La présidence en clair-obscur de Macky Sall

(Ecofin Hebdo) - Parfois, lorsque la vie devient monotone, certains préfèrent se donner des challenges qui ne sont pas toujours nécessaires... Dans ce cas, le président sénégalais aurait pu se contenter de souhaiter que son équipe ramène la coupe du monde de football. Mais non. A quelques mois des élections présidentielles, qui se dérouleront en 2019, il s’est embourbé dans une polémique sur les tirailleurs et les desserts français. Pourtant, tous les sportifs de haut niveau le savent : le sucre, peu de temps avant une compétition musclée, comme l’élection présidentielle, ce n’est pas une très bonne idée.

Au Sénégal, habitué à vibrer aux rythmes des coups de lutteurs, frappant pour faire passer leur nom à la postérité, un autre combat attire toutes les attentions. L’élection présidentielle s’approche à grand pas et avec elle soupçons et rassemblements guerriers. Dans tous les camps on est prêts à se battre pour la victoire, quitte à se salir les mains. Un des candidats aurait pu bénéficier de la présomption d’avoir des mains immaculées. Il s’agit du président Macky Sall, qui assurait, en 2011, avant son élection, être celui qu’il fallait pour changer le Sénégal. Pourtant, presque 7 ans plus tard, la crème de l’espoir a tourné. Une partie de la population qui a élu le président à 65 % des suffrages ne le porte plus vraiment dans son cœur. Heureusement, cet environnement, de plus en plus amer, est adouci par l’allié français… et ses desserts.

 

Un caractère forgé par des années de privation

Lorsqu’il se présente aux élections présidentielles en 2012, Macky Sall a une image d’homme politique introverti, sobre et rigoureux. « Macky a toujours été comme ça. Il est très timide, mais il n’est pas inaccessible. C’est quelqu’un qui ne revient pas en arrière. Il regarde toujours devant. C’est pourquoi il ne parle pas beaucoup », explique Ass Malick Sène, ami d’enfance du chef d’Etat. Selon ses partisans, les qualités de l’homme ont été forgées par une enfance passée dans la pauvreté. En effet, Macky Sall est né le 11 décembre 1961 dans une famille modeste de Fatick, l’ancienne capitale du Sine, devenue une simple ville de l’Ouest du Sénégal.

 Macky Sall jeune

Macky Sall est né le 11 décembre 1961 dans une famille modeste de Fatick.

 

Son père, Amadou Sall, était un gardien. Sa mère, Coumba Thimbo, était à sa naissance vendeuse d'arachides. Malgré leurs faibles revenus, les parents de Macky font des efforts pour lui donner une éducation décente.

Son père, Amadou Sall, était un gardien. Sa mère, Coumba Thimbo, était à sa naissance vendeuse d'arachides. Malgré leurs faibles revenus, les parents de Macky font des efforts pour lui donner une éducation décente.

Il deviendra ingénieur géologue et géophysicien, au terme de ses études, formé à l'Institut des sciences de la terre (IST) de Dakar. Il part ensuite pour la France, renforcer ses compétences à l'École nationale supérieure du pétrole et des moteurs (ENSPM) de l'Institut français du pétrole (IFP) de Paris.

 

Perché sur les épaules des Wade

Le 2 juillet dernier, la Direction générale des élections a rejeté la candidature de Karim Wade, le fils de l’ancien président sénégalais, pour les prochaines élections de 2019. Condamné en 2015 à six ans de prison et plus de 210 millions d’euros d’amendes par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), il ne peut, a priori, se présenter pour les prochaines joutes présidentielles. Pour beaucoup de Sénégalais, le message est clair. Macky Sall ne laissera pas le fils Wade se présenter, pas après avoir « tué le père ».

macky sall wade

Macky Sall et Abdoulaye Wade, avant...

Cette expression prend ici tout son sens quand on sait ce qu’a représenté, à une époque, Abdoulaye Wade pour Macky Sall. En effet, à la fin des années 1980, c’est l’ancien président sénégalais qui le repère, lors de son adhésion au parti démocratique sénégalais (PDS). 18 ans plus tard, Macky Sall est secrétaire général de la Convention régionale du PDS du Fatick, sa région natale.

A la fin des années 1980, c’est l’ancien président sénégalais qui le repère, lors de son adhésion au parti démocratique sénégalais.

Devenu président des cadres du parti, il reste loyal à Abdoulaye Wade et participe à la campagne qui le fera élire président, en 2000.

Attendu au gouvernement, il va passer un an à la Société des pétroles du Sénégal (PETROSEN). Il fait son entrée au gouvernement en mai 2001, en tant que ministre des Mines, de l'Énergie et de l'Hydraulique. En août 2003, Abdoulaye Wade nomme Macky Sall, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales. Finalement, c’est la primature que confie le mentor à son cadet. Macky Sall sera nommé premier ministre le 21 avril 2004. Il occupera ce poste pendant 3 ans, le record de longévité des premiers ministres d’Abdoulaye Wade. Malheureusement, Macky Sall est remplacé, en 2007, par Cheikh Hadjibou Soumaré. Vexé, il décide de s’éloigner de son ancien mentor. C’est vraisemblablement à ce moment qu’il décide de tuer le père Wade, politiquement.

 

De paria à président

Déçu par son remplacement à la primature, Macky Sall décide de se présenter aux élections législatives. Il les remporte et est même élu président de l’Assemblée nationale, presque à l’unanimité des votants (143 sur 146). C’est dans le cadre de cette fonction qu’il sera opposé pour la première fois au fils d’Abdoulaye Wade.

En effet, Macky Sall tente de convoquer le fils du président de la République, à l'Assemblée nationale, pour une audition sur les comptes de l'ANOCI, que dirigeait Karim Wade.

En effet, Macky Sall tente de convoquer le fils du président de la République, à l'Assemblée nationale, pour une audition sur les comptes de l'ANOCI (Agence nationale de l'Organisation de la conférence islamique), que dirigeait Karim Wade. La relation avec Abdoulaye Wade devient alors explosive. Ce dernier demande à Macky Sall de démissionner de son poste de président de l’Assemblée national. Face au refus du natif de Fatick, son poste de numéro 2 du PDS est supprimé, le mandat du président de l'Assemblée réduit de cinq à un an. Macky Sall sera même accusé de blanchiment d’argent, avant que la justice ne déclare un non-lieu concernant cette affaire.

Macky Sall sera même accusé de blanchiment d’argent, avant que la justice ne déclare un non-lieu concernant cette affaire.

Il quitte alors le PDS et crée, en 2008, le parti politique Alliance pour la République (APR). Ce dernier se servira de la dégringolade de la popularité d’Abdoulaye Wade pour attirer les autres partis d’opposition au sein de la coalition « Macky 2012 ». Arrivé en 2e position lors du premier tour des élections présidentielles de 2012, leur leader sera élu président avec 65,80 %, grâce au ralliement des autres candidats.

 

Macky Sall, une déception ?

Dès ses premières semaines, tous les Sénégalais ont les yeux rivés sur les décisions du nouveau président. Conscient des attentes, ce dernier ne se rate pas, dans un premier temps. Il réduit certains privilèges ministériels, supprime 59 commissions inutiles. Pour lutter contre le détournement et la corruption, il relance la Cour de répression de l'enrichissement illicite et annonce la création d'un Office national anticorruption et d'une Commission nationale de restitution des biens et de recouvrement des avoirs mal acquis.

 Macky Sall

« Je ferai tout pour rester le même homme.»

Son gouvernement tente de soulager la population en baissant les prix de biens de première nécessité comme l'huile, le riz et le sucre. Les pensions de retraite sont revalorisées, les paysans subventionnés; tout semble annoncer que le président va tenir toutes ses promesses.

Pourtant, en 2017, quelques mois avant les élections législatives, le mouvement « Y’en a marre », un des soutiens de Macky Sall lors de l'élection présidentielle de 2012, critique sa politique. Il faut dire que ces derniers mois, la côte de popularité du président a baissé. « Je ferai tout pour rester le même homme », avait-t-il pourtant assuré dans une interview datant de 2012. Ces derniers jours, de nombreux hommes politiques et artistes sont arrêtés pour délit d'offense au chef de l'État. Il achève actuellement un mandat de 7 ans, alors qu’il avait promis réduire le mandat présidentiel à 5 ans.

De nombreux hommes politiques et artistes sont arrêtés pour délit d'offense au chef de l'État.

Les étudiants sénégalais, qui manifestent, pour réclamer le paiement de leurs allocations, ont affronté à de nombreuses reprises les forces de l’ordre. Sur le plan politique, Macky Sall est de plus en plus isolé.

Le désamour de l’opposition est à son comble depuis l’adoption d’un projet de loi, obligeant les futurs candidats à des scrutins sénégalais d’obtenir le parrainage d’un pourcentage du corps électoral (0,5% pour les législatives et 0,8% pour la présidentielle). L’opposition, réputée pour ses difficultés à obtenir un consensus, voit dans cette loi un moyen pour Macky Sall d’assurer sa réélection.

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Le soutien du président Macron.

Dans ce climat sociopolitique assez tendu, la bouffée d’air frais du président Macky Sall reste l’allié français. Conscient que le président Emmanuel Macron est l’un de ses derniers soutiens, Macky Sall va réussir à lancer une polémique, en tentant de rendre hommage à la loyauté de son allié. « Les tirailleurs sénégalais avaient droit à des desserts, alors que les autres Africains n'en avaient pas », déclare le chef de l’État, lors de la présentation d’un livre reprenant certains de ces discours.

« Les tirailleurs sénégalais avaient droit à des desserts, alors que les autres Africains n'en avaient pas », déclare le chef de l’État.

Au Sénégal, la phrase, indigeste, ne passe pas. Elle vient grossir le rang des nombreux arguments fournis par le président aux électeurs, pour le priver d’un second mandat. On se demande comment le président sénégalais compte éviter cela. Peut-être en offrant les fameux desserts de l’amitié à la population.

Servan Ahougnon

 servan ahougnon

 

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