Issad Rebrab: un Kabyle à l'ascension fulgurante malgré le capitalisme d’Etat et Bouteflika

(Ecofin Hebdo) - Première fortune d’Algérie, le milliardaire kabyle Issad Rebrab offre l'exemple parfait de la réussite d'un privé dans une économie largement administrée par l’Etat. Depuis quelques années, cet entrepreneur en perpétuel mouvement dans un pays englué dans l’immobilisme voit cependant son ambition dévorante se heurter à des murs invisibles dressés par un sérail rétif à tout changement de l’ordre économique et politique préétabli.

Le 22 février dernier, le capitaine d’industrie algérien Issad Rebrab a vu son image de sauveur d’entreprises européennes en difficulté sérieusement flétrie. Ce jour-là, le patron du conglomérat Cevital a été contraint par le gouvernement italien à signer, à Rome, l’accord de vente des ex-aciéries Lucchini (rebaptisées Aferpi), qu’il avait rachetées en 2014, au sidérurgiste indien Jindal Steel & Power. Ce revers cuisant est le résultat de l’incapacité de Cevital à financer son programme d’investissement de 400 millions d’euros, qui prévoyait notamment la restructuration des aciéries en faillite, avec à la clef le maintien de 1200 emplois et la création de 900 autres à travers la construction d’une usine agroalimentaire et d’une plateforme logistique. Pourtant, l’homme d’affaires berbère ne manquait pas de moyens pour financer ce programme d’investissement.

REBRAB phone 2

Sa fortune a même progressé d’un milliard de dollars en une année, passant de 3 à 4
milliards de dollars.

Il est la première fortune d’Algérie, selon l’édition 2018 du classement établi par le magazine américain Forbes. Sa fortune a même progressé d’un milliard de dollars en une année, passant de 3 à 4 milliards de dollars, ce qui lui a permis de gagner trois rangs dans le classement des milliardaires africains, où il occupe désormais la 6ème place. Les capitaux propres de Cevital se sont, quant à eux, élevés à 3,2 milliards de dollars en 2016 !

L’échec du tycoon à réunir les financements nécessaires à la poursuite de sa romance italienne tient au refus de la Banque centrale algérienne de lui accorder une dérogation pour le transfert d’une partie de ses avoirs vers la Botte. La Banque d’Algérie a motivé sa décision par la très stricte réglementation de contrôle des changes en vigueur dans le pays. Celle-ci stipule que «la constitution d’avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger par des résidents à partir de leurs activités à l’étranger est interdite».

 

Un hyperactif au pays de l’immobilisme

La rigide réglementation algérienne de contrôle des changes n’a pas jusque-là empêché l’homme d'affaires, aujourd’hui âgé de 73 ans, de faire des emplettes en Europe. En 2013, il a racheté le fabricant français de portes et fenêtres en PVC Oxxo, puis Alas, une usine espagnole de profilés en aluminium. L’année suivante, l’insatiable entrepreneur a repris le fabricant français d’appareils électroménagers FagorBrandt. «La crise en Europe est une opportunité unique telle qu’il ne s’en présente qu’une seule en un siècle», justifiait alors l’industriel algérien qui misait sur la «colocalisation» de ces entreprises pour «transformer l’Algérie en atelier de l’Europe».

«La crise en Europe est une opportunité unique telle qu’il ne s’en présente qu’une seule en un siècle», justifiait alors l’industriel algérien qui misait sur la «colocalisation» de ces entreprises pour «transformer l’Algérie en atelier de l’Europe».

Natif du village de Taguemount-Azouz, dans la région de Tizi Ouzou, en Kabylie, Issad Rebrab a entamé sa carrière professionnelle en créant un petit cabinet d’expertise comptable. En 1971, il prend des parts dans une petite société de construction métallique, Sotecom.

L’expert-comptable, dont la devise est «Voir grand, commencer petit et aller vite» (C’est le titre de la biographie que lui a consacrée l’universitaire Taïeb Hafsi, Ndlr), avait déjà une ambition dévorante. Alors que l’Algérie peinait à se relever de la colonisation et s’engageait dans un virage collectiviste, ce fils de marchand ambulant créait coup sur coup plusieurs nouvelles entreprises dans plusieurs secteurs d’activité, dont la métallurgie et l'import-export, où il a bénéficié durant plusieurs années de monopoles sur le rond à béton et les déchets ferreux.

En février 1995, Issad Rebrab a rejoint la France après avoir perdu d’un seul coup l’essentiel de ses actifs en Algérie. Alors que la guerre civile battait son plein dans le sillage de l’annulation des élections municipales remportées par le Front islamique du Salut (FIS), un commando islamiste a fait exploser des bombes dans son complexe sidérurgique en représailles à la ligne éditoriale viscéralement anti-intégriste de son journal, le quotidien francophone Liberté. «Quatorze bombes ont été posées au niveau du complexe sidérurgique et on a été obligés de fermer trois de nos principales activités, ce qui a éliminé 90% de nos actifs», déplore-t-il.

Dans l’Hexagone, l’entrepreneur au sourire immuable a réussi à rebondir en prenant une participation dans une petite entreprise de charcuterie halal qui va devenir par la suite le leader du marché en France: Isla Mondial.

Rebrab Algérie patriotique

En février 1995, Issad Rebrab a rejoint la France après avoir perdu d’un seul coup
l’essentiel de ses actifs en Algérie.

Un chiffre d’affaires de 25 milliards $ en 2025

Après son retour en Algérie, il crée Cevital, en 1998 à Béjaïa (220 km à l’est d’Alger). Au fil des années, des créations de nouvelles entreprises, des rachats d’usines, des reprises de concurrents et des investissements dans de nouvelles activités ont fini par transformer le groupe Cevital en un véritable empire, présent dans des secteurs aussi diversifiés que l’agroalimentaire, l’automobile, la grande distribution, l’électroménager, l’automobile, l’électronique, le verre, le BTP, le transport, la sidérurgie et les médias. Le conglomérat est aussi le premier groupe privé en Algérie, qui se classe par juste derrière le géant pétrolier public Sonatrach en termes de chiffre d'affaires.

« Faire passer l’Algérie dans l’économie de l’après-pétrole, du stade importateur au stade exportateur, en faire le nouveau dragon de l’Afrique, une puissance économique émergente qui libère les initiatives »

Ce vital représente aujourd’hui le parfait exemple de réussite qui pourrait inciter les décideurs à passer d’un modèle de capitalisme d’Etat fondé sur la rente pétrolière à une économie libérale, diversifiée et compétitive. C’est d’ailleurs la vision du fondateur du groupe. «L’idée est de faire passer l’Algérie dans l’économie de l’après-pétrole, du stade importateur au stade exportateur, en faire le nouveau dragon de l’Afrique, une puissance économique émergente qui libère les initiatives, crée de l’emploi et des richesses et se hisse au rang des nouvelles nations industrialisées», détaille-t-il.

Entrepreneur boulimique, Issad Rebrab a dévoilé en 2014 un plan stratégique de développement qui prévoit la réalisation d’un chiffre d’affaires de 25 milliards de dollars, dont 50% à l’international, à l’horizon 2025. Dans cette optique, il a annoncé l’intention de son conglomérat de lancer une usine de trituration d’oléagineux en Éthiopie, une raffinerie de sucre au Soudan, une société spécialisée dans la pêche industrielle à Djibouti, une usine sidérurgique au Brésil et un complexe industriel comportant une raffinerie de sucre, une minoterie et une usine de trituration de graines oléagineuses au Sri Lanka. Mais la stricte réglementation de contrôle des changes continue à étouffer l’ambition du magnat de chercher les pièces qui manquent à son puzzle en dehors des frontières algériennes.

 

Des ambitions bridées par un sérail sclérosé

En Algérie aussi, cet homme affable mais dur en affaires, n’est jamais à court d’idées. Le 20 février dernier, il a déclaré à des représentants du constructeur automobile japonais Toyota, venus rendre visite à son usine de verre plat à Blida (50 km au sud d’Alger), qu’il était «très intéressé par la fabrication de véhicules Toyota en Algérie».

Rebrab bureau

« On devrait l’encourager plutôt qu’entraver ses efforts», a lancé le patron du groupe
agroalimentaire NCA Rouiba, Slim Othmani.

Le serial entrepreneur suscite des jalousies, mais force l’admiration de plusieurs acteurs économiques. «Il faudrait ériger une statue à l’effigie de Rebrab ! Tout ce qu’il fait, c’est ce que l’Algérie, tous secteurs confondus, devrait faire depuis vingt ans. La seule façon de rattraper le temps perdu, c’est d’aller à l’étranger et d’acheter des actifs», a déclaré l’ancien chef du département des affaires économiques de la présidence algérienne et ex-gouverneur de la Banque centrale d'Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer.

«Il faudrait ériger une statue à l’effigie de Rebrab ! Tout ce qu’il fait, c’est ce que l’Algérie, tous secteurs confondus, devrait faire depuis vingt ans. »

«Je suis fier des réalisations d’Issad Rebrab. On devrait l’encourager plutôt qu’entraver ses efforts», a lancé de son côté le patron du groupe agroalimentaire NCA Rouiba, Slim Othmani.

L’investisseur, dont le succès a été décrit par le magazine Forbes comme «inhabituel dans un pays aux politiques difficiles pour les entrepreneurs», voit depuis plusieurs années ses ambitions bridées par un sérail craintif et rétif à tout changement.
Son méga-projet d'une ville industrielle et d’un port en eau profonde à Cap Djinet, sur le littoral est d'Alger, n’a pas reçu le feu vert des autorités, qui ont toutefois avalisé un projet semblable porté par le groupe public des services portuaires à Cherchell, à l’Ouest de la capitale. Le gouvernement a également usé du droit de préemption de l’Etat pour bloquer l’acquisition d’une ancienne usine de Michelin près d’Alger.

En 2016, Issad Rebrab a été empêché par la justice de racheter Al-Khabar, le deuxième quotidien arabophone algérien, et la télévision KBC. Le tribunal administratif s’était alors appuyé sur l’article 25 du code de l’information, qui stipule qu’ «une même personne morale de droit algérien ne peut posséder, contrôler ou diriger qu'une seule publication périodique d'information générale de même périodicité éditée en Algérie». Le PDG du groupe Cevital était déjà propriétaire du quotidien Liberté.

 

Homme d’affaires à la langue bien pendue

Selon la presse algérienne, le verdit du tribunal administratif annulant le rachat d’El Khabar par Issad Rebrab était éminemment politique. Cette thèse est d’autant plus crédible que le président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), Ali Haddad, qui est réputé proche du pouvoir, a été autorisé à posséder deux journaux et une chaîne de télévision. «Le clan Bouteflika a compté sur une justice aux ordres pour empêcher Rebrab de devenir un acteur majeur de la scène médiatique algérienne et de se muer en un Berlusconi kabyle», résume un journaliste algérien, rappelant que le ton frondeur du quotidien Liberté irritait déjà le sérail.

 Rebrab export

En 2004, le milliardaire claque la porte du FCE, la principale organisation patronale du
pays.

En mai 2017, l’administration portuaire a refusé l’accès au port de Béjaïa de deux navires chinois transportant des équipements destinés à une usine de trituration de graines de soja appartenant au groupe Cevital. L’Entreprise portuaire de Béjaïa (EPB) a justifié sa décision par le fait que le groupe n’a pas été autorisé à lancer sa nouvelle usine en Algérie !

Sans être un opposant, Issad Rebrab est un critique affiché du pouvoir. Contrairement à ses pairs qui font profil bas pour ne pas s’attirer les foudres du palais d'El Mouradia, «Deux fois Dieu» (reb veut dire Dieu en arabe), comme l’appellent certains de ses intimes, n’hésite pas à enfreindre la règle établie selon laquelle le capital est poltron.

Sans être un opposant, Issad Rebrab est un critique affiché du pouvoir, contrairement à ses pairs qui font profil bas pour ne pas s’attirer les foudres du palais d'El Mouradia.

En 2004, le milliardaire a claqué la porte du FCE, la principale organisation patronale du pays, qui avait apporté son soutien à un deuxième mandat du président Bouteflika. Il a aussi accusé ouvertement à maintes reprises Bouteflika et son clan d’entraver ses projets et de freiner le développement économique du pays. «Je ne suis pas de leur clan et, comme je ne suis pas de leur région, que j’aime mon indépendance, que je suis un électron libre, ça ne leur plaît pas. Ils ont peur pour leurs postes et ils se disent que, si ce bonhomme continue de progresser, il risque de prendre le pouvoir. Ils essaient de bloquer toute personne qui tente d’émerger», a-t-il lâché après avoir été privé par la justice de racheter le quotidien Al-Khabar la télévision KBC.

Pour le journaliste algérien Ihsane El Kadi, «la guerre en règle déclenchée par le clan Bouteflika contre le premier des investisseurs algériens illustre le caractère dominé de la bourgeoisie algérienne qui ne s’est pas encore approprié son Etat».

Walid Kéfi

 

 

 

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