Félicien Kabuga : comment un homme ordinaire peut devenir un monstre

(Ecofin Hebdo) - Arrêté en France après une cavale qui aura duré environ 22 ans, Félicien Kabuga, l’homme accusé d’avoir financé le génocide rwandais, se prépare à passer devant les tribunaux. Et à l’heure de rendre des comptes, le financier de l’un des épisodes les plus barbares de l’histoire du continent refuse d’affronter ses crimes en étant jugé chez lui. Pourtant, le reliquat de ses chèques de sang doit être perçu.

A Kigali, au Rwanda, l’unité de suivi des fugitifs du génocide a barré, cette semaine, un nouveau visage parmi ceux des autres criminels recherchés. Celui-ci était très important ; on le remarque rien qu’à la place qu’il occupait sur l’affiche. Ce visage est celui de Félicien Kabuga, un ancien homme politique rwandais recherché pour avoir financé le génocide rwandais.

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Un nombre infini de victimes.

 

A la fin des tueries, il avait quitté son pays avant de s’enfuir en 1998, après un mandat d’arrêt émis à son encontre par le Tribunal pénal international. Il se lance ensuite dans une cavale qui le fait traverser l’Europe. Il disparait pour ne refaire surface que 22 ans plus tard, le 16 mai dernier, à Asnières, en France où il sera arrêté, quelques semaines après les commémorations du 25e anniversaire du génocide.

 

L’ascension sociale d’un enfant né loin d’une cuillère d’argent

Excepté les évènements qui se sont déroulés entre 1993 et 1994, l’histoire de Félicien Kabuga aurait simplement pu se résumer à celle d’une ascension sociale digne d’un livre de contes pour enfants.

L’histoire de Félicien Kabuga aurait simplement pu se résumer à celle d’une ascension sociale digne d’un livre de contes pour enfants.

Né en 1935 à Muniga, un secteur de la préfecture de Byumba, dans une famille de paysans, Félicien Kabuga semblait destiné, comme ses géniteurs avant lui, à vivre une vie loin des grandes villes. Tout d’abord, il tente de s’y opposer en s’éloignant des champs pour vendre des cigarettes et des vêtements recyclés sur le marché de Byumba. Finalement, il décide de retourner vers les champs et se lance dans la culture du thé. Et cette terre qu’il fuyait fera germer la semence de son ascension sociale. Les récoltes et le commerce de thé finissent par permettre au travailleur acharné qu’est Félicien Kabuga de s’installer à Kigali où il ouvre divers commerces. Il réussit en quelques années à bâtir un petit empire dans l’import-export. Se servant du capital obtenu en exploitant sa plantation de thé, il diversifie ses activités.

Il lance une minoterie spécialisée dans le blé, fait bâtir le premier centre commercial du pays dans le quartier de Muhima, au nord du Rwanda. Finalement, il finit par emménager à Kigali. Le plus grand immeuble de la capitale portera son nom. Il devient si riche que son nom devient un symbole d’aisance.

Dans sa région natale, les gens avaient pour habitude d’appeler un « Kabuga », un paysan plus aisé que les autres. Félicien Kabuga, quant à lui, joue désormais dans une catégorie différente et devient l’homme le plus riche du pays. Naturellement, il commence à attirer les politiques, soucieux de financer leurs campagnes. Mais, Félicien Kabuga vise plus loin. Il sait que l’argent sans le pouvoir ne signifie pas grand-chose et s’attèle à se rapprocher le plus possible du premier cercle du pouvoir politique rwandais.

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Dans sa région natale, un « Kabuga », c’était un paysan plus aisé que les autres.

 

Au final, il devient le beau-père du fils ainé du président Juvénal Habyarimana, auquel il a marié une de ses filles. Une autre de ses filles épousera le ministre du plan, Augustin Ngirabatware. On peut difficilement faire plus proche du pouvoir. Désormais, ce sont des liens de sang qui lient la famille de Félicien Kabuga à celle du président rwandais.

 

Le grand argentier du génocide

Sans être un politique, Félicien Kabuga gagne en influence. Sa position d’homme le plus riche du pays et les réseaux acquis grâce à ses gendres en font l’une des personnalités les plus puissantes du Rwanda. Sa fortune finance le parti présidentiel ainsi que les milices de tueurs, les Interahamwe (ceux qui combattent ensemble ; ndlr). Félicien Kabuga aurait même  financé certaines activités des extrémistes de la majorité Hutu, dont le seul but semble d’annihiler les Tutsis. Il faut dire que Félicien Kabuga a une dent contre ces derniers depuis plusieurs années.

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800 000 Rwandais massacrés en quelques semaines.

 

L’une de ses filles aurait vécu une relation amoureuse avec  un Tutsi, avec qui elle a eu  un enfant. Leur amour a été vécu comme un scandale familial par Félicien Kabuga. A ce propos, d’après certaines informations, les parents de ce Tutsi ont été tués dès le deuxième jour du génocide. Cette tuerie ayant emporté en quelques semaines 800 000 Rwandais aurait été financée par Félicien Kabuga.

L’une de ses filles aurait vécu une relation amoureuse avec  un Tutsi, avec qui elle a eu  un enfant. Leur amour a été vécu comme un scandale familial par Félicien Kabuga.

Tout commence par l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, en 1994. Peu de temps après le décès du président, les extrémistes Hutus prennent le pouvoir. Quelques jours avant le début génocide qu’ils vont lancer, Félicien Kabuga crée, avec d’autres hommes d’affaires, le Fonds de défense nationale (FDN), dont il prend la tête.

Quelques jours avant le début génocide qu’ils vont lancer, Félicien Kabuga crée, avec d’autres hommes d’affaires, le Fonds de défense nationale (FDN), dont il prend la tête.

Le but du FDN est simple. En théorie, il est censé servir à rassembler des fonds pour  fournir une assistance financière au gouvernement intérimaire dans son combat contre ses ennemis. En pratique, ces derniers sont majoritairement les Tutsis, mais également les Hutus modérés, qui prônent la réconciliation. Les fonds du FDN serviront à l’achat d’armes et d’uniformes pour les milices hutues Interahamwe et l’armée dans tout le pays. En outre, Félicien Kabuga aurait personnellement commandé et payé les deux dizaines de tonnes de machettes qui feront basculer le Rwanda dans les heures les plus ténébreuses de son histoire. Pour ne rien arranger, Félicien Kabuga a financé, majoritairement, la création de la Radiotélévision Libre des Mille Collines, un média qui diffusera à longueur de journée des appels au massacre des Tutsis.

 

Une cavale d’un quart de siècle

En juin 1994, alors que la branche armée du Front patriotique rwandais (FPR), un parti Tutsi, mené par Paul Kagame, avance dans sa marche sur le Rwanda, Félicien Kabuga fuit son pays.

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5 millions de dollars pour la tête de Félicien Kabuga.

 

Celui qui est considéré par de nombreux rwandais comme l’architecte du génocide, part pour la Suisse, d’où il sera expulsé avant de gagner Kinshasa et de rallier le Kenya.

Celui qui est considéré par de nombreux rwandais comme l’architecte du génocide, part pour la Suisse, d’où il sera expulsé avant de gagner Kinshasa et de rallier le Kenya.

Lorsque le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé en novembre 1994, finit par émettre un mandat d’arrêt contre Félicien Kabuga, il est loin. Il disparait sans laisser de traces, entre Madagascar, le Cameroun, l’Allemagne et la France entre autres pistes exploitées par les enquêteurs à sa recherche. Ses proches essaieront même de faire croire qu’il est mort pour faire cesser les enquêtes. Que nenni, les enquêteurs vont persévérer. Mais malgré tous leurs efforts et nonobstant le fait que les Etats-Unis aient mis sa tête à prix, contre 5 millions de dollars, Félicien Kabuga réussit à disparaitre. Certains des personnes proches de retrouver sa piste vont même disparaitre. L’homme de 84 ans est finalement arrêté en  France sous une fausse identité. Il vit dans le pays depuis un certain temps grâce à la complicité de ses enfants. Arrêté le 16 mai, Félicien Kabuga a fait savoir qu’il tenait à être jugé en France, refusant peut-être un retour sous haute tension au Rwanda où les plaies de ses financements continuent de cicatriser.

26 années ont passé, mais au Rwanda  on continue de découvrir des fosses secrètes. Des familles continuent de rechercher les dépouilles de leurs proches pour leur donner  une sépulture digne. Alors si Félicien Kabuga espérait s’en sortir sans recevoir le reliquat de ses chèques de sang, il peut oublier.

Servan Ahougnon

servan ahougnon 

 

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