Les malheurs de Fatou Bensouda

(Ecofin Hebdo) - Fatou Bensouda est devenue, bien malgré elle, un élément important dans les dynamiques politiques observées sur le continent africain. En Côte d’Ivoire, une grande partie de la population rêve de voir son institution acquitter Laurent Gbagbo, qu’elle a inculpé pour crimes contre l’humanité. Dans le même temps, la Gambienne a échoué à garder sous les verrous Jean-Pierre Bemba, accusé de faits similaires.
Depuis l’acquittement de l’ancien chef de guerre, la CPI semble avoir perdu un peu de l’aura qui la faisait craindre des criminels de guerre de sa juridiction. L’institution a, par contre, donné du grain à moudre à ceux qui dénoncent depuis des années son instrumentalisation.

Après l’acquittement de Jean-Pierre Bemba, un profond désarroi se lisait sur le visage de Fatou Bensouda, la procureure de l’institution. Pour Fatou Bensouda, la décision des juges de la Cour d’appel a jeté le discrédit sur une CPI. En effet, qu’un accusé de l’envergure de Jean-Pierre Bemba, accusé de crimes contre l’humanité, soit acquitté, constitue un échec historique pour Fatou Bensouda. Après la défaite face à Uhuru Kenyatta, ce nouveau couac met la Gambienne face à ses paradoxes.

 

Une vie mise au service de la justice

A quelques exceptions près, Fatou Bensouda, la procureure de la CPI, semble avoir passé la plupart de sa vie aux environs d’un tribunal.

En 2002, elle a dirigé la Banque internationale pour le commerce de Gambie. Cette brève parenthèse économique dans sa brillante carrière de juriste, la Gambienne l’a débutée, un peu pour faire une nouvelle expérience. « Lorsque j’ai quitté le ministère de la Justice, en 2000, j’ai monté un cabinet privé qui conseillait cette banque. Un jour, son patron m’a proposé d’en prendre la direction. Mais l’expérience a été brève. Cinq mois plus tard, j’étais appelée au Tribunal pénal international pour le Rwanda », raconte-t-elle. Travailler à améliorer les intérêts financiers, Fatou Bensouda semble ne pas aimer. Et puis, les chiffres ça n’a jamais été sa tasse de thé. « J’ai toujours aimé la littérature, les sciences, l’anglais. En revanche, je n’étais pas très douée pour les maths », se rappelle la procureure de la CPI. Et comme souvent dans cette situation, la Gambienne, née à Bandjul le 31 janvier 1961, s’est tournée vers des études de droit.

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« Aussi longtemps que je me souvienne, je voulais que justice soit rendue. »

 

« La Gambie n’ayant, à l’époque, pas d’université, le gouvernement avait mis en place un programme de bourses d’études à l’étranger pour les meilleurs élèves. Une occasion unique dont j’ai profité pour entreprendre des études de droit au Nigeria, où j’ai notamment obtenu mon diplôme d’avocat », se souvient Fatou Bensouda.

« J’ai toujours aimé la littérature, les sciences, l’anglais. En revanche, je n’étais pas très douée pour les maths », se rappelle la procureure de la CPI.

A son retour, en 1987, elle entre au ministère gambien de la Justice en tant que substitut, avant de devenir procureur général, puis ministre de la Justice. Fatou Bensouda ouvrira ensuite son cabinet d’avocat, peu de temps avant de diriger la Banque internationale pour le commerce de Gambie. « Ce n’était pas mon truc, le tribunal me manquait », se rappelle l’actuelle procureure de la CPI. En mai 2002, elle devient conseillère juridique et substitut du procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Deux ans plus tard, elle rejoint la CPI en tant que procureure adjointe de Luis Moreno Ocampo, avant de lui succéder en tant que procureure générale le 12 décembre 2011.

 

Les vœux pieux de Fatou Bensouda

« Aussi longtemps que je me souvienne, je voulais que justice soit rendue », avait déclaré Fatou Bensouda dans une interview, quelques jours, après avoir été désignée procureure principale en décembre 2011. Pourtant, l’institution dont la native de Banjul, est le bras armé a fermé les yeux sur de nombreuses situations où la CPI est, en principe, compétente. On peut par exemple citer les cas du Zimbabwe sous Robert Mugabe et de son pays, la Gambie, où la population a souffert, des années durant, du régime de Yahya Jammeh. Pourtant, la CPI ne se prononcera pas sur les exactions commises par ces régimes dans ces pays.

On peut par exemple citer les cas du Zimbabwe sous Robert Mugabe et de son pays, la Gambie, où la population a souffert, des années durant, du régime de Yahya Jammeh.

Visage de la CPI, la juriste cristallise le désamour suscité par les détracteurs de l’institution. Il faut dire que la Gambienne a beaucoup de mal à transformer ses mots en action. Alors qu’elle n’arrête pas de se poser en justicière, surtout sur le continent africain, Fatou Bensouda est pratiquement narguée par le président soudanais Omar el-Béchir. Décidée à le faire comparaitre pour des crimes contre l’humanité commis au Darfour, la procureure ne peut qu’observer, impuissante, les nombreuses visites officielles du président soudanais. En fait, le Soudan n’a pas signé le statut de Rome, acte créateur de la CPI, l’excluant ainsi de la juridiction de l’institution. Finalement, Fatou Bensouda ne peut que faire pression sur les pays collaborant avec le président soudanais.

Par ailleurs, alors que Fatou Bensouda rappelle souvent son attachement aux principes d’équité et de justice, elle n’a mis sur la sellette de la CPI, dans l’affaire du conflit ivoirien post-électoral de 2011, que les représentants d’un seul camp. Ainsi, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, accusés de viols, meurtres, tentatives de meurtres et persécutions, traduits devant les juges de la CPI, ne représentent qu’une des parties protagonistes de la crise post-électorale 2010-2011. Des partisans du président ivoirien Alassane Ouattara auraient commis des crimes similaires sans jamais être interpellés par la CPI. Cela a d’ailleurs provoqué la colère de nombreuses organisations de défenses des droits de l’homme. « Après des années de promesses du président Ouattara, sa crédibilité sera sérieusement compromise s’il entrave les efforts des juges ivoiriens pour demander des comptes aux responsables (parmi ses partisans ndlr) des meurtres et des viols de la crise post-électorale », a déclaré sur le sujet Mausi Segun, directeur Afrique de Human Rights Watch.

Alors que Fatou Bensouda rappelle souvent son attachement aux principes d’équité et de justice, elle n’a mis sur la sellette de la CPI, dans l’affaire du conflit ivoirien post-électoral de 2011, que les représentants d’un seul camp.

Jusque-là, la CPI est également restée muette concernant les exactions commises par les partisans du président Ouattara. D’aileurs, des zones d’ombre existent concernant le rôle de l’institution dans cette affaire.

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La Gambienne a beaucoup de mal à transformer ses mots en action.

En octobre 2017, Mediapart a rendu public un courrier électronique révélant l’existence d’échanges entre Luis Moreno Ocampo, prédécesseur de Fatou Bensouda en tant que procureur de la CPI, une diplomate française et Alassane Ouattara, le président ivoirien. La correspondance, intervenue peu après l’arrestation de Laurent Gbagbo, semble prouver que la Cour pénale internationale a été soumise à des pressions politiques de la France et de la Côte d’Ivoire. Assez pour relancer les débats sur l’instrumentalisation de son institution, qui ne serait qu’une « cour pour les Africains ». Au final, les tâtonnements, ainsi que les décalages entre les mots et les actes de Fatou Bensouda pourraient bien donner raison à ceux qui considèrent le statut de Rome comme un piège de plus pour les nations africaines.

Servan Ahougnon

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