rapport publié récemment par le fonds mondial pour la nature (WWF), la terre a perdu 60% de ses animaux sauvages entre 1970 et 2014, soit 44 ans seulement. En Afrique, ce constat alarmant tient en grande partie du braconnage de rhinocéros, d’éléphants, de crocodiles, de pangolins et de nombreuses autres espèces en voie de disparition. Si les chiffres publiés ces dernières années tendent à présager de perspectives négatives pour la lutte contre le braconnage et la survie des espèces menacées, les pays africains ne baissent pas les bras, convaincus que le phénomène peut être battu en brèche avec davantage d’efforts.

 

Un état des lieux qui fait froid dans le dos

Selon une étude de l’Académie américaine des sciences (PNAS), en moyenne 33 000 éléphants sont abattus illégalement chaque année en Afrique pour leurs défenses qui alimentent le marché du trafic de l’ivoire.

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33 000 éléphants sont abattus illégalement chaque année en Afrique.

 

« Le braconnage des éléphants pour leur ivoire a atteint des proportions dramatiques ces dernières années, et les saisies de grande ampleur dont le volume dépasse 800 kilos sont devenues la norme plutôt que l'exception », déplore Céline Sissler-Bienvenu, Directrice du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) pour la France et l’Afrique francophone.

Entre 2014 et 2015 par exemple, 1258 défenses d'éléphants ont été commercialisées sur les principaux marchés de la contrebande en Asie, avec l’Afrique dans le rôle de premier fournisseur de cette matière. Dans cette région du monde, la demande en ivoire est sans cesse croissante. En effet, l’ivoire légal est de moins en moins disponible, ce qui suscite et encourage son commerce illégal. Le trafic est tel que la population restante d’éléphants sur le continent n’est plus actuellement que d’environ 500 000.

Il faut noter que le constat est tout aussi alarmant chez le rhinocéros. Entre 1960 et 2016, le nombre de ces mammifères vivant en Afrique, toutes sous-espèces confondues, est passé de 200 000 à environ 20 000. Seulement en Afrique du sud, en 2017, 1028 rhinocéros ont été abattus, d’après des chiffes du WWF. 2014 a d’ailleurs été l’année la plus sanglante pour cette espèce. Le braconnage a atteint 1215 rhinocéros. Un record.

Il faut noter que le constat est tout aussi alarmant chez le rhinocéros. Entre 1960 et 2016, le nombre de ces mammifères vivant en Afrique, toutes sous-espèces confondues, est passé de 200 000 à environ 20 000.

Selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (UNEP), il y avait 70 000 rhinocéros noirs en 1970, et seulement 2400 en 1995 à cause du braconnage.

A l’échelle mondiale, le trafic lié à ces deux espèces (les plus braconnées) et à toutes les autres (lions, girafes, pangolins, tortues luth, etc.) est évalué à 20 milliards de dollars par an, ce qui en fait le quatrième commerce illégal sur la planète après celui des armes, de la contrefaçon et des êtres humains. «Quand le braconnage se développe à un tel rythme, c’est la preuve qu’il relève du crime organis黸a déclaré Elisabeth McLellan, responsable au WWF de l’Initiative de lutte contre la criminalité sur les espèces sauvages.

 

De plus en plus de fermeté de la part des Etats

Pendant longtemps, les pays africains sont restés impuissants face au braconnage des espèces sauvages, tant les moyens employés par les acteurs sont impressionnants. De nombreux rapports fournis par les services de sécurité des différents parcs africains affirment que les braconniers sont généralement lourdement armés et mieux équipés. Cependant, les Etats africains poussés par l’indignation du monde face aux dangers du braconnage et aux enjeux pour l’environnement, multiplient les efforts pour arrêter le phénomène. Le Kenya par exemple, travaille actuellement à instaurer la peine de mort pour les braconniers. Une politique qui s’explique par le fait que les mesures dissuasives déjà en place pour empêcher les braconniers de passer à l'acte sont, pour la plupart insuffisantes, raconte Najib Balala, le ministre du tourisme et de la protection des espèces sauvages.

Le Kenya par exemple, travaille actuellement à instaurer la peine de mort pour les braconniers.

Le son de cloche est le même du côté du Botswana. « Si on vous trouve avec de l’ivoire braconné, vous encourez jusqu’à dix ans de prison, et l’étude d’un projet de loi est en cours pour encore augmenter les sanctions », a confié Charles Mojalemotho, responsable des parcs nationaux du pays au journal Le Monde. Par ailleurs, Gaborone soutient aussi la politique controversée du « tirer pour tuer » des forces de l’ordre. C’est pour les autorités « un moyen de dissuasion efficace ». Mojalemotho ajoute : « Si vous êtes dans la brousse et qu’on vous trouve avec un fusil, nous ne prendrons aucun risque avec notre sécurité ».

Charles Mojalemotho

« Si vous êtes dans la brousse et qu’on vous trouve avec un fusil, nous ne prendrons aucun risque avec notre sécurité ».

 

Sur le terrain, les parcs nationaux africains se militarisent face à la professionnalisation des braconniers. «Le commerce d’ivoire moderne s’est construit dans la guerre, et les braconniers sont hautement militarisés. Un fait qui a transformé la nature même de l’activité de protection de la faune en Afrique. Les parcs nationaux et les ONG ont été obligés d’endosser un rôle militaire pour continuer à jouer leur rôle. Et le phénomène de militarisation des braconniers n’est pas près de s’arrêter», indique Elisabeth McLellan, dans les colonnes de Slate Afrique. En effet, les gouvernements africains adoptent davantage de partenariats public-privé grâce auxquels des ONG ou des sociétés de sécurité forment des Rangers et apportent le matériel nécessaire à la lutte.

Les politiques publiques en question associent dans leur ensemble le secteur privé et les associations de la société civile. L’objectif visé est de s’assurer que la dynamique actuelle autour des questions de la criminalité liée aux espèces sauvages est correctement canalisée par une réponse internationale efficace. D’après le fonds mondial pour la nature, d’ici 2024, si ces différentes politiques sont bien exécutées, l’impact de la criminalité liée aux espèces sauvages, notamment sur les cibles de conservation sera réduit de moitié.

 

La corruption : le mal au cœur du phénomène

Malgré la volonté affichée par les pouvoirs publics pour endiguer le mal, de nombreux analystes avertissent que si des efforts ne sont pas spécialement fournis pour mettre fin à la corruption qui gangrène cette lutte, les résultats tarderont ou au pire, les acquis seront amoindris. L’exemple le plus cité concerne l’ex-première dame du Zimbabwe, Grace Mugabe. En mars 2018, les services de protection de la nature et de la faune ont établi que Mme Mugabe avait «collaboré avec un réseau de braconniers pour faire sortir de grandes quantités d’ivoire vers la Chine, les Emirats arabes unis et les Etats-Unis». Selon le journal local The Sunday Mail, elle aurait couvert son trafic en ordonnant à l’administration d’émettre des permis d’exportation de défenses d’éléphants pour faire des «cadeaux» à des dirigeants étrangers.

En mars 2018, les services de protection de la nature et de la faune ont établi que Mme Mugabe avait «collaboré avec un réseau de braconniers pour faire sortir de grandes quantités d’ivoire vers la Chine, les Emirats arabes unis et les Etats-Unis».

Ailleurs, des membres de l’administration publique sont fréquemment cités dans les affaires de saisie d’ivoires illégalement obtenus. Ceux-ci jouent généralement des rôles clés dans le transit du produit vers les marchés de consommation.

«La corruption a plusieurs facettes et peut se produire à chaque étape de la chaîne de valeur du commerce des espèces sauvages. Elle peut inclure des pots-de-vin pour obtenir des informations sur les déplacements des animaux ou des patrouilles, ou pour obtenir des droits ou des quotas, ou bien encore pour graisser les rouages des expéditions de cargaisons, pour s'assurer qu'elles ne soient pas inspectées ou saisies», dixit Yury Fedotov, directeur exécutif de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

 

De petits succès, mais de grands pas vers la victoire

Avec la volonté accrue des autorités de lutter contre le braconnage et l’appui d’ONG (notamment Conservation Justice), la situation s’est depuis considérablement améliorée. Ainsi, plus de 150 personnes ont été arrêtées depuis 2010 et des peines d’emprisonnement ont été prononcées. En 2013, l’arrestation de 44 personnes a permis de saisir 519 kg d’ivoire (dont 176 kg à Libreville en une seule opération).

En septembre 2017, le célèbre trafiquant d’ivoire Boniface Matthew Maliango a été arrêté en Tanzanie après un an de traque. L’homme qui est à la tête d'un vaste réseau de braconniers et de trafiquants actif en Tanzanie, au Burundi, en Zambie, au Mozambique, a été condamné à 12 ans de prison. Des poursuites sont en cours contre de nombreux groupes de braconniers en Afrique centrale et de l’Est.

 Boniface Matthew Maliango

Le célèbre trafiquant d’ivoire Boniface Matthew Maliango a été arrêté en Tanzanie après un an de traque. Il fera 12 ans de prison.

 

En juillet 2016, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), a annoncé que les chiffres enregistré sur le continent entre 2015 et 2016 ont été parmi les plus bas de la décennie. Des résultats favorisés par le renforcement des patrouilles dans les parcs naturels, l’amélioration des techniques permettant de retracer l’origine de l’ivoire ainsi que la lutte contre la corruption en Chine, le principal débouché mondial de l’ivoire.

Plus important encore, le 1er janvier 2018, la Chine a totalement mis fin aux importations d’ivoire. Ceci, après avoir participé, un an plus tôt à la CITES. Les Etats partis ont alors adopté une recommandation n’ayant pas force obligatoire visant la fermeture des marchés intérieurs de l’ivoire.
« À partir d’aujourd’hui, l’achat et la vente d’ivoire et de produits de l’ivoire par les marchés, les magasins et les commerçants est hors-la-loi », a déclaré le ministère chinois des Forêts sur le réseau social Weibo.

« À partir d’aujourd’hui, l’achat et la vente d’ivoire et de produits de l’ivoire par les marchés, les magasins et les commerçants est hors-la-loi », a déclaré le ministère chinois des Forêts sur le réseau social Weibo.

En parallèle, l’Afrique du Sud réfléchit à un projet de loi qui pourrait légaliser une partie du commerce intérieur de la corne de rhinocéros, dans le cadre d’autorisations spécifiques, et autoriser des exportations limitées vers l’étranger pour un usage personnel. Le pays abrite 80% des rhinocéros du monde et a fait état de 2883 cas d’activités liées au braconnage en 2016, rappelle le centre international pour le commerce et le développement durable.

Cependant, les experts notent que malgré les résultats encourageants de ces dernières années, les risques persistent pour les espèces braconnées. Le taux de décès est encore trop élevé pour assurer le renouvellement de la population d’éléphants, nuance John Scanlon, secrétaire général de la CITES qui ajoute qu’il y a des éléments positifs « mais nous sommes très loin du succès nécessaire pour renverser la tendance ».

Olivier de Souza

 olivierdesouza

 

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