Wanuri Kahiu : la preuve par six

(Ecofin Hebdo) - Parfois, la vie est une succession de questions existentielles. Peut-on être une grande cinéaste en seulement quelques films ? Peut-on influencer le futur de l’Afrique et combattre ses stéréotypes, l’œil dans une caméra ? Peut-on revenir chez soi, affronter les conséquences d’un anticonformisme célébré hors de chez soi, mais rejeté dans son propre pays ? On peut répondre par l’affirmative à toutes ces questions. La preuve par Wanuri Kahiu.

Étonnant que cette réalisatrice kényane ne fasse les grands titres que depuis la sélection de « Rafiki », son sixième film, pour le 71e festival de Cannes. Wanuri Kahiu aurait dû être sous le feu des projecteurs dès 2009, lorsqu’elle a réalisé l’excellent « Pumzi », l’un des premiers et meilleurs films africains de science-fiction. Qu’importe, après seulement 6 réalisations, la Kényane semble sur une voie royale pour recevoir une récompense lors du festival de Cannes en cours.

 

Nouvelle coqueluche africaine des critiques

L’intéressée avait-t-elle rêvé pareil triomphe ? Ovationnée sur la croisette, au terme de la première de son film Rafiki, Wanuri Kahiu est depuis la nouvelle coqueluche kényane de la presse spécialisée.

Dans son pays, le premier film kényan présent à Cannes a été censuré par les autorités, alors qu’il pourrait bien recevoir la Palme d’Or.

L’incroyable profondeur et le positionnement de son film lui valent des éloges partout, ou presque. Dans son pays, le premier film kényan présent à Cannes a été censuré par les autorités, alors qu’il pourrait bien recevoir la Palme d’Or. En 2013, « la vie d’Adèle », une production traitant d’une relation homosexuelle entre deux femmes avait reçu le prix le plus prestigieux de la croisette. Rafiki, traite du même sujet, mais dans une société africaine où les relations homosexuelles sont encore plus rejetées. Pourtant, la réalisatrice kényane arrive à traiter un sujet aussi délicat avec une esthétique étonnante et des images douces, et surtout très belles. En effet, pour elle, il n’est pas question de présenter une Afrique semblable à celle laissée par les médias occidentaux. L’Afrique de Wanuri Kahiu est belle, pleine de couleur et positive. Et cette beauté, la réalisatrice kényane la voit s’amplifier dans le futur.

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L’Afrique de Wanuri Kahiu est belle, pleine de couleur et positive.

 

Écrire en lettres libres et en image un futur glorieux pour l’Afrique

« La plupart du temps, le continent africain est dépeint comme un endroit frappé par la maladie, la guerre, la destruction. Il y en a, mais il y a aussi beaucoup de joie, d’espoir, de grandeur et de positivité. C’est pourquoi je voulais raconter une histoire qui vienne changer cette image. Il est temps que nous nous voyons comme doux, tendres, enjoués, généreux, joyeux », déclare Wanuri Kahiu au Monde. Pour la Kényane, l’Afrique est loin d’être cette allégorie de « la (très sombre) cour des miracles » de Victor Hugo (Notre Dame de Paris) présentée par les médias occidentaux. Depuis son jeune âge, l’Afrique est d’abord une terre haute en couleurs où la magie œuvre quotidiennement.

C’est cette vision du continent que reçoit, dans son enfance, Wanuri Kahiu de sa mère pédiatre qui lui dépeignait le continent à travers ses contes. Ces derniers ont-ils inspiré la jeune réalisatrice des années plus tard, lorsqu’elle écrit les histoires pour enfant « Le chameau en bois » et « Rusties » ? Pourtant, loin des livres et des caméras, c’est un diplôme de gestion de l’université de Warwick, en Angleterre, qu’obtiendra, en 2001, Wanuri Kahiu. A ce moment, on se dit que la jeune fille, née à Nairobi en 1980, va être influencée par la fibre paternelle, son géniteur étant un homme d’affaires. Pourtant, c’est le cinéma, son premier amour, que choisira la Kényane.

Pourtant, loin des livres et des caméras, c’est un diplôme de gestion de l’université de Warwick, en Angleterre, qu’obtiendra, en 2001, Wanuri Kahiu.

Alors qu’elle avait 16 ans, Wanuri Kahiu était partie pour Los Angeles, apprendre les rouages du cinéma sur des tournages hollywoodiens. Deux ans après son diplôme obtenu à l’université de Warwick, elle retourne au 7e art et obtient un master en direction de cinéma et télévision de l'Université de Californie, à seulement 23 ans. Elle réalise son premier film « From a Whisper », cinq années plus tard. Elle y raconte l'histoire d'une jeune fille qui perd sa mère dans l'attentat terroriste ayant touché l'ambassade des États-Unis à Nairobi en août 1998. Le succès est immédiat. Le film remporte cinq prix, notamment ceux du meilleur réalisateur et du meilleur film, lors des Africa Movie Academy Awards organisés en 2009 au Nigeria. Un an plus tard, elle réalise Pumzi, qui aurait dû lui valoir la médiatisation dont elle fait aujourd’hui l’objet.

 

Un succès tardif ?

Peut-on parler de succès tardif pour une réalisatrice de 38 ans qui n’a réalisé que 6 films. Cela aurait pu sembler impensable…s’il n’y avait Pumzi. Le film sort un an après « From The Whisper ».

Pumzi

Il raconte, dans un court-métrage de science-fiction, un monde post-apocalyptique. Il dépeint l'histoire d’Asha, une jeune botaniste vivant au sein d’une communauté recluse, après la troisième guerre mondiale (la guerre de l'eau). Ses membres consomment des suppresseurs de rêves pour tuer toute envie de quitter la communauté, qui serait le seul vestige de la vie sur la planète. Pourtant, un jour, Asha, reçoit de la terre, venue de l’extérieur, dans un mystérieux paquet. Elle y plante une graine, qui germera. Elle décide, contre l’avis des autorités de sa communauté, d’enquêter sur la vie hors des barricades. Ce film sera projeté, en 2010, au festival du film de Sundance, où se retrouve la crème mondiale du cinéma indépendant. Il faut dire qu’il est assez représentatif de la singularité de sa réalisatrice.

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« Il est temps que nous nous voyons comme doux, tendres, enjoués, généreux, joyeux ».

Wanuri Kahiu y fait un étalage de ses convictions profondes. On y décèle un afrofuturisme, courant artistique qui explore l'intersection de la culture africaine et afro-américaine avec des éléments de science-fiction, très prononcés. L’Afrique y est également représentée forte et résiliente face aux catastrophes qui ne lui enlèvent pas sa beauté intrinsèque. L’intrépidité du personnage principal est une projection de celui de la réalisatrice, qui n’hésite pas à naviguer à contrecourant pour délivrer son message. Cela, elle le prouve encore, 9 ans après Pumzi, avec Rafiki.

Wanuri Kahiu y fait un étalage de ses convictions profondes. On y décèle un afrofuturisme, courant artistique qui explore l'intersection de la culture africaine et afro-américaine avec des éléments de science-fiction, très prononcés.

Son film sur l’histoire d’amour entre deux femmes, réalisé alors que les autorités kényanes sont imperméables à l’acceptation de l’homosexualité, poil dans la soupe chez elle, fil d’or à l’extérieur, ne laisse pas indifférent. « Les réactions que mon film suscite me transforment, par la force des choses, en militante. Je voulais juste montrer une image belle, colorée, joyeuse et chargée d’espoir, de mon pays et de l’Afrique », s’étonne la cinéaste.

Quoiqu’il en soit, le débat autour du film ne semble entacher en rien son excellence et Rafiki pourrait bien avoir mis la réalisatrice kényane Wanuri Kahiu sur le chemin d’une récompense à Cannes. La Palme d’Or ? Et pourquoi pas ?

Servan Ahougnon

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