RDC : au moins trois prétendants pour un fauteuil

(Ecofin Hebdo) - En RDC, les destins de deux hommes semblent sur le point de se croiser. Alors que Joseph Kabila, le président de la RDC, semble s’agripper au pouvoir pour éviter, peut-être, de tomber dans les griffes de la CPI, l’institution vient d’acquitter Jean-Pierre Bemba. Cet évènement, qui intervient à une période cruciale du calendrier électoral de la RDC, pourrait bien mettre les deux hommes face à face, dans un duel mouvementé à l’Est du lac Kivu. Un clash que Moise Katumbi, le visage de l’opposition, se fera un plaisir d’arbitrer.

Après avoir été acquitté le 8 juin des charges de « crimes de guerre » et de « crimes contre l'humanité », l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba a été remis, 4 jours plus tard, en liberté provisoire par la Cour pénale internationale. La mise en liberté définitive de l’ancien chef de guerre fait souffler un vent aux températures diverses, selon la position où l’on se trouve concernant les prochaines élections en RDC. Si la nouvelle fait certainement courir quelques frissons dans le dos du président Joseph Kabila, qui y voit le renforcement de l’adversité, elle réjouit certainement l’opposition qui dispose maintenant d’une alternative à Moise Katumbi.

 

RDC : un territoire miné par les conflits d’intérêts

 La situation de la RDC et de son président est beaucoup plus compliquée qu’il n’y parait. En fait, le pays souffre de son trop plein de ressources minières qui attise les convoitises à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Alors que l’armée nationale mène une répression violente des manifestations de l’opposition, donnant à son président une image de despote et d’assassin d’opposants, il serait erroné de se précipiter de taxer le cas de la RDC de simple dérive autocratique. En fait, ce que beaucoup décrivent comme le simple coup de force d’un homme, n’est en fait qu’un aveu d’impuissance.

Au final, les décisions de Joseph Kabila s’apparentent plus à des réflexes de survivant qu’à de la tyrannie consciente.

A l’intérieur, la RDC est déchirée par les heurts entre mouvements rebelles, qui foisonnent au nord et au sud du pays, dont le but est également, pour la plupart, de contrôler des zones stratégiques dotées de ressources minières. Au final, depuis plusieurs années, et la situation continue de prévaloir, l’Etat ne contrôle qu’une partie du territoire, que les rebelles n’ont de cesse d’attaquer. Une situation qui, si elle ne justifie aucunement la répression violentes des manifestations de l’opposition, peut expliquer son recours quasi systématique par un régime dont le pouvoir vacille constamment. Au final, les décisions de Joseph Kabila s’apparentent plus à des réflexes de survivant qu’à de la tyrannie consciente.

 

Joseph Kabila et les derniers grains du sablier

Selon Nietzsche, l’instinct de survie est la tendance à se conserver, à persister dans son être. Pour Joseph Kabila, se conserver semble ne pas forcément signifier rester en vie, mais plutôt survivre en tant que président de son pays, parce que sa mort, le chef d’État pense déjà en connaître les circonstances. « Je mourrai d’une balle dans la tête », confie-t-il souvent à certains de ses visiteurs. Cette déclaration est caractéristique de l’état d’esprit du président de la RDC.

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« Je mourrai d’une balle dans la tête », confie-t-il souvent à certains de ses visiteurs.

L’homme est selon ses proches un véritable paranoïaque, gardant un cercle de confiance très restreint et limitant ses apparitions publiques. D’ailleurs, il semble également craindre la période qui suivra son départ du palais présidentiel. Alors que son deuxième mandat s’achevait en décembre 2016, les élections ont été repoussées à décembre 2018. Joseph Kabila envisagerait de se présenter à nouveau, quitte à modifier ou à faire interpréter différemment la loi fondamentale de la RDC. Veut-il éviter de devoir répondre, devant la CPI, de certaines de ses décisions, tout en essayant d’échapper à une fin semblable à celle de son père. Il faut dire que ce dernier avait essayé d’éloigner son fils de cette poudrière d’une complexité phénoménale, qu’est la RDC.

Né le 4 juin 1971 au nord du Katanga, Joseph Kabila s’est longtemps appelé Hippolyte Kabange Mtwale. Son père, alors chef de Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), mouvement rebelle durant la présidence Mobutu, l’envoie clandestinement en Tanzanie. Sous son faux nom, le fils Kabila s’inscrit à l’école française de Dar es Salaam. Parallèlement, il s’occupe des pêcheries possédées par son père sur le lac Tanganyika.

Alors qu’il étudie l’université ougandaise de Makerere, Joseph Kabila doit retourner assister son père lors de la première guerre du Congo, en octobre 1996. Il recevra, à cette occasion, une formation militaire du chef d’état-major de l’armée rwandaise, James Kabarebe, qu’il remplace en 1997. Cette année-là, grâce notamment à l’aide de pays comme le Rwanda, Laurent-Désiré Kabila renverse Mobutu Sesse Seko.

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Il hérite d’une RDC déchirée par la guerre.

Après la guerre, son fils poursuit sa formation à l’Université de la Défense et du Commandement de Beijing, en Chine. En 2001, le président de la RDC est tué dans des conditions qui demeurent jusque-là incompréhensibles. Son entourage désigne Joseph Kabila pour occuper le fauteuil présidentiel, à seulement 29 ans.

Tous les observateurs sont clairs. A seulement 29 ans, Joseph Kabila ne tiendra pas une année en tant que président d’un pays extrêmement compliqué à gérer.

Le parlement provisoire entérinera cette succession. Tous les observateurs sont clairs. Joseph Kabila ne tiendra pas une année en tant que président d’un pays extrêmement compliqué à gérer. Il hérite d’une RDC déchirée par la guerre, entre rébellion et intérêts des Etats voisins pour les ressources nationales. En quête de soutiens de la part de la communauté internationale, Joseph Kabila promet une « ouverture » de son régime au monde. Pour y parvenir, un certain équilibre interne s’impose. A cette époque, un certain Jean-Pierre Bemba, chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), exhorte le président à négocier avec les rebelles. Porté par la création d’un gouvernement de transition, accordant le rôle de vice-présidents aux chefs des 4 principaux groupes rebelles, un accord de paix est trouvé. Les élections, prévues pour 2005, auront finalement lieu en 2006 et seront remportées par Joseph Kabila, au second tour, face à Jean-Pierre Bemba. Il révise la constitution pour limiter les élections à un seul tour, dans un pays où l’opposition a d’importants problèmes de cohésion. En 2011, il remporte une nouvelle fois les élections. Pendant les cinq années qui suivront l’élection, l’opposition et la communauté internationale vont alerter le monde face à la dérive autocratique de Joseph Kabila. On l’accuse de répressions violentes, d’assassinats politiques et autres crimes.

Nombreux sont ceux qui espèrent le voir sur la sellette de la CPI. Face à cette menace constante, Joseph Kabila semble ne pouvoir que gagner du temps, en s’accrochant au fauteuil présidentiel. Mais le temps passe et cette fois, la menace porte le nom de Jean-Pierre Bemba.

 

Jean Pierre Bemba et son retour trop providentiel

Le timing de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba est digne d’un film hitchcockien. Condamné en 2016 à 18 ans de prison pour des meurtres, viols et pillages commis en Centrafrique, entre octobre 2002 et mars 2003, par les hommes du Mouvement de libération du Congo (MLC), qu’il dirigeait à l’époque, Jean-Pierre Bemba a été acquitté le 8 juin dernier.

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Jean-Pierre Bemba a été acquitté le 8 juin dernier.

La chambre d’appel a estimé que l’ancien vice-président congolais, absent du territoire centrafricain lors des faits, n’aurait pas pu contrôler à distance les agissements des hommes du MLC. Pourtant, début mars, la CPI avait rejeté l’appel, confirmant les charges pesant contre l’ancien vice-président. Alors que les élections sont prévues pour le mois de décembre prochain. D’une certaine manière, c’est un billet providentiel qu’a obtenu Jean-Pierre Bemba pour jouer, peut-être, le retour du match de 2006.

Cette année-là, les partisans de l’ancien chef du MLC avaient violement contesté la victoire de Joseph Kabila, lors des premières élections présidentielles de l’histoire de la RDC. La paix des braves, conclue avec le nouveau président, vole définitivement en éclats après de graves affrontements intervenus à Kinshasa, en 2007, entre les partisans de Jean-Pierre Bemba et les forces gouvernementales. En fait, l’homme semble juger depuis toujours que le pouvoir lui revient.

Né le 4 novembre 1962 à Bokada, Jean-Pierre Bemba a été proche du président Mobutu Sese Seko. Son père, Jeannot Bemba Saolona, a été gestionnaire financier pour le clan Mobutu. Entrepreneur actif dans les domaines de la téléphonie mobile, du fret aérien et des médias, il se construit rapidement une des fortunes les plus importantes de l’époque.

Né le 4 novembre 1962 à Bokada, Jean-Pierre Bemba a été proche du président Mobutu Sese Seko. Son père, Jeannot Bemba Saolona, a été gestionnaire financier pour le clan Mobutu.

Il fuira la RDC lorsque les rebelles de Laurent-Désiré Kabila prennent le pouvoir en 1997. Jean-Pierre Bemba fonde, un an plus tard, avec l’aide de l’Ouganda, le Mouvement de libération du Congo (MLC). En 2002, le président de la République centrafricaine, Ange-Félix Patassé, fait appel à Jean-Pierre Bemba pour que le MLC l'aide à soutenir son régime contre un coup d'État. Lors de cette opération, les soldats se seraient livrés à des exactions qui ont valu à leur chef d’être poursuivi par la Cour pénale internationale.

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Jean-Pierre Bemba pourrait jouer le retour du match de 2006.

La nouvelle de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba a déclenché des scènes de liesse dans les rues en RDC. On oublierait presque que c’est un chef de guerre que la population applaudit. Les hommes de son MLC ont terrorisé la population de la province de l’Equateur, pendant la deuxième guerre du Congo. Pourtant, c’est l’acquittement de son chef qui réjouit actuellement la population.

 

Moise Katumbi, le saint en embuscade ?

Moise Katumbi est peut-être le sniper embusqué qui tirera le coup de feu tant redouté par Joseph Kabila. Mais ici, la balle est politique. Homme le plus puissant du Congo après le président Joseph Kabila, en 2015, selon le quotidien britannique The Economist, Moise Katumbi, est aujourd’hui en exil.

L’homme d’affaires, ex-gouverneur du Katanga, qui a fait fortune dans la pêche et les mines, paie son éloignement du pouvoir. Il condamne fortement, à l’occasion de sa démission du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), formation politique au pouvoir, les dérives anticonstitutionnelles du régime en place.

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Moise Katumbi, auréolé de la réussite continentale du TP Mazembe.

Le 19 décembre, il signe est la déclaration du « Front citoyen 2016 », une coalition entre l'opposition et la société civile congolaises engagée pour protéger la Constitution et le respect du calendrier fixant les élections à 2016. Il annoncera sa candidature quelques jours plus tard.

Son procès déclenche des manifestations populaires réprimées par les forces de l’ordre qui finissent le blesser. Moise Katumbi quitte le pays pour se faire soigner. Il n’y est plus revenu depuis, pas encore.

Malheureusement pour lui, cette déclaration signifiera le début des problèmes. Il est accusé en mai 2016 de vouloir déstabiliser le pays grâce à des mercenaires qu’il aurait recrutés. Son procès déclenche des manifestations populaires réprimées par les forces de l’ordre qui finissent le blesser. Moise Katumbi quitte le pays pour se faire soigner. Il n’y est plus revenu depuis, pas encore.

Il a promis rentrer en RDC au cours de ce mois de juin, quelques jours après avoir lancé à Johannesburg, en Afrique du Sud, son nouveau parti : « Ensemble pour le changement ». Pour les observateurs de l’actualité politique de la région, une telle situation n’était pas prévisible. En effet, une chose importante lorsqu’on veut comprendre le personnage du richissime Moise Katumbi est le paramètre TP Mazembe.

Il s’agit du plus grand club de football du pays, mais aussi, le plus important du continent africain. Dirigé par Moise Katumbi depuis 1997, le club a remporté 3 ligues des champions africaines (2009, 2010 et 2015), offrant à son président une côte de popularité sans pareil en RDC et à l’extérieur du pays.

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Roi ou faiseur de rois ?

En quelque sorte, dans une RDC ou très peu de choses prospéraient, le TP Mazembe est l’un des seuls succès du pays. Cela a donné une certaine aura de réussite à Moise Katumbi, qui n’aurait certainement pas la crédibilité dont il dispose aujourd’hui en tant que candidat.

En plus, le fait qu’il tourne le dos à Joseph Kabila à quelques semaines de la fin de son mandat peut laisser penser que c’est un opportuniste. Rien ne permet vraiment de l’affirmer, mais dans une RDC aussi complexe, où tous les personnages ont leurs parts d’ombres, peut-on donner le bon Dieu sans confession ?

Finalement, on ne peut être sûr de rien concernant la tournure des évènements dans le pays. Katumbi se cantonnera-t-il à son habituel rôle de faiseur de roi pour soutenir Jean-Pierre Bemba ? L’inverse est-t-il envisageable ou l’opposition se déchirera-t-elle dans une bataille qui ouvrira la voie royale à un 3e mandat pour Joseph Kabila. Comment ce dernier réussira-t-il à faire valider sa candidature ?

En attendant, l’acquittement de Jean-Pierre Bemba ne suscite pas de l’espoir qu’en RDC. En Côte d’Ivoire, les partisans de Laurent Gbagbo, se permettent déjà de rêver un dénouement similaire à celui de l’ex vice-président congolais pour l’ancien président ivoirien.

Alors que la CPI vient d’accepter que les avocats de Laurent Gbagbo plaident le non-lieu, les espoirs sont de plus en plus grands. « Le point commun entre les affaires Bemba et Gbagbo, c’est que dans ces deux procédures, il y a un déficit d’éléments de preuve », a déclaré Maître Habiba Touré, l’une des avocates de l’ex-président ivoirien. Un acquittement en appellera peut-être un autre…

Servan Ahougnon

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