Les pays africains qui ne veulent plus importer des vêtements usagés seront sanctionnés par les Etats-Unis !

(Ecofin Hebdo) - En lingala on les appelle Mitumba. Un mot qui signifie «cadavre». Il sert à désigner en Afrique de l’Est, les vêtements usagés qui sont importés dans la région. Depuis 2016, trois pays d’Afrique orientale, notamment, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda ont décidé d’interdire le commerce de ces vêtements importés depuis l’Europe ou les Etats-Unis. L’objectif de la mesure, qui entrera en vigueur d’ici 2019, est de permettre le développement d’une industrie locale du textile et d’assurer une autosuffisance en matière d’habillement courant.

La décision d’interdiction portée par la Tanzanie, l’Ouganda et le Rwanda se heurte à l’opposition des Etats-Unis et plus particulièrement de la Secondary Materials and Recycled Textils Association (SMART), le lobby américain du secteur, le pays qui exporte annuellement l’équivalent de 124 millions $ de vêtements usagés vers ces trois pays.

Les Etats-Unis exportent annuellement l’équivalent de 124 millions $ de vêtements usagés vers ces trois pays.

Aussi, cette décision apparaît-elle à ses yeux comme une violation des termes de l’AGOA (African Growth Opportunity Act) qui stipulent une élimination des barrières au commerce avec les USA.

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Une bonne partie de ces importations sont des vêtements démodés.

 

«Faux!» C’est la réponse que Belinda Edmonds donne aux arguments américain. La directrice exécutive de l’African Cotton and Textile Industries (ACTI), une association commerciale réunissant des membres des secteurs du coton et du textile de 24 pays d’Afrique, estime que la mise en place de ces barrières ne contrevient pas aux disposition des textes de l’AGOA, notamment de la section 3703(1)(C) relatif à l’élimination des barrières au commerce et à l’investissement avec les USA. «La grande majorité des vêtements de seconde main importés dans des pays comme l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, ne sont même pas fabriqués aux USA. Pas plus qu’ils ne passent par un processus de transformation notable dans le pays, ce qui leur aurait conféré le «Statut d’Origine». Une proportion importante de ces vêtements importés ne satisfait pas le critère de «signes d’usure notables». En fait, une bonne partie de ces importations sont des vêtements démodés ou provenant d’invendus accumulés sur la durée».

«La grande majorité des vêtements de seconde main importés dans des pays comme l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda, ne sont même pas fabriqués aux USA. »

Sous la pression américaine, le Kenya qui était à l’origine associé à l’action de ses voisins, a décidé de se rétracter face à la menace de perdre son accès au marché américain qui est son 3ème partenaire commercial. Le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie ont pour leur part réaffirmé leur intention de maintenir l’interdiction. Il faut noter que pour ces pays, les exportations vers les USA ne représentaient que 43 millions $ en 2016 contre quelque 281 millions $ d’importation cette année-là. En outre, il s’agit d’un enjeu de taille. Selon les économistes, l’Afrique de l’Est importe pour 350 millions $ de vêtements usagés et ce chiffre est en progression annuelle de 60%.

Dans le même temps, le coton est le troisième produit d’exportation agricole de l’Ouganda derrière le café et le thé, et nourrit quelque 250 000 ménages. Si le pays a une capacité de transformation de la fibre, évaluée à quelque 200 000 tonnes, il ne transforme localement que 5% de sa production, en raison de facteurs comme les importations de vêtements usagés ou la concurrence de tissus importés depuis l’Extrême-Orient.

Le coton est le troisième produit d’exportation agricole de l’Ouganda derrière le café et le thé, et nourrit quelque 250 000 ménages.

«Bien que nous comprenions le désir des pays de la communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) de construire une industrie textile locale, nous croyons fermement que bannir les importations de vêtements usagés ne contribuera pas à cet objectif. Les dirigeants de l’EAC disent aux gens qui achètent ces habits, qu’ils n’auront plus ce choix désormais. Nous nous demandons à notre niveau si ces gens auront les moyens d’acheter les habits neufs fabriqués sur le marché de l’EAC.» a estimé Harry Sullivan, qui est en charge des affaires économiques africaines au département d’Etat américain. Et de suggérer d’encourager la classe moyenne à consommer ces vêtements fabriqués localement plutôt que de bannir les importations. «L’industrie de la mode de la région pourrait construire sa propre marque et la commercialiser auprès des classe moyennes qui préfèrent acheter des vêtements dans des centres commerciaux et dans d’autres endroits du genre».

Jessica Fripe

« Nous savons maintenant que plusieurs types de vêtements peuvent être fabriqués
chez nous à des prix abordables. »

 

Pour l’économiste Brian Muruverwi, «Le ban proposé sera coûteux et aura des bénéfices à long terme limités. Il pourrait aussi avoir des effets indésirables comme la promotion du commerce illégal ».

Mais du côté des dirigeants est-africains, ces arguments peinent à convaincre. Ainsi, le premier ministre tanzanien, Kassim Majaliwa, avait déclaré l’année dernière: «Nous voulons mettre un terme à ces importations, car nous savons maintenant que plusieurs types de vêtements peuvent être fabriqués chez nous à des prix abordables. Et cette option offre à nos producteurs de coton un débouché fiable. C’est la bonne décision à prendre ». Il reste maintenant à savoir quel en sera le prix.

Aaron Akinocho

 

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