Morgan Tsvangirai : un opposant pour l’éternité

(Ecofin Hebdo) - C’est la nuit. Alors que le monde entier s’extasie devant un match de football, un silence venu de Johannesburg envahit le Zimbabwe. Ce n’est pas un de ces silences qui reste circonscrit à une maison, à un quartier ou à une région du pays. Il était dans les regards hagards que se lançaient les passants après l’annonce. Il s’est inséré dans chaque discussion ou absence de discussion, dans les maisons. Ce silence est celui de l’écho résigné du vide laissé par un être cher qui vient de partir. Cette nuit à Johannesburg, l’opposant éternel au gouvernement zimbabwéen, Morgan Tsvangirai, est mort.

Ce 14 février 2018, une histoire passionnelle a pris fin. Morgan Tsvangirai, l’éternel opposant au régime Mugabe, a succombé à son cancer du côlon. Quelques semaines après la mort politique de son ennemi de toujours, le chef historique de l’opposition zimbabwéenne a pris le chemin du repos éternel. Les plus romantiques diront qu’il part faute de combat, le Zimbabwe étant désormais libéré du joug de Robert Mugabe. Personne ne sait si sa dernière pensée, son dernier râle, ont effectivement été pour son ennemi. Sa vie, par contre, semble avoir été totalement dédiée à lutter contre ce président presque centenaire.

 

De la pauvreté à la lutte syndicale

Novembre 2017, dans un parc de Harare. Le teint livide, dévoré par le cancer, Morgan Richard Tsvangirai n’est plus que l’ombre de lui-même. Pourtant, pendant un instant durant lequel il harangue la foule, venue manifester contre Robert Mugabe, il retrouve presque des couleurs. Mais son énergie d’antan n’est plus qu’une lueur dans son regard toujours déterminé. Cette lueur, ceux qui l’ont fréquenté dès son plus jeune âge l’apercevaient déjà, dans le district de Gutu, où il est né le 10 mars 1952. A cette époque, son père travaille dans une mine, tout en étant également menuisier et fermier, pour nourrir une femme et 9 enfants. Malgré la pauvreté, Morgan Tsvangirai fera des études primaires à l’école St. Marks Goneso Hwedza, puis à celle de Chikara Gutu. Malheureusement, il abandonne ses études secondaires, débutées au lycée de Gokomere, pour trouver un travail et aider aux dépenses familiales. Ainsi, en 1972, il obtient un emploi d’ouvrier à l'usine textile Elastics & Tapes de Mutare. Deux années plus tard, il trouve un travail au sein de Trojan, une mine de Nickel. Au fil des mois, il devient un participant actif des réunions de l’union des travailleurs de la mine, puis chef de section du syndicat Mine Associated Workers.

En 1989, accusé d'être un espion sud-africain, le natif de Gutu est emprisonné pendant six semaines.

De plus en plus populaire au sein des travailleurs du secteur des mines, il devient vice-président du Syndicat national des mineurs en 1985. Trois ans après, il est nommé secrétaire général du congrès des syndicats du Zimbabwe. En 1989, accusé d'être un espion sud-africain, le natif de Gutu est emprisonné pendant six semaines. C’est le premier grief connu entre lui et l’administration du président Robert Mugabe, qui a pris le pouvoir en 1987.

 

La voix qui criait dans le Zimbabwe de Mugabe

Entre 1997 et 1998, Morgan Tsvangirai, toujours secrétaire général du congrès des syndicats du Zimbabwe, va porter à l’administration Mugabe le premier coup d’un long combat. Alors que l’Etat décide d'allouer aux vétérans de la guerre d'indépendance des indemnités de retraite financée par une augmentation conséquente des impôts, Morgan Tsvangirai va déclencher une série historique de grèves contre le régime en place. Dans le même temps il essaie de faire voter une nouvelle constitution, destinée à éjecter Robert Mugabe du fauteuil présidentiel. En 1999, après son échec, il crée le Mouvement pour le Changement démocratique (MDC), qui deviendra le plus grand parti d'opposition du Zimbabwe. Le parti réussi à fédérer une opposition jusque-là divisée. En février 2000, le MDC obtient sa première victoire sur Mugabe. Le parti fait campagne contre le référendum sur la réforme constitutionnelle initié par le président zimbabwéen. La victoire du « non » sera célébrée comme un camouflet historique pour Robert Mugabe.

Le parti fait campagne contre le référendum sur la réforme constitutionnelle initié par le président zimbabwéen. La victoire du « non » sera célébrée comme un camouflet historique pour Robert Mugabe.

Lors des élections législatives qui suivront, le MDC remporte 57 sièges, contre 62 pour le ZANU-PF de Robert Mugabe, brisant ainsi un monopole du parti au pouvoir vieux de 20 ans. Candidat aux élections présidentielles de 2002, Morgan Tsvangirai est accusé de trahison. On lui reproche d’avoir fomenté un complot pour assassiner Robert Mugabe. Finalement, il se présente à ces élections qui seront remportées de manière controversée par le président en place. Arrêté, intimidé à plusieurs reprises, le chef de l’opposition ne cède pas, prenant la parole régulièrement pour attirer l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits humains perpétrées par Mugabe.

En mars 2007, Morgan Tsvangirai est incarcéré et molesté après une manifestation du MDC et d'autres mouvements politiques qui protestaient ensemble contre l'interdiction des manifestations et rassemblements politiques, contre l'intention du président Robert Mugabe de se présenter à un nouveau mandat en 2008 et pour dénoncer la situation économique catastrophique du pays. « Ils ont brutalisé mon corps, mais ils ne briseront jamais mon esprit », avait-il déclaré de son lit d’hôpital. Contre toute attente, président et le chef de l’opposition tenteront pourtant un rapprochement en 2008, après s’être livré une bataille sanglante.

Morgan Tsvangirai beaten

« Ils ont brutalisé mon corps, mais ils ne briseront jamais mon esprit ».

Cohabitation infructueuse avec le pouvoir

Lors des élections de 2008, l’opposition verra une lueur d’espoir à la fin du premier tour. Morgan Tsvangirai obtient 47,9 % des suffrages, devant Robert Mugabe qui en recueille 43,2 %. Pourtant, le 22 juin, cinq jours avant le second tour, le chef de l’opposition annonce qu'il se retire de l'élection. « Nous, le MDC, ne pouvons pas demander à nos sympathisants de voter le 27 juin en sachant que voter pourrait leur coûter leur vie. Nous avons décidé que nous ne participerons plus à cette simulation de processus électoral, violente et illégitime. Nous ne jouerons pas le jeu de Mugabe », déclare Morgan Tsvangirai. D’après ses propos, dénonçant une « simulation de processus électoral », les partisans de Mugabe auraient tué 86 personnes et chassé 200 000 autres de leurs foyers. Les dirigeants du MDC, eux, auraient été harcelé et les régions favorables à Morgan Tsvangirai n’auraient pas reçu d'aide alimentaire. A la fin d’un second tour à un seul candidat, décrié par la communauté internationale, Robert Mugabe est réélu, avec 90,2 % des suffrages.

Morgan Tsvangirai

« Nous ne jouerons pas le jeu de Mugabe »

La pression internationale se fait sentir autour du régime Mugabe qui négocie alors la mise en place d’un gouvernement d’union nationale avec l’opposition. Cette dernière accepte. Le 11 février 2009, Morgan Tsvangirai devient le premier ministre d'un gouvernement de coalition.

Le 11 février 2009, Morgan Tsvangirai devient le premier ministre d'un gouvernement de coalition.

Quelques jours plus tard, il est victime d’un accident qui emportera sa femme. De nouveau sur pied, il essaie tant bien que mal de peser dans la balance. Mais Mugabe reste toujours tout puissant et Morgan Tsvangirai peine à faire entendre sa voix, encore moins à mener des réformes. Finalement, en 2013, il annonce la tenue d'un référendum dans le but d'approuver une nouvelle constitution qui restreint les pouvoirs et la durée du mandat du président de la République. Le « oui » recueille 94,5 % des suffrages exprimés. Quelques mois plus tard, Morgan Tsvangirai échoue, une fois encore aux élections présidentielles de 2013, face à Robert Mugabe. Cette fois, c’était sa dernière élection.

Trois ans plus tard, il annonce qu’il souffre d’un cancer du côlon. Ce cancer l’emporte alors qu’il n’était déjà plus vraiment le chef d’un MDC désormais divisé. L’historique opposant venait de céder sa place de chef du parti à Nelson Chamisa. Avec lui, c’est certainement le dernier espoir d’unir l’opposition, avant les élections présidentielles, qui va être enterré.

 

Servan Ahougnon

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