Sanusi Lamido Sanusi ou le musulman africain du 21e siècle

(Ecofin Hebdo) - Après de longs mois à essayer de réduire son influence, les personnalités politiques opposées à l’Emir de l’Etat de Kano, ont réussi à éjecter du trône un dirigeant parmi les plus médiatiques du Nigeria. Seulement, privé de son titre, l’ancien chef traditionnel n’est pas forcément moins dérangeant. Celui qui a également dirigé la Banque Centrale nigériane pendant 5 ans se tient entre deux mondes. Intellectuel parmi les plus respectés de l’intelligentsia nigériane, il est également l’une des personnalités les plus compliquées à gérer pour le pouvoir en place.

 

Ce 9 mars, c’est une véritable ère qui s’est achevée au Nigeria. Muhammad Sanussi II, l’émir de Kano, a été destitué de son titre. Celui qui va abandonner le nom pris à son intronisation pour redevenir Sanusi Lamido Sanusi, perd son titre pour plusieurs raisons.

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Muhammad Sanussi II, l’émir de Kano, a été destitué de son titre.

 

La plus évidente concerne ses sorties, trop critiques, sur l’action gouvernementale. Ensuite, il y a sa rivalité affichée avec le gouverneur de l’Etat de Kano, Abdullahi Umar Ganduje. Ce dernier n’a d’ailleurs pas tardé à annoncer la nomination d'Alhaji Aminu Ado Bayero, en remplacement de Lamido Sanusi. Toutefois, si l’ancien Emir est déchu de son titre, c’est surtout parce qu’il a perdu le soutien de nombreux dignitaires religieux en essayant de s’attaquer à des pratiques séculaires comme la polygamie.

Toutefois, si l’ancien Emir a perdu son titre, c’est surtout parce qu’il a perdu le soutien de nombreux dignitaires religieux en essayant de s’attaquer à des pratiques séculaires comme la polygamie.

Le plus drôle, c’est que, tel qu’on le connait, Lamido Sanusi ne regrette certainement pas un seul des actes qui lui sont reprochés. L’homme aime la controverse et ne s’en cache pas. Et puis, l’intéressé était déjà une figure respectée avant son titre d’Emir et le restera certainement après.

 

La vie avant l’Emirat

Sanusi Lamido Sanusi est né le 31 juillet 1961. Il a commencé ses études à l'école primaire St Anne de  Kakuri, une banlieue de la ville de Kaduna.  Après avoir obtenu son certificat d’études primaires, Lamido Sanusi poursuit son instruction au prestigieux King's College de Lagos.

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Son rôle à la tête de la Banque centrale du Nigéria sera crucial.

 

Après son baccalauréat, il décide de se tourner vers l’économie pour son cursus universitaire. Il le débute à l'université Ahmadu Bello, où il obtient, en 1981, une licence en économie avant de décrocher sa maîtrise. Il enseigne à la faculté pendant 2 années, avant de se tourner vers le secteur bancaire. En 1985, il est employé par Icon Limited, une filiale de l'actuelle Guaranty Trust Bank et de la disparue Baring Brothers, une ancienne banque londonienne. Parallèlement,  il étudie l’arabe et la théologie sunnite et finira même par obtenir un diplôme en loi islamique à l’université africaine de Khartoum, au Soudan, en 1997.

Parallèlement,  il étudie l’arabe et la théologie sunnite et finira même par obtenir un diplôme en loi islamique à l’université africaine de Khartoum, au Soudan, en 1997.

C’est d’ailleurs cette année-là qu’il quitte son premier emploi en dehors de l’enseignement. Après sa première expérience de banquier, Lamido Sanusi rejoint United Bank of Africa Plc (UBA) en 1997. Il y travaille à la division de la gestion du crédit et des risques. Son travail est si remarquable qu’il gravit les échelons et devient le directeur général de cette division. En septembre 2005, il devient le président de la Kakawa Discount House, un outil financier gouvernemental qui fait le lien entre toutes les banques du Nigeria. Lamido Sanusi rejoint ensuite le conseil d'administration de la First Bank of Nigeria en tant que directeur exécutif chargé du contrôle des risques et de la gestion, avant d'être nommé directeur général du groupe en janvier 2009. Le 1er juin de la même année, le président Musa Yar’Adua le nomme gouverneur de la banque centrale du Nigeria. Son rôle à la tête de l’institution financière sera crucial.

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En 2010, le Financial Times le distingue « Gouverneur de banque centrale de l’année »

 

Chargé de réformer le système bancaire en période de crise mondiale, Lamido Sanusi réduit le nombre de banques nigérianes par le biais de plusieurs fusions et acquisitions, dans le but de rendre le système plus solide. En plus de mener une lutte radicale contre la corruption dans le secteur, il installe une culture favorable à la gestion de risques.

En plus de mener une lutte radicale contre la corruption dans le secteur, il installe une culture favorable à la gestion de risques.

Son travail est plébiscité, à tel point que la revue britannique The Banker (Financial Times) le désigne « gouverneur de banque centrale de l’année 2010 ». Tout semble en place pour que Lamido Sanusi passe un long moment à ce poste. Seulement, en 2014, un scandale et le franc-parler du gouverneur auront raison de lui. Cette année-là, Lamido Sanusi dénonce le non-versement de 20 milliards de dollars de recettes pétrolières par la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), accusant Diezani Alison-Madueke, la ministre du pétrole, de corruption. Dans un premier temps, elle nie les accusations et Lamido Sanusi est suspendu par le président Goodluck Jonathan.

Cette année-là, Lamido Sanusi dénonce le non-versement de 20 milliards de dollars de recettes pétrolières par la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), accusant Diezani Alison-Madueke, la ministre du pétrole, de corruption.

A cette époque, on reproche au gouverneur, entre autres, de se venger du fait que la ministre du pétrole n’a pas soutenu sa candidature pour la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD). Pourtant, quelques mois plus tard, les faits finiront par donner raison à Lamido Sanusi et la ministre du pétrole sera limogée, puis arrêtée.

 

Un émir pas comme les autres

Après avoir quitté la banque centrale, en 2014, Lamido Sanusi est nommé Emir de Kano après  la mort de son grand-oncle Ado Bayero, le 6 juin 2014. Il devient donc le 2e chef religieux musulman du pays après le Sultan de Sokoto. Le nouvel Emir a acquis le respect des notables et religieux du pays pour sa connaissance de la loi islamique.  Mais cela ne l’empêchera pas d’être contesté. En effet, une partie de la chefferie traditionnelle estime qu’il a été choisi pour des raisons politiques. En fait, une partie des chefs religieux de Kano ne voit pas en Lamido Sanusi un représentant de leur interpretation de l’Islam. Pourtant, l’intéressé est proche de la Confrérie soufie Tidjaniya, très répandue en Afrique. En fait, le problème avec le nouvel Emir réside dans son modernisme.

« L’Islam en Afrique a ses propres écoles de pensée, ses anciens empires et sa propre histoire. Et nous n’avons pas besoin que l’Arabie Saoudite et l’Iran nous expliquent l’Islam »

Véritable « musulman à la cool », Lamido Sanusi est contre l’extrémisme, l’application systématique de la charia ou encore l’intolérance religieuse. « Pour moi, le wahhabisme et le salafisme ont une certaine intoléranc, en commun avec des groupes tels que Boko Haram. […] L’Islam en Afrique a ses propres écoles de pensée, ses anciens empires et sa propre histoire. Et nous n’avons pas besoin que l’Arabie Saoudite et l’Iran nous expliquent l’Islam », déclarait-il à The Africa Report, dans une interview.

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« Pour moi, le wahhabisme et le salafisme ont une certaine intolérance, en commun avec des groupes tels que Boko Haram.»

 

Véritable penseur de la religion, Lamido Sanusi veut un Islam plus doux, qui enseigne et prend en compte les réalités sociales et l’époque. « Je ne crois pas que ceux qui sont en sa faveur connaissent réellement la loi islamique. Pour eux, celle-ci se résume à couper les mains d’un voleur ou à punir l’adultère. Ils pensent à la punition avant d’avoir mis en place les fondations. Mais dans la loi islamique, la punition représente 2 % des écrits. Le Prophète lui-même n’a commencé à l’évoquer qu’après presque vingt ans de prédication. Les gens sont pauvres, ils n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, au travail, et tout ce que vous voulez c’est couper des mains ? Cela ne peut pas fonctionner », confie-t-il au magazine. Cette conception de l’Islam se révèle à double tranchant pour l’Emir, qui s’attire à la fois la bienveillance des non-musulmans et des chefs religieux tolérants, en même temps que la fureur des extrémistes et… de Boko Haram.

« Les gens sont pauvres, ils n’ont pas accès à l’éducation, à la santé, au travail, et tout ce que vous voulez c’est couper des mains ? Cela ne peut pas fonctionner »,

Il faut dire que dans ses prêches, l’Emir ne manque jamais de tirer à boulets rouges sur les membres de la secte qu’il considère comme de faux musulmans et des personnes non-instruites. Cela lui vaudra d’ailleurs, comme le précédent émir, des menaces de mort et des tentatives d’assassinat. On se rappelle notamment de celle du 28 novembre 2014, durant laquelle 100 personnes sont tuées sans que l’Emir, en visite en Arabie Saoudite, ne soit touché. Loin de refroidir Lamido Sanussi, l’incident lui donne plus de hargne dans ses diatribes contre les barbares de Boko Haram lors de la prière du vendredi. L’Emir fait également valoir ses talents d’économistes en s’impliquant dans les affaires de l’Etat de Kano. Il exhorte les commerçants de la région à ne pas céder à la peur. Ces derniers l’écoutent et malgré les attentats contre le marché de Kano, continuent de venir exposer leurs marchandises. Mais bientôt, l’Emir ne se mèle plus seulement de l’économie de Kano.

 

Critique acerbe de l’action gouvernementale

Comme souvent lors de son parcours, le franc-parler de Lamido Sanusi dérange l’establishment. Lorsqu’il commence à se faire de plus en plus critique, certains hommes politiques tentent de le calmer. Mais rien n’y fait. L’Emir semble incapable de se retenir quand il découvre un acte de mauvaise gestion. Il accuse même l’administration de corruption, en plus de la mauvaise gestion du pays. Le gouverneur de Kano fait souvent l’objet de ses diatribes. Les critiques de Lamido Sanusi sont si violentes qu’elles perturbent le parti au pouvoir lors des élections générales de février 2019. Difficilement réélu, le gouverneur de Kano a la rancune tenace. Il divise l’Etat de Kano et tente de réduire l’influence de Lamido Sanusi en lui faisant partager le pouvoir avec 4 autres Emirs.

 

Toucher au dogme…

Malgré tout, ce qui semble avoir eu raison de l’Emir moderne est son entêtement contre la polygamie. En effet, Lamido Sanusi tente depuis 2017 de faire voter une loi qui empêche les musulmans n’en ayant pas les moyens financiers d’être polygames. Toucher à ce « dogme » de l’Islam fait sens économiquement, mais lui attire le courroux de nombreux chefs religieux.

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L’ancien gouverneur de la banque centrale pourrait se lancer dans l’arène politique.

 

Fragilisé, l’Emir a été destitué, faute de n’avoir pas voulu se taire et se plier aux exigences de l’administration en place. Incapable de se cacher derrière son long turban immaculé, Lamido Sanusi pourrait avoir gagné au change.

Faire bouger les choses lui était difficile en tant qu’Emir, mais, si l’ancien gouverneur de la banque centrale se lance dans l’arène politique, peut-être que sa liberté de parole trouvera plus facilement un chemin.

Emir au nom des pères

Lamido Sanusi Emir de Kano ? Au vu de l’histoire familiale, cela semblait naturel, presque génétique. « Emir » est un titre de noblesse accordé au chef traditionnel suprême de l’Etat de Kano. Il faut rappeler que Kano est historiquement un Emirat du Califat de Sokoto, un empire formé au nord du Nigeria grâce au djihad du réformateur religieux Usman Dan Fodio. Malgré la colonisation et la mise en place de l’administration nigériane dans la région, certains Etats ont conservé les chefferies traditionnelles anciennes qui font que Sokoto a un Sultan et Kano un Emir.

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En hommage à son grand-père, le nouvel Emir de Kano avait pris le nom de Muhammad Sanusi II.

Le père de Lamido Sanusi, Aminu Sanusi, ambassadeur du Nigeria en Belgique, en Chine et au Canada, et secrétaire permanent du ministère des affaires étrangères, était également Chiroma de Kano. Ce titre de noblesse est accordé au premier fils de l’Emir, membre du conseil du souverain. Il est idéalement une transition vers le titre d’Emir. Mais le père de Lamido Sanusi ne deviendra jamais Emir. Pourtant, son grand-père Muhammad Sanusi I l’a été, de 1953 à 1963. Seulement, le règne du 11e Emir de Kano s’est terminé sur une note dramatique. En 1963, ce dernier avait été destitué, après des troubles politiques consécutifs à l’indépendance, puis exilé vers l'État voisin de Bauchi. Le titre d’Emir est alors revenu à Ado Bayero, le frère de Muhammad Sanusi I. A partir de là, les chances que Aminu Sanusi ou son fils deviennent Emir un jour étaient très minces. Et pourtant, en 2009, Lamido Sanussi sera choisi pour succéder à son grand-oncle. A ce moment, en hommage à son grand-père, le nouvel Emir de Kano a pris le nom de Muhammad Sanusi II.

Servan Ahougnon

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