Algérie : enfin l’heure d’Ali Benflis ?

(Ecofin Hebdo) - Principal adversaire d’Abdelaziz Bouteflika lors des deux dernières élections, Ali Benflis a longtemps rongé son frein dans l’ombre de l’ancien président. Après ses échecs cuisants de 2004 et 2014, l’intéressé avait même renoncé à se présenter aux élections initialement prévues pour le mois d’avril. Pourtant, contre toute-attente et à contrepied de l’opinion publique, Ali Benflis a accepté de participer au scrutin prévu pour décembre prochain. Peut-être parce qu’il n’a jamais semblé avoir autant de chances de briguer la magistrature suprême. De toutes les façons, à 75 ans, c’est sa dernière chance.

Il y a quelques jours, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux a fait couler beaucoup d’encre dans la presse algérienne. On y voit Ali Benflis, à l’origine de la création du premier parti d’opposition, en Algérie, et candidat aux prochaines élections présidentielles, se faire huer par la population à l’Ouest d’Alger. On lui reproche de participer à des élections alors même que le peuple considère que les conditions pour le scrutin sont loin d’être réunies. Pour beaucoup, en l’Etat, les élections ne feraient que perpétuer « le système » dont les Algériens souhaitaient la disparition avec le départ d’Abdelaziz Bouteflika. De quoi compromettre la posture d’homme du peuple adoptée par Ali Benflis.

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« Comment peut-on laisser l’Algérie sans un président qui puisse parler au peuple ? »

 

Seulement, l’opposant ne semble pas avoir beaucoup de choix. A 75 ans, il participe certainement à son dernier scrutin. Et on imagine bien que celui-ci, il souhaite le remporter pour laver l’affront de ses défaites passées.

 

Révolutionnaire intéressé ?

« Comment peut-on laisser l’Algérie sans un président qui puisse parler au peuple, aux institutions, au monde ? » Cette question résume la ligne de défense choisie par Ali Benflis. Alors qu’une grande partie du peuple réclame un « changement réel », notamment la libération des personnalités politiques arrêtées et une nouvelle constitution, avant la tenue d’élections présidentielles, l’opposant a surpris tous les observateurs en prenant position pour la tenue des élections de décembre prochain. Pourtant, il y a quelques mois, Ali Benflis semblait sur la même longueur d’ondes que toute l’opposition, alors qu’il avait décidé de ne pas se présenter contre l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. « Ma place n'est plus dans une compétition électorale dont notre peuple  dénonce avec vigueur le caractère biaisé et faussé. Le peuple a pris la parole et je l'ai entendu. L'élection présidentielle, dans les circonstances actuelles, n'a ni sens ni raison d'être », avait-il déclaré.

« Ma place n'est plus dans une compétition électorale dont notre peuple  dénonce avec vigueur le caractère biaisé et faussé. Le peuple a pris la parole et je l'ai entendu. L'élection présidentielle, dans les circonstances actuelles, n'a ni sens ni raison d'être »

Pour ceux qui étaient tenté de dire que l’opposant ne fuyait qu’une nouvelle défaite face à celui qui l’a battu aux élections en 2004 et en 2014, Ali Benflis avait précisé les raisons de sa décision de ne pas se présenter. « Ce qui est remis en cause en ces heures décisives, c'est tout un système politique qui a, irrémédiablement, tourné le dos à la modernité politique en pensant survivre et prospérer à l'abri des archaïsmes et au moyen de recettes et de méthodes d'une ère révolue depuis bien longtemps ».

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« C'est tout un système politique qui a, irrémédiablement, tourné le dos à la modernité politique.»

 

Pour lui, il est clair qu’à cette époque, « le premier parti d'Algérie, c'est le boycott». Environ 7 mois plus tard, Abdelaziz Bouteflika est parti. Toutefois, le « système » tant critiqué par le peuple, et par Ali Benflis lui-même, n’a pas disparu. Pourtant, l’intéressé va faire volte-face et tourner le dos aux grandes requêtes énoncées pendant le Hirak, la série de manifestations révolutionnaires débutée en février, alors même que de nombreux détenus du mouvement viennent de recevoir des peines de prison. A bien des égards, on pourrait considérer qu’Ali Benflis a abandonné ses principes pour pouvoir remporter le prochain scrutin.

 

Le juriste à l’origine de l’indépendance du pouvoir judiciaire

Ali Benflis est né le 8 septembre 1944 dans la commune de Batna, au sein d’une famille d’agriculteurs nationalistes. A 13 ans, son père et son frère aîné décèdent durant la guerre d’Algérie. Profondément marqué par cet épisode, Ali Benflis se consacre à ses études, effectuées au Lycée Hihi El Mekki de Constantine où il obtient son baccalauréat en 1964. Il décide alors de faire des études de droit et obtient, en 1968, une licence de droit de l’université d’Alger.

Toutefois, le « système » tant critiqué par le peuple, et par Ali Benflis lui-même, n’a pas disparu. Pourtant, l’intéressé va faire volte-face et tourner le dos aux grandes requêtes énoncées pendant le Hirak.

Véritable modèle de précocité, il est nommé, à 24 ans, juge au tribunal de Blida avant de devenir procureur de la République en 1969. Deux ans plus tard, il  devient procureur général de la cour de Constantine et occupe ce poste jusqu’en 1974. Il s'inscrit ensuite au barreau et ouvre son cabinet d’avocat à Batna. En 1983, il est élu bâtonnier de l’ordre des avocats de la région Est, puis de la région de Batna, 4 années plus tard. Membre fondateur de la Ligue algérienne des droits de l’homme, il aurait pu se contenter d’une carrière de juriste. Seulement, les sirènes de la politique ne tarderont pas à l’attirer.

Ali Benflis jouera un grand rôle dans la période d’ouverture démocratique intervenue après les émeutes d’octobre 1988. Il fait notamment adopter le texte consacrant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il est également à l’origine de l’adoption de la loi régissant la profession d’avocat.

En 1988, Ali Benflis est nommé ministre de la justice au sein du gouvernent militaire de Kasdi Merbah. Très satisfaisant à son poste, il est conservé par les deux gouvernements qui suivront. En effet, Ali Benflis jouera un grand rôle dans la période d’ouverture démocratique intervenue après les émeutes d’octobre 1988. Il fait notamment adopter le texte consacrant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il est également à l’origine de l’adoption de la loi régissant la profession d’avocat.

 

L’homme qui  n’arrivait pas à battre Abdelaziz Bouteflika

De plus en plus exigeant sur les questions de droit, Ali Benflis est limogé en 1991. Pendant 6 ans, il disparait de la scène politique pour n’y revenir qu’en 1997, lors des élections législatives. Membre du Front de libération national (FLN), il sera élu député, avant de diriger 2 années plus tard la campagne électorale d’Abdelaziz Bouteflika.

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« Le grand vainqueur a été la fraude et le perdant la démocratie »

 

Après la victoire de ce dernier, Ali Benflis occupe successivement les fonctions de secrétaire général de la présidence, directeur de cabinet de la présidence, avant d’être nommé chef du gouvernement en 2000. Cette époque, où il est l’un des hommes de confiance du régime, lui vaut encore d’être accusé d’avoir profité du système. En 2001, Ali Benflis est élu secrétaire général du FLN. Alors que tout semble aller pour le mieux, il est limogé du gouvernement. « Le président de la République a mis fin à mes fonctions et je n’ai pas été consulté à propos de la désignation de mon successeur », confie-t-il à la presse. Il explique payer son refus de soutenir Abdelaziz Bouteflika pour un deuxième mandat.

Alors que tout semble aller pour le mieux, il est limogé du gouvernement. « Le président de la République a mis fin à mes fonctions et je n’ai pas été consulté à propos de la désignation de mon successeur ».

Confiant dans ses chances et souhaitant profiter de sa popularité grandissante, Ali Benflis se présente aux élections présidentielles de 2004. Il finira 2e, avec 6,4 % des voix pendant qu’avec près de 80 % des suffrages, le président sortant est élu au 1er tour. Humilié, Ali Benflis ne se présentera pas en 2009. Pour lui, en 2004, « le grand vainqueur a été la fraude et le perdant la démocratie ».  Il attendra 10 ans après sa défaite pour retenter sa chance. Son score double pour atteindre les 12,18 %, mais Ali Benflis est encore une fois largement battu au premier tour par Abdelaziz Bouteflika. Dans la foulée, il publie un livre blanc sur les fraudes électorales, décrivant toutes les méthodes utilisées par le camp présidentiel pour s’assurer la victoire. Devenu une des figures de proue de l’opposition, il crée son parti politique Avant-garde des libertés (Talaie El Houriat), qui sera autorisé en 2015.

Il attendra 10 ans après sa défaite pour retenter sa chance. Son score double pour atteindre les 12,18 %, mais Ali Benflis est encore une fois largement battu au premier tour par Abdelaziz Bouteflika.

Dénonçant à de nombreuses reprises la vacance du pouvoir à cause de l’Etat de santé d’Abdelaziz Bouteflika, Ali Benflis se positionne pendant les manifestations de février 2019 et annonce sa candidature.

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« Ceux qui veulent voter sont libres, ceux qui veulent boycotter aussi »

 

S’il la retire plus tard à cause du contexte défavorable, il semble, depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika, plus confiant que jamais dans ses chances de devenir président. Au point de s’éloigner des principes de la révolution ? « Ceux qui veulent voter sont libres, ceux qui veulent boycotter aussi », assure-t-il. Assez pour que certains l’accusent d’être le candidat d’un système qu’il a déjà servi, il y a plusieurs années. L’intéressé assure continuer de défendre les valeurs de la révolution. Mais, alors qu’il participe peut-être à sa dernière élection, Ali Benflis est sans doute prêt à donner beaucoup de sa personne pour remporter ce scrutin.

 

Servan Ahougnon

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Ndeye Khady Gueye

 

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